Quel est l'état des lieux de la migration en Afrique ?
Le premier constat, c’est que nous assistons à une dégradation générale de la mobilité des individus puisque le dogme dominant est celui de bloquer les individus, de la militarisation des frontières. Tout ça fait que nous assistons à de plus en plus de victimes qui se retrouvent coincées dans des réseaux de trafic, dans des situations de travail d’exploitation et d’abus, qui tentent des traversées dangereuses. Tout ça fait qu’il y une dégradation de plus en plus rapide de la situation. En tant que syndicat, nous essayons d’apporter notre voix et de jouer notre rôle.
Quelles sont les causes de la migration en Afrique ?
Les causes sont multiples. La cause la plus connue, c’est les conditions de vie difficile des gens. L a pauvreté poussent les gens à migrer. D’abord au sein de leur propre pays puisque l’exode rural est la source de la migration internationale. On migre vers les villes, là où on essaie de trouver un emploi. Après certains tentent l’aventure internationale en essayant de trouver des conditions de vie meilleure dans des pays de la sous-région d’abord en Afrique de l’Ouest et aussi pour certains à l’international. La pauvreté n’est pas seulement la cause de la migration. Aujourd’hui, nous sommes témoins du changement climatique donc il suffit que la sécheresse frappe un village pour que la survie de ces personnes soit remise en question. Il suffit de constater que la situation difficile des femmes, ou l’exploitation de la société patriarcale peut contribuer aussi à mettre sur la route des femmes à la recherche d’une vie meilleure. Les causes sont multiples mais ce qui est sûr, c’est qu’elles se renforcent les unes, les autres et que de plus en plus de personnes se retrouvent sur la route.
Friedrich Ebert Stiftung a organisé les 25 et 26 juillet 2024 à Cotonou, une conférence internationale pour la « Convergence des acteurs pour une mobilité plus sûre des femmes » dont vous avez assuré la coordination. Pourquoi les femmes ?
Ce collectif regroupe des syndicats de l’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du Nord et d’Europe. Le but, c’est de renforcer la coopération entre syndicats de pays d’origine et d’installation pour une meilleure protection des travailleurs migrants. Le focus cette fois sur la femme migrante, c’est à nos yeux évident parce qu’entant que femme, elle est exposée à davantage de risques dans son parcours migratoires et donc ça nous a paru très important de pouvoir réunir des femmes syndicalistes pour traiter de la question et d’essayer de voir ce qui est possible de faire.
Quelles sont les motivations globales de cette assise de Cotonou ?
Aujourd’hui, les motivations sont celles de partager les expériences de femmes syndicalistes sur la question de la prise en charge des victimes et surtout de passer le message de la nécessité de convergence des acteurs. C’est-à-dire que les syndicats à eux seuls ne sont pas la solution, les associations féministes à elles seules ne sont pas la solution, les ONG de développement à elles seules ne sont pas la solution mais, tous ensemble, on est en mesure de pouvoir toucher et d’impacter d’une manière plus concrète la vie des migrants. C’est dans ce sens que nous avons décidé de nous réunir pour pouvoir appeler à l’unité d’action entre les différents acteurs à côté de l’institution de l’Etat quand elle existe mais avant tout au sein de la société civile.
La conférence de Cotonou devait aborder les défis spécifiques des femmes migrantes. Quels sont ces défis ?
Ces défis relèvent avant tout de la vulnérabilité plus forte des femmes. C’est-à-dire qu’elles sont exposées aux abus, à la violence et à l’isolement qui fait dans l’urgence, c’est plus urgent que les autres urgences. C’est un peu la situation caricaturale dans laquelle on est où tout devient de plus en plus urgent dans la migration. Mais c’est clair aussi que la femme, dans sa statut de femme et de femme africaine encore plus se retrouve dans des situations extrêmement graves et difficile qu’il est nécessaire de briser en ce concertant les uns et les autres pour créer comme un filet de repêchage pour permettre à ces femmes de ne pas sombrer dans des réseaux de trafic, des réseaux de prostitution, dans la violence et dans tout type d’exploitation.
Partagez avec nous les apports de la conférence de Cotonou
Les apports sont en termes de partages d’expérience. D’abord à partir de la plateforme multi-acteur du Bénin qui constitue une expérience pilote puisque c’est une plateforme qui réunit les syndicats, les associations d’avocats, des psychologues. C’est en ayant cette approche multi-casquette que nous serons en mesure de répondre aux besoins des femmes. L’intérêt, c’est aussi de faire non seulement un focus sur les femmes mais sur les femmes domestiques en particulier parce que les femmes domestiques travaillent dans la sphère privée. Ce sont des femmes qui sont exposées à des situations d’exploitation et de violence quand c’est le cas. Ce sont des femmes qui sont plus isolées parce que c’est plus difficile d’aller chercher les femmes qui travaillent dans la sphère privée dans des maisons plutôt que des femmes qui sont dans des milieux de travail professionnel ou dans des entreprises ou des restaurants. La rencontre, c’est de pouvoir partager l’expérience, de pouvoir aussi écouter le témoignage des femmes puisque nous avions eu la chance de pouvoir rencontrer des femmes migrantes de retour des pays du Golf. Mais pas seulement parce que ces problématiques ne se posent pas seulement dans les pays du Golf. Elles sont extrêmement graves dans les pays du Golf en termes de nombre mais c’est une réalité auxquelles sont confrontées les femmes domestiques dans nos propres pays en Afrique. Donc de pouvoir les écouter et de pouvoir aussi les soulager et les soutenir dans ce qu’elles ont vécu comme traumatisme. C’est pour nous quelque chose d’important.
Avec la conférence, peut-on désormais dire que la mobilité plus sûre des femmes est chose acquise ?
Bien-sûr que non. Je pense que tout est à refaire. La mobilité en générale est de plus en plus compliquée par rapport à cette logique de répression qui se généralise dans tous les Etats. Même entre pays africains. La militarisation des frontières qui est en train de se généraliser, la multiplication des conflits aussi qui fait que tout ce qui est mobilité humaine est exposée à de plus en plus de risques, des menaces de plus en plus fortes. A côté, on nous parle de migration régulière mais c’est une migration qui reste pour la majorité inaccessible. D’une part, à cause du niveau d’exigence en termes de diplôme, de langue ou de réseau parce qu’il faut avoir les connaissances pour pouvoir accéder aux opportunités de ce type. Aussi parce que ce n’est pas une réalité économique. Même si on parle de migration légale, c’est plus tôt un discours politique pour freiner la migration irrégulière, donner une impression que les Etats veulent organiser la migration mais au final c’est plutôt un artifice.
Quel est l'impact de la migration sur le développement de l’Afrique ?
Dans la plupart des pays, le transfert des revenus des migrants qui sont à l’étranger constitue une source de financement et une source de subsistance pour les familles laissées dans les pays d’origine. Dans le cas de mon pays, la Tunisie, aujourd’hui, le transfert de revenus des migrants tunisiens constitue la première source de devises pour le pays. Ce n’est pas un cas isolé. C’est un nombre important de pays africains. C’est une réalité économique mais après c’est une façon de valoriser la chose. Si on creuse un peu, on réalise aussi que ce sont des transferts de revenus qui ne permettent pas forcément le développement du pays d’origine parce que ce sont des revenus destinés à la consommation et à la survie. Ce n’est pas évident non plus de pouvoir évaluer concrètement dans quelle mesure ces transferts constituent un impact positif. En tout cas, il y a une diaspora qui se constitue à l’étranger. C’est une diaspora qui développe une expertise professionnelle qui est en mesure de soutenir les familles mais aussi potentiellement de réinvestir dans les pays d’origine. Et ça, ça constitue un espoir de développement.
Quels ont été vos acquis à Cotonou ?
Mes acquis, c’est de pouvoir m’enrichir de l’expérience des différents participants. Chacun a apporté sa propre vision, sa propre sensibilité, d’être aussi à l’écoute des migrants eux-mêmes parce qu’on a fait en sorte que nous ne parlions pas au nom des migrants mais que nous parlions avec et pour eux. Les migrants sont la première force de changement pour eux-mêmes, d’être à leurs écoute, c’est de pouvoir se positionner par rapport à leurs besoins et à leurs propres lectures des évènements. C’est quelque chose qui est, à mes yeux, la plus importante.
Que feriez-vous des recommandations de Cotonou ?
Déjà, c’est de pouvoir se solidariser les uns après les autres. On vit une situation où la situation socio-économique dans tous les pays se dégradent. Dans ce contexte, c’est très difficile de pouvoir se projeter en termes de forces de proposition. Les syndicats aujourd’hui ne sont pas forcément écoutés. Les Etats dominent totalement. Les politiques ne sont pas à l’écoute des forces vives de la société. Que ce soit les associations ou les syndicats. Donc on n’est dans une situation de blocage ou les leviers d’action sont très limités. Le plus important, c’est de pouvoir se focaliser sur les victimes. C’est de pouvoir, à l’échelle locale, des mécanismes de soutien, d’écoute, de protection par rapport aux victimes de personnes qui se retrouvent coincer dans des situations d’exploitation, d’abus, de trafic, de traite, d’être en mesure de les soutenir. La chose la plus importante, c’est de multiplier le partager d’expérience dans ce sens pour pouvoir venir en aide à des victimes plus tôt que d’entretenir l’illusion qu’on va être en mesure de changer les politiques migratoires des Etats qui se renforcent les uns et les autres dans une logique de répression et d’autoritarisme de la mobilité.
Interview réalisée par Judicael Kpehoun
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