Violences électorales de 2019 et 2021 au Bénin : les victimes civiles espèrent justice et réparation
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Pertes en vie humaine, blessés dont des handicapés, dégâts matériels estimés à des sommes faramineuses…Au Bénin, les violences électorales d’avril 2019 et de mai 2021 ont fait de nombreuses victimes. Les blessés civils nourrissent l’espoir d’une justice suivie de réparation.
Vue du pied du petit Ulrich
« Il a une longue vie sinon… ». Le petit Ulrich, âgé bientôt de quatre ans, est une des victimes des récentes violences électorales au Bénin. En avril 2019, le pays a connu des violences aux lendemains des élections législatives organisées sans l’opposition. Des violences ont été également enregistrées à la veille de la présidentielle 2021. Contre la prorogation du mandat du président Patrice Talon d’une cinquantaine de jours, des manifestations dans certaines localités ont viré à l’affrontement avec les forces de défense et de sécurité.
Agé à l’époque de deux ans et demi, le petit Ulrich a reçu une balle perdue dans le pied. Il était porté au dos par sa maman qui rentrait d’une course. Le 4 avril 2021, jour du drame, la maman était sortie, de la maison pour acheter de la bouillie à la demande de son mari. « J’étais au champ (la veille, ndlr). J’avais appris que la bagarre-là (violences électorales, ndlr) allait reprendre. Je suis revenu du champ vers 20h. Le matin, à partir de 6h, j’ai demandé à ma femme d’acheter de la bouillie qu’on emmènera au champ. C’est ainsi qu’elle a pris l’enfant pour aller acheter la bouillie. Sur le chemin du retour, à côté de la maison, à 150 mètres d’ici, mon enfant a reçu une balle perdue », confie le père avec beaucoup de tristesse dans la voix.
« Elle courait avec l’enfant au dos quand elle l’a entendu crier. Elle pensait que c’était les crépitements d’armes des militaires qui lui faisaient peur, mais elle a constaté que son pagne a commencé par se mouiller du sang du petit », se souvient l’oncle du bambin. Ulrich, selon les informations mentionnées dans son carnet de soins consulté par Banouto, souffre d’une fracture par balles.
Comme le petit Ulrich, de nombreuses autres personnes ont été victimes des violences enregistrées pendant les législatives d’avril 2019 et la présidentielle de mai 2021. Selon Amnesty International, quatre (04) personnes sont décédées par balle et plusieurs autres ont été blessées lors des violences électorales de 2019. En 2021, la Commission béninoise des droits de l’Homme (CBDH) a dénombré au moins cinq (05) pertes en vies humaines dont au moins trois (03) dans la commune de Bantè et au moins deux (02) dans la commune de Savè. Selon les autorités béninoises, vingt et un (21) agents des Forces de défense et de sécurité ont été blessés par balles. Le gouvernement n’a produit aucune statistique sur les blessés civils. Mais la CBDH souligne que de nombreux citoyens civils ont été également blessés dans les violences électorales.
Prise en charge à géométrie variable pour les blessés
La prise en charge des blessés suite aux violences électorales n’a pas été systématique pour tous. Aux lendemains des violences électorales, les agents des Forces de défense et de sécurité blessés ont été conduits à l’Hôpital d’instruction des armées à Cotonou pour être pris en charge par l’Etat béninois. Mais, ce ne fut le cas pour les blessés civils.
Dans son rapport sur l’état des droits de l’Homme au Bénin 2020-2021, la CBDH a regretté que « les blessés civils n’aient pas été pris en charge dans les mêmes conditions que les Forces de défense ».
Christophe, le père du petit Ulrich affirme que c’est sa famille qui a pris en charge les dépenses liées aux soins de son fils. « C’est le grand frère à mon papa qui a emmené le petit à l’hôpital », confie-t-il. Après les premiers soins dans un centre de santé près de la frontière avec le Togo, la famille est rentrée à la maison avec le petit. Mais quelques jours après, le pied, aux dires de son père, était enflé comme une balle de basket. « On l’a emmené (de nouveau) à l’hôpital. C’est en ce moment que des autorités- dont l’ex-maire - m’ont aidé ». Mais, pas suffisant pour couvrir toutes les charges. « Sans vous mentir, je suis endetté. En plus d’avoir vendu ma moto, j’ai contracté une dette de 140 000 francs CFA », a confié le père de famille, la voix lourde et tremblotante. Au bord des larmes, il apprend qu’une convocation lui a été laissée en raison de cette dette qu’il n’a pas encore pu rembourser.
Commerçante à Bantè, Aboussétou qui a reçu une balle perdue alors qu’elle était terrée dans sa maison, a dit avoir fait toute seule face aux dépenses. « Je n’ai reçu aucun franc de qui que ce soit pour me soigner », a confié la mère de famille qui a également dû faire face aux dépenses relatives aux obsèques de sa belle-sœur tuée par balles.
« C’est seulement ma famille qui a supporté les frais relatifs à mes soins », fait savoir Donatien, une autre victime des violences électorales.
Blessé par balles le 2 mai 2019 au quartier Cadjèhoun, le conducteur de taxi-moto communément appelé zémidjan confie qu’après ses premiers soins au Centre national hospitalier et universitaire Hubert Koutoukou Maga (CNHU-HKM) de Cotonou, il a été conduit en prison avec plusieurs autres blessés pendant les violences électorales. Détenus pendant six mois, ils ont été libérés suite à la prise d’une loi d’amnistie en octobre-novembre 2019.
Des cas aggravés
Vue de la blessure de Mathias ph: Banouto
Pour défaut de moyens et une prise en charge adéquate, certains blessés, comme le petit Ulrich, ont vu leurs cas empirer. Après des soins à l’hôpital et même une brève prise en charge au Centre hospitalier universitaire de la mère et de l’enfant (CHU-MEL) à Cotonou sur instruction des autorités béninoises, son pied n’est visiblement pas totalement guéri. « L’enfant-là, son pied n’est pas (encore, ndlr) bien. Après un certain temps, le pied s’enfle », se désole le père.
Désespéré et sans moyens, le père de famille qui éprouve des difficultés pour rembourser le premier prêt, affirme avoir tenté de contracter un nouveau prêt pour prendre en charge l’enfant. Mais en vain. « C’est les produits traditionnels que je suis en train de faire (maintenant, ndlr) », révèle-t-il.
Blessé par balles au niveau du bas-ventre lors des violences électorales de 2019, Mathias (prénom d’emprunt) un habitant du village d’Atokolibé, dans l’arrondissement du même nom à Bantè, n’a lui aussi pas bénéficié de soins adéquats. L’homme de la cinquantaine a une énorme boule qui couvre presque son appareil génital. « Vous voyez comment mon ventre est en train de gronder depuis que vous êtes ici. C’est comme cela, tous les jours », se lamente le père de famille. Le quinquagénaire arrive difficilement à uriner.
« Des fois, je n’arrive même pas à pisser. J’ai un seul petit testicule aujourd’hui, un tout petit. Même pour marcher, c’est compliqué », se plaint Mathias.
Le chef de famille apprend qu’en raison de cette situation, il ne peut plus sarcler, encore moins labourer la terre.
La situation des victimes civiles des violences électorales, notamment celle des blessés, préoccupe. La Commission béninoise des droits de l’Homme qui a documenté la situation dans son rapport sur l’état des droits de l’Homme au Bénin sur la période 2020-2021, a recommandé que les autorités compétentes puissent se saisir des cas évoqués et que les soins appropriés leur soient apportés rigoureusement et sans aucune discrimination.
Cette recommandation a-t-elle été exécutée par les autorités béninoises près d’une année après ? Pas si sûr, à en croire Serge Prince Agbodjan, Rapporteur général de la CBDH. Même s’il ne veut pas être péremptoire, le commissaire, dans un entretien téléphonique le 15 septembre 2022, ne pense pas que les autorités aient pris en charge les victimes civils comme cela a été recommandé. Et ce, au regard des retours sur la situation du bambin blessé par balles au pied dont le cas est considéré par la CBDH comme prioritaire et pour lequel plusieurs autorités dont le ministre de la Santé ont été saisies, aux dires du Rapporteur général de la Commission.
La nécessaire justice
« Il est du devoir de l’Etat, des gouvernants de garantir le plein accès au droit à la santé pour les populations, que ce soit en période de stabilité ou de conflit », souligne Glory Hossou, activiste des droits de l’Homme et chargé de la communication à Amnesty International Bénin. Il fait savoir également qu’il est du devoir de l’Etat de rendre justice aux personnes victimes de violation des droits de l’Homme. Dans cette perspective, l’activiste juge indispensable un procès sur les violations des droits de l’Homme lors des dernières joutes électorales. « Il faut qu’il y ait un procès, qu’on situe les responsabilités, qu’on dégage les auteurs, qu’on dégage les victimes », réclame-t-il.
« Aujourd’hui, il y a même des victimes qui ne sont pas déclarées. C’est seulement dans le cadre d’un procès qu’on pourrait avoir une idée sur le nombre de victimes de ces différentes élections-là et décider de la nature des réparations à allouer à ces différentes personnes », justifie-t-il.
Sur les violations des droits de l’Homme pendant la présidentielle 2021, la CBDH a recommandé que « les auteurs de ses actes de barbarie soient identifiés et poursuivis dans le respect de leur droit à la défense et à un procès juste et équitable ». La justice a ouvert des informations judiciaires sur les violences pendant la présidentielle. Plusieurs personnes ont été interpellées et placées en détention préventive. Mais aucune condamnation de personne responsable de violation des droits de l’Homme n’a pour l’instant été prononcée par les juridictions. Un certain nombre de détenus dans le cadre de procédures en lien avec ce scrutin a bénéficié de remise en liberté provisoire.
Concernant les violences à l’occasion des législatives de 2019, des actions avaient été enclenchées en justice. Mais elles n’ont finalement pas abouti à un procès. Le 24 octobre 2019, le juge d’instruction du tribunal de Cotonou a pris une décision de ''non-lieu'' concernant les décès survenus lors des violences post-électorales. Début novembre 2019, le parlement béninois a voté une loi d’amnistie. « Sont amnistiés, tous les faits constitutifs de crimes, de délits ou de contraventions commis au cours des mois de février, mars, avril, mai et juin 2019, à l'occasion du processus des élections législatives du 28 avril 2019 », dispose l’article 1er de la loi n°2019-39 du 07 novembre 2019 portant amnistie des faits criminels, délictuels et contraventionnels commis lors des élections législatives d'avril 201 9. Par application de cette loi, toutes les procédures engagées sont dépourvues d'objet, les jugements ou arrêts prononcés non avenus et les personnes détenues à titre provisoire ou en exécution des jugements ou arrêts prononcés, sont mises en liberté si elles ne sont retenues pour autres causes légales.
Estimant que cette loi d’amnistie ne permet pas de rendre justice aux personnes victimes des violations des droits humains pendant les législatives de 2019, Amnesty International Bénin avait demandé qu’on exclut les personnes responsables de violation des droits de l’homme du bénéfice de cette loi d’amnistie. « Malheureusement, cette loi d’amnistie étant en vigueur, les personnes auteures de ces violations n’ont pas été poursuivies en justice et les victimes attendent toujours justice et réparation », regrette Glory Hossou.