Fin 2021, Georges ALÉ fonde la Société de Développement de Projets (SDP), basée à Cotonou au Bénin, avec pour ambition de fournir les Directeurs de Projets de haut niveau dont l’Afrique a besoin pour le développement et la réalisation d’infrastructures de qualité avec des coûts et délais maîtrisés.
Présentez-nous brièvement la SDP ?
SDP est un Cabinet de Conseils global en management de projets d’infrastructures couvrant les aspects financement, conception, construction et exploitation. Nous offrons des prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de bureau de management de projets, de conseil en financement de projets et mise en œuvre des partenariats publics privés.
Nos consultants sont des ingénieurs, analystes financiers et juristes qui travaillent ensemble afin de fournir les meilleures prestations intellectuelles à nos clients des secteurs publics et privés. Nous sommes dans les infrastructures de transport, les ouvrages d’art, l’énergie, l’eau, l’environnement et l’immobilier.
Pourquoi avoir créé SDP alors que vous étiez responsable de grosses firmes de BTP en Afrique ?
J’ai occupé pendant plus de 20 ans chez Sogea-Satom, Vinci Concessions et Colas des fonctions de management dans différents pays. J’ai pu notamment faire le tour des régions en Afrique. Mon dernier poste était celui d’Administrateur Général de Colas Afrique.
J’ai énormément appris et aussi beaucoup donné chez ces leaders mondiaux du BTP. Aujourd’hui, je me dédie au développement de SDP, au Bénin et en Afrique.
SDP est née premièrement d’une analyse des forces et points d’amélioration du fonctionnement des différents acteurs de la chaîne du BTP en Afrique, principalement la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et les entreprises notamment sur les taux d’échec dans la mise en œuvre des infrastructures. On estime que plus de 80% n’atteignent pas leurs objectifs. McKinsey annonce même un taux d’échec de 98% quand on observe les écarts sur les coûts, délais et qualité en rapport avec les prévisionnels. Ces taux d’échec dans la construction sont énormes et absolument insupportables pour des pays dont les besoins en infrastructures sont énormes et sans cesse croissants avec des ressources très limitées.
Le deuxième constat est afférent à la faiblesse des capacités locales qui se traduit par la très petite part de marché des entreprises et bureaux locaux dans le BTP africain.
Le troisième constat est la faible quote-part du financement de projets en Afrique. Le secteur privé doit être plus présent et cela passe d’une part, par une amélioration des cadres juridiques et des protections offertes pour les actifs, et d’autre part, par une meilleure connaissance des mécanismes de financement structurés par les acteurs privés locaux.
La création de SDP est le fruit d’une ambition, celle de contribuer aux réflexions et aux actions visant à améliorer les sujets que je viens d’évoquer dans le secteur des infrastructures.
Pourriez-vous nous décrire le secteur des BTP et ses caractéristiques en Afrique ?
Je voudrais répondre à cette question en évoquant d’abord quelques réalités macro-économiques des pays en Afrique. Les budgets de ces Etats sont globalement consacrés :
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près du quart au secteur du BTP, notamment à la construction de routes, salles de classe, hôpitaux, équipements d’accès à l’eau, à l’électricité, au tourisme.
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près du quart au service de la dette dont le stock est quasiment renouvelé pour faire face, en priorité, aux mêmes besoins en infrastructures!
Selon le dernier rapport de Deloitte sur les tendances du BTP en Afrique, en 2021, le secteur du BTP représente plus de 180 milliards $ d’engagements en Afrique de l’Ouest et Centrale, avec une bonne et constante croissance, notamment en Afrique de l’Ouest et ce malgré les effets combinés de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Il s’agit de volumes qui sont remarquables, mais malgré tout, totalement insuffisants au regard des besoins en infrastructures dans la zone. D’après les estimations de la Banque Africaine de Développement, environ 150 milliards de dollars par an seraient nécessaires au développement des infrastructures du continent, avec un gap de financement de l’ordre de 90 milliards de dollars.
Le marché du BTP africain est dominé à 70% par les infrastructures de transport et l’immobilier, mais il faut noter une montée en puissance ces dernières années du sous-secteur de l’énergie.
En ce qui concerne les acteurs,
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les Etats s’organisent de façon variable pour assurer leur rôle de maîtrise d’ouvrage. On observe une tendance à mettre en place des structures ad hoc sous la forme d’agences d’exécution ou de sociétés mixtes pour assurer des missions de maîtrise d’ouvrage délégué. Le défi dans ces cas est de s’assurer d’une bonne coordination avec les structures publiques existantes
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le secteur privé représenté par les entreprises et les bureaux d’études reste dominé par les acteurs internationaux du BTP, principalement les entreprises chinoises, de nouveaux entrants régionaux et les majors français de l’ingénierie et de la construction.
Avec la prédominance des firmes internationales dans les grands projets de BTP en Afrique, à votre avis, qu’est-ce qui explique la difficulté des entreprises locales à s’imposer dans ce secteur ?
C’est un constat réel, comme je le disais en justification à la création de SDP, il y a une très faible part de marché des entreprises et bureaux locaux dans le BTP africain. Cette réalité s’explique notamment par :
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La faiblesse de la capacité des acteurs locaux sur les plans technique, organisationnel et managérial, cela s’améliore mais pas suffisamment,
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Les niveaux insuffisants des formations et expériences au niveau de l’encadrement africain pour le pilotage des grands projets,
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L’accès difficile au financement des besoins en fonds de roulement dans un secteur où la trésorerie est capitale pour mener des projets d’envergure, ceci étant dû au décalage important entre les délais de paiements clients et fournisseurs, et à un accompagnement insuffisant du secteur bancaire,
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Une faible interconnexion avec les fournisseurs internationaux de matériaux et équipements qui imposent des conditions draconiennes pour les transactions vers l’Afrique.
Tout cela peut changer et le contenu local des projets d’infrastructures en Afrique doit progresser en volume et en qualité.
De par votre expérience, quels sont les autres enjeux majeurs pour le secteur du BTP en Afrique ?
Je parlerai de l’accès au financement de projets, notamment l’augmentation de la part des financements privés. C’est un enjeu important qui comporte plusieurs points d’amélioration, notamment l’évolution des cadres juridiques pour sécuriser les transactions, de meilleures études de faisabilité lors des phases de développement des projets et une meilleure connaissance des mécanismes de financement structuré par les parties prenantes africaines.
On peut également évoquer les grands enjeux de disruption du secteur du BTP auxquels l’Afrique n’échappera pas et pour lesquels dans certains cas, l’Afrique devrait jouer un rôle moteur.
Les volumes de data générées par les activités du BTP sont énormes et pour l’instant pas du tout exploitées, c’est une mine d’or qu’on doit explorer. Prenez par exemple le gâchis qu’il y a à collecter et recollecter les mêmes données au début des projets et parfois dans des espaces contigus, les difficultés à retrouver des plans de récolement, le casse-tête généré par les modifications de projet. Avec la digitalisation, l’intelligence artificielle, l’utilisation du BIM (Building Information Modeling) voire du CIM (City Information Modeling) les gestionnaires d’infrastructures pourraient constituer de grandes bases de données utiles pour concevoir, construire et exploiter de nouveaux projets.
L’utilisation des matériaux locaux est un autre défi majeur, des connections plus renforcées doivent s’établir avec les universités et centres de recherches afin de mettre à disposition les ressources nécessaires pour développer de nouveaux procédés plus en phase avec nos réalités techniques et environnementales.
Le renforcement des capacités locales doit s’intensifier dans le secteur du BTP. Ça doit être l’objectif premier de la planification des infrastructures, les Etats pourraient actionner certains leviers :
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Adapter les centres de formations aux besoins des métiers du BTP et prenant en compte toutes les catégories : des ouvriers spécialisés aux ingénieurs,
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Faire évoluer encore plus les législations pour faire du développement du contenu local un avantage compétitif pour l’accès aux marchés publics.
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La maîtrise des enjeux climatiques qui sont très importants, notamment dans le secteur de la construction qui entraîne de fortes émissions de CO2,
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Les sujets éthiques et la mise en place de procédures efficaces de compliance pour lutter contre la corruption dans le secteur,
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Les sujets liés à la maîtrise de délais et coûts et plus globalement au Management des projets de construction.
Ces dernières années, les infrastructures se dégradent plus rapidement. A votre avis, qu’est-ce qui explique cette situation ?
Selon une étude de la Banque Mondiale, l'Afrique devrait investir au moins 5% de son PIB dans les infrastructures et 4% supplémentaires dans l’entretien de ces infrastructures afin d'atteindre le taux de croissance de 7% nécessaire pour réduire la pauvreté de moitié.
Nous oublions souvent la deuxième partie de ce constat qui parle de l’entretien. La maintenance des infrastructures a un coût et nécessite une organisation à mettre en place.
A l’échelle de la durée de vie d’un ouvrage, son entretien coûte presque autant que sa construction. La durée de vie des ouvrages est fortement liée au niveau d’entretien. C’est en cela que les schémas intégrants construction-maintenance peuvent avoir tous leurs sens.
Nous observons souvent des insuffisances qui sont à l’origine de la rapide dégradation des infrastructures :
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La mauvaise exploitation des infrastructures avec des sollicitations hors tolérance, notamment des surcharges importantes en ce qui concerne les infrastructures routières,
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La qualité des réalisations liées à des faiblesses dans le suivi des non-conformités en phase de construction,
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La faiblesse des structures organisationnelles en charge de l’exploitation et de l’entretien des ouvrages, qui sont souvent les parents pauvres dans l’allocation des ressources au sein des ministères en charge des infrastructures,
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Les budgets de maintenance qui sont presque toujours insuffisants ou inexistants,
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Le transfert du risque vers le secteur privé qui est à même de gérer ce genre de risques liés à l’exploitation et à l’entretien, à travers les PPP, des concessions ou à minima des contrats d’entretien par niveau de service pendant une durée à convenir.
Le dépassement des coûts et des délais est presque devenu une norme dans le secteur des BTP. Quelles en sont les raisons ?
L’analyse des coûts de réalisation peut être vue sous deux angles :
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D’abord, les coûts intrinsèques par rapport aux autres endroits du monde, les coûts prévisionnels en prenant les mêmes ratios hors d’Afrique. Les coûts de construction sont à la grosse répartis à 40% pour les matériaux et fournitures, à 40% pour le matériel et 20% pour le personnel (ouvriers et encadrement compris). Une bonne partie des équipements, matériaux spécifiques et ressources humaines est souvent importée et entraîne des coûts de logistique importants. Les projets de construction sont donc en général plus chers sur le continent africain.
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Ensuite, par rapport aux coûts prévisionnels déjà élevés, on observe des dépassements de coûts liés aux défauts de management de projets qui conduisent à une mauvaise coordination et à des dépassements de délais significatifs. Près de 25% du coût global de la construction représente des frais généraux qui varie en fonction du temps passé sur le projet, un rallongement du délai entraîne de facto une augmentation des frais généraux et donc un dépassement des coûts prévisionnels. A cela vous pouvez rajouter les coûts d’immobilisation, les frais financiers et les coûts de la maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre.
Quelles sont les solutions que préconise SDP ?
Si l’on tient compte de la segmentation de coûts, plusieurs axes d’amélioration sont à envisager :
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La réduction des coûts de logistique par la densification du secteur industriel connexe à la construction, le développement de sites de production de matériel de BTP, des matériaux spécifiques comme par exemple le bitume et ses dérivés ou les tuyaux de canalisation pour l’eau, l’assainissement, le gaz et autres,
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L’amélioration du management des projets de construction, la formation des chefs de projet est une absolue priorité dans toute la chaîne de construction partant des maîtres d’ouvrage aux entreprises et autres sous-traitants. Cela tient donc principalement à la qualité des ressources humaines, à l’efficacité de la chaîne de commandement dans les phases d’études, de préparation, de planification et de réalisation des projets,
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Une meilleure gestion contractuelle des projets de construction pour mieux répartir les risques entre les différents acteurs,
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Une gestion plus rapprochée de la planification et mettant en place des outils de pilotage plus adaptés.
Au niveau du Cabinet SDP, nous proposons une assistance spécifique au pilotage des projets, des missions de restructuration et d’audit de projets au service des différents acteurs publics et privés.
Comment voyez-vous l’évolution du secteur dans les années à venir ?
Nous assistons à une prise de conscience plus importante au niveau mondial de l’urgence d’accélérer la mise en place des infrastructures en Afrique. En plus des apports du programme chinois des routes de la soie, l’Europe a annoncé en 2021 lors du sommet Europe-Afrique vouloir mobiliser 150 milliards $, et récemment en marge de la réunion du G7, le président Joe Biden a annoncé une mobilisation de 600 milliards $ d’ici 2027 pour les infrastructures dans les pays en développement.
Bien que ce ne soit pour l’instant que des annonces, nous pouvons anticiper un afflux considérable de financements multilatéraux avec de possibles effets de levier pour lever d’autres formes de financement.
Je pense que c’est une bonne chose et en même temps, cela pose d’énormes défis liés à la faiblesse des capacités locales pour la réalisation et le pilotage des grands projets.
Le secteur du BTP va donc rester très dynamique et continuera à attirer les acteurs internationaux venant de partout. Je ne crois pas à l’ultra dominance d’entreprises venant d’un pays spécifique comme la Chine. Il y aura toujours une grande variété.
Il reste donc le sujet du développement des acteurs locaux.
La manière de réaliser les chantiers va être fortement impactée par le développement du digital, ce qui est une très bonne nouvelle !
Quelle est la place de l’environnement et de l’écologie dans ces enjeux, défis et perspectives ?
Le secteur du BTP est fortement générateur de pollution, l’empreinte carbone de nos activités est très élevée et le secteur doit y faire très attention.
Il revient donc :
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aux chercheurs de travailler sur le développement de matériaux propres,
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aux prescripteurs de fixer des limites et intégrer des critères de performance environnementale à respecter pour l’accès aux marchés publics,
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et aux gestionnaires d’infrastructures de penser globalement en intégrant tous les aspects.
Nous devons fortement encourager cela.
L’analyse fonctionnelle des besoins d’équipements connaîtra une évolution. Les questions plus fondamentales sur l’utilité et les choix d’équipements prendront de l’importance. Qu’est-ce qu’une route en réalité ? Une interface pneu-sol qui permet de relier deux points ? Quelles sont les alternatives sérieuses aux solutions classiques de transport… ?
Je pense que de réelles réflexions seront engagées pour définir nos propres orientations et solutions.
Interview réalisée par Mamoudou Bocoum (Source externe)
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ASSANI Jules
il y a 1 an