Issa Hayatou, président de la Confédération africaine de football de 1987 à 2017
Issa Hayatou est mort. Le Camerounais qui a passé près de 30 ans à la tête de la Confédération africaine de football (CAF) a tiré sa révérence à Paris suite à une maladie. Il est dans une famille royale le 9 août 1946 à 5 000 km de Yaoundé, dans une cité édifiée sur les rives de la Bénoué, au temps du jihad de l’empire de Sokoto. Avec une vie de famille aisée, il n’a jamais eu à se battre sauf une fois, contre sa fratrie, après le bac, quand il a décidé de consacrer sa vie au sport.
1-Un sportif dans l’âme
Ce fils de sultan musulman est un passionné du sport. Il avait déjà une voie tracée par une riche famille de notables influents. Ses aînés ont choisi graviter autour de la politique. Amadou Hayatou est devenu secrétaire général de l'Assemblée nationale, Garga Alim Hayatou, secrétaire d'État à la Santé et Sadou Hayatou, Premier ministre. Mais, Issa Hayatou avait choisi une autre voie : le sport comme son métier et sa vie.
Il va débuter son parcours dans le sport par l’athlétisme et devient même champion du Cameroun sur 400 et 800 mètres. Il va participer aux tout premiers Jeux africains de l’histoire à Brazzaville en 1965. Dans le même temps, il est membre de l'équipe nationale camerounaise de basket-ball et international universitaire de football en 1964 et 1971. Il va finir par devenir professeur d’éducation physique et sportive à Yaoundé. Mais, le Camerounais ne va exercer ce métier qu’une seule année.
2-Destinée à de grandes choses dans le sport
Le prince de Garoua savait qu’il était prédestiné à accomplir de grandes choses dans le sport. Il délaisse donc vite le métier de professeur d’éducation physique et sportive et devient en 1974, secrétaire général de la Fédération camerounaise de football à 28 ans. C’est le début de son ascension dans le football camerounais. Huit ans plus tard, en 1982 il est nommé directeur des sports au ministère de la Jeunesse et des Sports. Il va devenir, en 1984, vice-président de la Fédération camerounaise de football.
Deux ans plus tard, Issa Hayatou finit président de la Fecafoot et intègre en même temps le comité exécutif de la Confédération africaine de football. Une nouvelle porte s’ouvre ainsi pour les sommets du football africain et mondial. Le Camerounais devient en août 1987 le cinquième président de la CAF en remplaçant l’Éthiopien Ydnekatchew Tessema, décédé. Commence alors la marche royale et inexorable qui lui a permis de transformer le football africain.
3-Des changements majeurs au football africain
Quand il prenait les rênes de la CAF, l’Afrique était loin d’être cette force politique désormais très courtisée par la FIFA et crainte par les Etats africains. Le Camerounais n’a notamment jamais toléré les critiques sur le fait que la Coupe d’Afrique des nations ait lieu en hiver, pendant les championnats européens de clubs. Il a, durant son règne à la CAF, résisté à leurs demandes que la CAN soit repoussée en juin, où le climat est loin d’être propice au football dans plusieurs régions du continent.
Quand il s’installait à la CAF, le continent n’a alors que deux représentants en phase finale de la Coupe du monde. L’activisme du natif de Garoua a contribué à ce que cette représentativité passe à trois en 1994, puis à cinq en 1998 avec le premier Mondial à 32 équipes. Il a ensuite développé les compétitions africaines. Au cours des sept mandats du Camerounais, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) est passée de huit à 12, puis de 12 à 16 équipes. La CAN a alors trouvé une formule bien rodée et efficace. Ce qui en fait quasiment l’une des compétitions d’équipes nationales de football la plus suivie internationalement après la Coupe du monde et l’Euro.
De nombreuses compétitions de clubs ou de sélections ont vu le jour sous lui, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes. Quand il quittait le navire, il en existait une dizaine, dont le Championnat d’Afrique des nations (CHAN), un tournoi continental réservé aux joueurs locaux.
Avec ces nombreuses compétitions, le Camerounais a enrichi la CAF, même si la CAN est restée la véritable poule aux œufs d’or. La Confédération a annoncé, le 16 mars 2017 au moment où le prince devrait quitte la présidence, qu’elle disposait de 108 millions de dollars de trésorerie et de 131 millions de dollars de capitaux propres. L’instance continentale a signé, en 2015, un mémorandum d’1 milliard de dollars avec la société Sportfive, devenue Lagardère Sports, contre la gestion des droits marketings et médias du football africain de 2017 à 2028.
L’une des plus belles réussites du Camerounais a été l’organisation de la Coupe du monde pour la première (et seule) fois en Afrique, en 2010 en Afrique du Sud. C’est sous son règne que l’Afrique a aussi remporté les titres de champion olympique, en 1996, avec le Nigeria, puis en 2000 avec le Cameroun.
4-Des décisions controversées
Comme à Garoua, le prince n’admet pas quitter la CAF jusqu’à ce que ses forces le quittent. Pour cela, il n’a jamais toléré la concurrence. En 2012, l’Ivoirien Jacques Anouma se présente comme un sérieux concurrent pour la présidence de la CAF. Mais il ne pourra pas être candidat. Parce que, d’un tour de main, Issa Hayatou fait modifier les textes. Il fait introduire dans les textes de l’instance une disposition qui dispose qu’il faut être ou avoir été membre du comité exécutif de la CAF pour pouvoir se présenter.
Ensuite, il fait à nouveau modifier les textes pour sauter la menace de la limite d’âge. Depuis le mois d’avril 2015, la règle des 70 ans a sauté. Lorsqu’on a prêté à Mohamed Raouraoua, le président de la Fédération algérienne, des ambitions de présidentielles, l’Algérie n’est pas choisie pour accueillir la CAN 2017, qui revient au Gabon, pourtant co-organisateur cinq ans auparavant.
En 2010, Hayatou prive le Togo de deux CAN. Et pour cause, les autorités togolaises exigent le retour au pays des footballeurs suite à l’attaque du bus de la sélection dans la région de Cabinda (et la mort de deux membres de l’encadrement). Il a été pourtant flexible dans le passé, comme lorsqu’il s’agissait d’attribuer l’organisation de la CAN 2004. La date limite d’envoi des candidatures avait été fixée au 31 mai 2000. Mais Robert Mugabe, le président du Zimbabwe, a fait parvenir la candidature de son pays hors délai. La CAF a alors décidé de lancer un nouvel appel à candidatures afin de prendre en compte la candidature du Zimbabwe.
Pour avoir refusé in extremis d’organiser la CAN 2015 en raison de la menace Ebola, le Maroc est suspendu pour deux CAN avant que le Tribunal arbitral du sport ne casse la décision. La Tunisie a dénoncé un arbitrage désastreux au cours de cette même CAN (finalement organisée en Guinée-Équatoriale) et la partialité de la CAF. Certains joueurs ont même appelé Hayatou à la démission. Comme punition, le président de la Fédération tunisienne, Wadie Jary, a été suspendu un an de toutes ses activités à la CAF. Et l’équipe nationale a été menacée de suspension pour la prochaine CAN 2017 « jusqu’à ce qu’une lettre d’excuses soit présentée ».
5-Survivre aux scandales
Le règne du prince de Garoua n’a pas échappé à des scandales. Hayatou sera cité, en décembre 2011, dans le scandale ISL (la société de marketing qui gérait dans les années 1990 les droits de retransmission de la Coupe du monde et les contrats commerciaux de la Fifa, et dont on s’est rendu compte après coup que l’une des principales activités était de verser des rétrocommissions). Il a échappé de peu à la correctionnelle.
Le Comité international olympique (CIO), dont il est membre depuis 2001, lui a infligé un blâme pour avoir perçu, en 1995, la somme de plus de 15 000 euros. Versée en liquide par ISL. Hayatou rétorque qu’il s’agissait de financer le 40e anniversaire de la CAF, qu’ISL fut un sponsor parmi d’autres des festivités, et qu’il a bien reversé l’argent dans les caisses de l’institution. « C’est inscrit sur un PV », s'était-il défendu.
Il y aura aussi les accusations qui ont été proférées après l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. En juin 2014, le Sunday Times révèle des e-mails compromettants et des virements d’argent suspects. Le média met à nu la machine à corrompre mise en place par le président de la confédération asiatique, le Qatari Mohamed Bin Hammam, pour se faire élire à la présidence de la FIFA (il a été banni à vie de l’instance pour cela, en décembre 2012). Des dizaines de présidents de fédération africains invités dans des palaces asiatiques, parfois avec leurs épouses. Des sommes versées sur leur compte personnel, à leur demande, soi-disant pour aider leur fédération.
Le nom d’Hayatou apparaît rarement dans les documents. Deux journalistes britanniques ayant publié une enquête sur le « Qatargate » (The Ugly Game : The Qatari Plot to Buy the World Cup), soutiennent que le Camerounais a cependant été au cœur de la stratégie. L’homme nie, il dit n’avoir pas été mis au courant de ces petits cadeaux entre amis.
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