Dr Gilles Yabi, Economiste du développement et fondateur du Think tank WATHI
Installé à Dakar dans la capitale sénégalaise où il préside WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest dont il est le fondateur, Dr Gilles Olakounlé Yabi suit l’actualité de son pays le Bénin où il revient régulièrement. C’est entre un voyage aller-retour Dakar – Cotonou- Dakar, que Banouto le sollicite pour aborder l’évolution des relations de coopération bilatérales entre le Bénin et le Rwanda.
Avec une perspicacité toujours captivante, l’analyste, économiste de développement et ancien directeur du Bureau Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group se pose sur les questions de Banouto avant d’embarquer ce 7 mai 2023 en direction de la capitale sénégalaise. Les réponses de cette interview obtenues à distance sont tout simplement limpides.
Dr Gilles Yabi, le Bénin et le Rwanda affichent une coopération bilatérale très étroite. Quels sont les tenants de ce rapprochement ?
Je n’ai pas tous les éléments qui pourraient expliquer le lien politique fort qui semble s’établir entre le Bénin et le Rwanda. Cependant, je crois qu’il y a sans doute, comme pour un certain nombre de dirigeants africains, l’image d’un Rwanda qui connait des succès, l’image du Président Kagamé qui semble se distinguer par une capacité à transformer son pays dans différents domaines. Ça a peut-être fasciné quelque peu le Président Patrice Talon avant même qu’il n’arrive au pouvoir.
Il y a aussi probablement des membres de l’entourage qui ont pu jouer un rôle dans ce rapprochement entre le Bénin et le Rwanda. Notamment, le ministre des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, a exercé des fonctions internationales notamment pour les Nations unies pendant longtemps dans plusieurs pays y compris le Rwanda pendant les années 2008-2012. On peut penser qu’il y a développé des relations avec les autorités de Kigali et qu’il a pu estimer qu’il y avait dans l’expérience de développement à la rwandaise des éléments intéressants à reproduire au Bénin dans le domaine de la gouvernance publique et de la réalisation d’un certain nombre de progrès sur le plan des infrastructures et dans d’autres domaines.
Le dernier élément, peut-être, est qu’il y a une certaine convergence entre le Président Talon et le Président Kagamé sur l’importance relative à accorder aux questions de développement économique et à celles qui concernent le respect et la promotion des principes démocratiques et des libertés.
Je crois qu’il y a probablement du côté de Patrice Talon, une tentation de reproduire ce qu’on pourrait qualifier comme étant le modèle politique rwandais où il y a une dimension autoritaire ou semi-autoritaire assez évidente et en même temps une relative efficacité dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques.
Ces différents éléments ont sans doute concouru au renforcement des relations au cours des dernières années entre le Bénin et le Rwanda.
Est-ce un modèle de ce que devrait-être une coopération sud-sud ?
La question de la coopération sud-sud n’est pas nouvelle. Ce Sud a beaucoup changé au fil du temps et on a aujourd’hui dans le Sud, des pays d’Asie et d’Amérique latine influents sur la scène mondiale. Le monde a beaucoup changé et se compose de différents pôles animés aussi bien par des pays du Nord comme des pays du Sud, avec une forte interdépendance économique entre les pays. Dans ce contexte, il me semble légitime pour des États comme le Bénin, comme le Rwanda d’ailleurs d’aller chercher partout des inspirations, des investissements, des idées, des technologies. Ces idées et ces moyens sont aussi bien dans les pays du Sud que du Nord, et les pays africains devraient certainement travailler à mieux se connaître les uns les autres pour identifier les espaces de coopération.
Le Bénin ne peut-il pas trouver plus près dans la sous-région ouest-africaine ce qu’il va chercher au Rwanda ?
Il ne faut pas oublier qu'on a aussi des projets d’intégration notamment à l’échelle de chacune des régions du continent notamment à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest en ce qui concerne le Bénin. Et donc, même s’il faut bien sûr coopérer de manière large à l’intérieur du continent africain, dans la logique d’ailleurs de la zone de libre-échange africain qui se met en place, il ne faut pas oublier de renforcer les liens avec les pays qui font partie du même espace communautaire et donc avec les pays de la CEDEAO. Mais, je crois que,la coopération avec le Rwanda ne se fait pas au détriment de la coopération avec les autres pays de la région.
Il est vraiment important de ne pas ignorer ou de ne pas oublier d’accorder beaucoup d’attention aux projets d’intégration régionale et à l’organisation qui incarne ce projet au niveau de l’Afrique de l’Ouest qui est la CEDEAO.
Le Bénin souhaite avoir l’appui rwandais pour faire face aux agressions des mouvements terroristes. Le Rwanda a-t-il déjà fait ses preuves dans la lutte contre le terrorisme ?
Le Rwanda effectivement depuis quelques années se projette beaucoup à l’extérieur en réponse à des demandes de certains gouvernements. Ce fut le cas en République Centrafricaine où le Rwanda est intervenu et dispose encore de troupes sur le terrain en appui aux forces gouvernementales. On ne peut pas nier le fait que ces forces rwandaises aient joué un rôle de stabilisation dans ce pays et permis de contrer l’avancée des groupes armés qui menaçaient à un moment de prendre la capitale Bangui.
L’exemple qui est plus spécifiquement lié aux groupes armés de type terroriste, c’est le Mozambique où le Rwanda est aussi intervenu et dispose de troupes sur le terrain dans un pays qui a été brutalement confronté à une montée en puissance d’un groupe armé djihadiste (Ansar al-Sunnah ou Al-Chabab, différent des Shebab somaliens). Ce groupe a commis des attaques extrêmement violentes dans la province du Cabo Delgado qui dispose par ailleurs de ressources importantes de gaz et d’autres ressources naturelles. Les troupes rwandaises ont, là aussi, directement combattu ce groupe armé, ont permis de le repousser. La situation s’est améliorée concrètement au Mozambique même si ce groupe armé n’a pas disparu. Il s’est retranché dans des espaces plus difficiles à atteindre. La présence des troupes rwandaises reste un élément important du dispositif mis en place pour éviter à nouveau que les principales villes dans cette province de Cabo Delgado soient menacées par des groupes armés.
Donc oui!, on peut dire que le Rwanda a une certaine expérience sur le plan de la lutte contre les groupes armés terroristes et d’une manière générale sur le plan des interventions militaires extérieures.
Mais évidemment, il ne faut pas non plus oublier l’implication du Rwanda qui est beaucoup plus controversée, pour être très mesuré, en République Démocratique du Congo. Le Rwanda est, comme vous le savez, accusé de soutenir des groupes armés irréguliers en RDC, et les rapports des groupes d’experts des Nations Unies attestent depuis fort longtemps des dimensions sombres de l’implication rwandaise dans les provinces de l’Est de son voisin. Donc oui!, une certaine efficacité dans le domaine militaire en lien avec la discipline de l’armée rwandaise mais en même temps, beaucoup de choses à dire sur l’implication des forces rwandaises dans des cadres où les interventions ne répondent pas à une demande des gouvernements.
En République Centrafricaine et au Mozambique, les interventions rwandaises se sont faites sur la demande des gouvernements de ces pays dont les propres forces armées étaient en grande difficulté dans le cadre d’une coopération bilatérale. Bien sûr, la projection de forces à l’extérieur apporte aussi des bénéfices politiques, diplomatiques et/ou économiques au gouvernement rwandais et participe de l’influence de Paul Kagamé.
Est-ce que le Bénin va dans le bon sens en appelant aussi à la présence de forces rwandaises pour la formation, pour le combat ?
Je crois qu’il y a encore beaucoup de choses à clarifier sur les termes de cette coopération. Et justement, est-ce qu’il s’agira simplement de formation ou est-ce qu’il s’agit de troupes potentiellement engagées dans des opérations sur le terrain, et pour quelle durée ? Je crois qu’il faut faire évidemment très attention sur une question aussi sensible que la présence de soldats étrangers. Il faut s’assurer, lorsqu’on invite des forces extérieures sur son sol, que le cadre soit bien défini et tenir compte aussi du besoin légitime pour les populations, d’être informées sur les missions de ces forces, la durée de leur présence sur le territoire et sur l’existence de mécanismes de contrôle de leur action par le parlement et par la société civile. Il s’agit de sécurité et de défense et donc de souveraineté.
On ne peut pas exclure que cette coopération puisse être positive pour le Bénin mais, je crois qu’il faut avoir beaucoup plus d’informations sur le cadre de cette coopération.
Il faut aussi souligner que le Bénin n’est heureusement pas confronté au même niveau de menace sécuritaire que ne l’étaient la RCA et le Mozambique lorsque ces pays ont fait appel aux troupes rwandaises. Ce constat plaide pour une réflexion élaborée sur les besoins du pays en termes d’assistance sécuritaire et sur le rapport entre les coûts et les avantages potentiels d’une présence militaire étrangère. La question se pose dans les mêmes termes d’ailleurs pour les autres partenaires extérieurs dans ce domaine.
En dehors de la coopération militaire, en quoi le Rwanda et le Bénin peuvent-ils être des locomotives l’un pour l’autre ?
Des locomotives ? Peut-être. Il ne faut pas non plus exagérer les possibilités de coopération entre les deux pays. Ils sont assez éloignés géographiquement l’un de l’autre. Il y a probablement des choses à apprendre du Rwanda sur le plan de la gouvernance publique. Je ne parle pas du modèle politique mais je parle bien de la gouvernance publique, c’est-à-dire de la possibilité d’avoir par exemple, des contrats de performances et une culture systématique de l’évaluation au niveau des ministères et agences publiques, de s’assurer que les dépenses publiques sont beaucoup plus efficaces…
Il y a probablement des éléments intéressants à aller regarder de ce côté-là même s’il faut aussi rester mesuré sur ce qui est dit sur les succès du Rwanda. Il faut les relativiser quelque peu. Le Rwanda reste un pays pauvre qui a bénéficié de beaucoup d’appuis extérieurs après la catastrophe que fut le génocide. On sait aussi que le Rwanda ou en tout cas des acteurs rwandais ont beaucoup profité de l’exploitation des ressources minières exceptionnelles de la RDC pendant les années de conflit ouvert et de présence militaire du Rwanda et de l’Ouganda dans ce pays. Il est indéniable que le Rwanda a été remis sur pied de manière assez impressionnante et qu’il aurait pu rester pendant des années dans une situation de chaos, d’extrême fragilité de l’État et de prolifération d’organisations internationales non gouvernementales sans pilotage national.
Mais,il faut aussi faire la part des choses entre la communication du Rwanda sur ses succès et la réalité qui est un peu plus nuancée.
Sur le plan du développement du numérique, sur le plan de l’implication des femmes, de l’implication des jeunes qualifiés, de l’importance qui est donnée à l’éducation, à la formation, au soutien à l’entreprenariat, à l’importance donnée aux technologies ou même à la langue anglaise dans le système éducatif rwandais, je pense qu’il y a des approches pragmatiques dont on pourrait s’inspirer en étant conscient du besoin d’adaptation à des contextes différents.
Les recettes du succès sur le plan économique au Bénin, comme dans tous les autres pays, sont d’abord à chercher chez soi et dans les opportunités qui sont liées à l’espace régional ouest-africain qui est aujourd’hui malheureusement fragilisé, retardé dans son dynamisme potentiel, par l’insécurité. Il y a un vaste marché de la CEDEAO qui est important, un vaste marché du Nigéria qui est le voisin immédiat du Bénin.
A Cotonou, on dit que Kagame est le maître à penser de Talon. Il y a-t-il des raisons qui soutiennent cela ?
Je ne le pense pas. Il est peut-être une source d’inspiration pour le Président Talon et suscite peut-être de l’admiration ou de la fascination. Mais je ne pense pas que la personnalité du Président Patrice Talon se prête au fait d’avoir un maître à penser. Il a ses propres convictions, son propre parcours qui est quand même très différent de celui de Kagamé qui a longtemps été d’abord un combattant.
Pensez-vous que la coopération bénino-rwandaise a des chances de survivre à la fin de mandat de Patrice Talon ?
Les deux chefs d’Etats ne sont pas appelés à rester indéfiniment au pouvoir. Du côté béninois en tout cas, l’alternance est prévue dès 2026 aux termes de la Constitution. Lorsqu’on a une coopération institutionnalisée et qui n’est donc pas exclusivement liée aux relations personnelles entre des chefs d’État, il est tout à fait possible de maintenir des relations fortes d’État à État et peut-être aussi entre des acteurs économiques, sociaux et culturels des deux pays, ce qui serait aussi un facteur de pérennisation de ces relations. C’est pour cela qu’il est important de définir des cadres de coopération avec un maximum de transparence.
On n’a pas l’impression que le Bénin s’intéresse au Nigéria, son grand voisin de l’Est autant qu’il le fait avec le Rwanda. Qu’en dites-vous ?
Je ne suis pas sûr qu’une telle comparaison soit réellement utile et productive. Tous les pays ont vocation à développer des relations privilégiées avec beaucoup d’autres. L’appareil diplomatique sert à cela.
Avec le Nigéria qui est un voisin, de très loin la plus grande économie ouest-africaine, il est très clair que le Bénin devrait avoir constamment une stratégie, la réviser régulièrement, l’adapter aux évolutions des deux pays. C’est aussi vrai que le Nigéria est un gros morceau difficile à appréhender avec une organisation politique complexe et différents pôles de pouvoir liés au caractère fédéral du Nigéria.
Côté nigérian, on n’a pas vu au cours des dix dernières années, même davantage, beaucoup d’intérêt pour les pays voisins, en particulier pour le Bénin.
Il n’est pas évident que le Bénin – qui est moins peuplé que la seule métropole de Lagos - puisse donner une impulsion à ses relations avec le Nigéria s’il n’y a pas du côté nigérian un leadership qui est très intéressé et à l’écoute. Mais on a un changement de président à la tête du Nigéria qui sera effectif dans quelques semaines. C’est généralement le moment opportun pour essayer de partir sur de nouvelles bases et d’impulser une coopération plus dynamique entre le Bénin et le Nigéria.
Je pense que les relations privilégiées qui semblent se développer avec le Rwanda n’empêchent absolument pas de profiter du changement politique au Nigeria pour développer une approche plus ambitieuse.
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Gilles GOHY
il y a 1 an