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Homosexualité au Bénin : regard du sociologue Dodji Amouzouvi

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Agressions physiques et sexuelles, détention arbitraire, tortures et traitements inhumains. Selon le rapport 2021 de la Commission béninoise des droits de l’homme, « les difficultés d’acceptation et d’insertion des minorités sexuelles dans la société rendent difficile la jouissance de leurs droits » au Bénin. Pourquoi ce rejet ? L’homosexualité est-elle une réalité nouvelle ou une pratique ancienne gardée secrète ? Que faire pour arrêter « les violences physiques et morales et même la violation de leur droit à la vie de la part de leurs familles, leurs entourages, leurs collègues ou camarades ou encore tout simplement dans la société », telles que dénoncées par la CBDH ?

A la réponse à ces questions, Banouto, est allé à la rencontre de Dr Dodji Amouzouvi, professeur titulaire des universités CAMES. La cinquantaine dépassée, il est sûr qu’il ne va pas « refaire le monde », mais tient au respect de son africanité. C’est d’une démarche princière que ce sociologue béninois réputé dans la revendication de son identité vodoun sort de son 4x4 pour se diriger dans son bureau dans les locaux du Laboratoire d’analyse et de recherche : religions, espaces et développement (LARRED) où il nous reçoit rapidement, le temps d’une pause entre ses courses de prince de la cour royale de Dakodonou à Abomey.

Au sein de ce laboratoire dont il est directeur scientifique, l’homosexualité n’est pas un secret. Deux thèses ont été soutenues sur le sujet.

dodji-amouzouvi-homosexualite-lgbtq-beninDr Dodji Amouzouvi, sociologue et directeur scientifique du LARRED

Professeur Dodji, nous irons droit au but. Que savez-vous de la présence de l’homosexualité au Bénin ?

La question de l’homosexualité est fortement présente dans les sociétés béninoises, mais d’une présence, également fortement différenciée. A partir des deux thèses que nous avons fait soutenir ici au Laboratoire d’analyse et de recherches : religions, espaces et développement (LARRED), on peut dire que les homosexuels au Bénin, se chiffrent par dizaines de milliers dans notre pays. C’est donc dire que le phénomène est important, le phénomène est massif. Le phénomène est en train de gagner du terrain à une allure qu’on ne peut pas soupçonner.

Le fait, dites-vous gagne du terrain. Il y a pourtant un véritable rejet de l’homosexualité dans la population béninoise. Qu’est-ce qui explique alors la forte présence dont vous parlez ?

Chez nous au Bénin, les résistances existent et ne sont que des barrières culturelles, de perception et d’acceptation sociale ; mais ces barrières sont vite franchies face à la force de l’argent. Je le dis brutalement, parce que ceux qui aujourd’hui détiennent les bourses mondiales sont soit des homosexuels, soit des défenseurs de l’homosexualité. Quand vous avez besoin d’argent, ils vous imposent en disant, tant que vous n’allez pas les reconnaître et les mettre dans votre constitution, on vous ferme le robinet. Du coup, ça y est ! on accepte.

Deuxième chose qui a rendu facile la pénétration, c’est que le monde est devenu un gros village planétaire : les voies de pénétration et d’interconnexion sont présentes partout, les supports audiovisuels sont énormes. Par un simple clic, ce qui se passe au Japon est tout de suite su, le même jour, la même minute au Bénin. Ça facilite les choses. Nous sommes en train de récolter les avatars de l’évolution d’une société parce que nous sommes à la traine. Il y a le fait de prendre ceux qui sont en face comme des références.

dodji-amouzouvi-homosexualite-lgbtq-beninDr Dodji Amouzouvi, sociologue et directeur scientifique du LARRED

Autre facteur, nous avons identifié que parmi les causes de démarrage de cette situation chez nous, il y a la question du tourisme. Que ce soit le tourisme noble, le tourisme sexuel et tout autre type de tourisme.

Ce sont autant de causes qui expliquent que le phénomène est fortement présent chez nous.

Pourquoi une majorité de Béninois rejette l’homosexualité en dépit du nombre grandissant de la population des homosexuels ?

Les valeurs boussoles de notre société ou de nos sociétés aujourd’hui au Bénin, n’acceptent pas encore cette pratique-là. C’est pour cela que vous verrez des résistances frontales aux homosexuels. Les valeurs boussoles n’évoluant pas au même rythme que les valeurs importées, il y aura une sorte de contradiction chez nous, ce serait à prendre ou à laisser.

Que disent les valeurs boussoles au Bénin ?

Qu’elles soient religieuses, qu’elles soient des héritages culturels, qu’elles soient dans la perception que nous avons du sexe, ces valeurs boussoles disent : "pour manger de l’igname pilé, il faut un mortier et un pilon. Lorsque vous avez deux mortiers, vous ne mangez pas de l’igname pilé. Lorsque vous avez deux pilons, vous ne mangez pas de l’igname pilé."

Pendant longtemps, nous avons considéré le sexe de l’humain comme des organes reproducteurs et le mystère qui entoure la vie est tel que nous l’avons reporté sur ces organes. C’est pour cela que nous disons que le sexe de l’homme est tabou, le sexe de la femme est tabou avec toutes les conséquences malheureuses que cela peut avoir. Pour nous, c’est tellement sacré, c’est tellement mystérieux que la valeur et le respect qu’on doit leur donner ne peuvent passer que par des interdits, une sorte de tabourisation au point de sacralisation.

dodji-amouzouvi-homosexualite-lgbtq-beninDr Dodji Amouzouvi, sociologue et directeur scientifique du LARRED

Toute cette tendance à l’homosexualité humaine pratique qui ne soit pas une homosexualité rituelle, il y a une sorte de banalisation, il y a une sorte de choc, il y a une sorte de rejet, il y a une sorte de routinisation du sexe.  Ce qui ne convient pas avec nous, ce qui justifie le rejet. Il y a une sorte de défiance aux dieux. Aujourd’hui encore, nos cultures, notre héritage culturel est encore à ce niveau-là : on ne défie pas impunément un dieu ou les dieux. On ne provoque pas impunément un dieu. Aujourd’hui, mettre un homme et un homme ensemble, une femme et une femme ensemble, pour le Béninois lambda, pour notre culture, c’est une manière de défier les dieux. Si on veut que l’homosexualité ait de beaux jours, il faut travailler sur ces choses-là. Autrement, on forcerait. On l’apporterait au forceps et on ne crée pas une société harmonieuse. On ne le prend pas nous même, on nous l’impose par différents canaux ; pour différentes raisons, nous nous l’imposons nous-même.

Vous avez évoqué une homosexualité rituelle. De ce fait, peut-on encore dire que l’homosexualité n’a jamais existé au Bénin et qu’on nous l’impose ?

Ça n’a jamais existé en l’état. Les études, les niveaux de connaissance que nous avons aujourd’hui, remontent à une certaine posture homosexuelle spirituelle, mais pas pour s’accoupler, pour avoir le plaisir comme un homme et une femme auraient pu jouir du plaisir.

Quand nous rentrons dans une autre version mystique, spirituelle de notre vivre ensemble, de notre culture, on trouve des réminiscences de l’homosexualité, mais ça renvoie à une posture spirituelle. Ça renvoie dans un univers qui n’est pas le nôtre, l’univers physique humain que nous partageons. Lorsque vous avez un homme et qu’en fon (langue parlée au Bénin) vous dites " c’est la femme de telle vodoun", il y a déjà l’idée de sexualité. Lorsque dans leurs danses, certains initiés commencent par appliquer les positions de la sexualité, on peut l’analyser comme une anthropo-sexualité, mais ritualiste ou rituelle. Ça n’a rien avoir avec le fait qu’un homme va défoncer un autre homme puis le lendemain lui remet de l’argent, quitte à lui d’aller se faire soigner ou une femme d’aller s’accoupler avec une femme.

A vous suivre, on dirait que l’homosexualité est nuisible pour la société. Est-ce le cas ?

Oui ! pour moi, c’est socialement nuisible. Je vais tout de même nuancer ma position. Si la société est prête, si la société a évolué et a changé de trottoir par rapport au rôle dévolu au sexe, aux organes reproductifs de l’homme et de la femme, ce n’est pas nuisible. Mais, elle est nuisible si la société demeure avec ses valeurs boussoles dont je parlais, des valeurs repères qui fondent notre société et font du sexe, l’organe reproductif, l’organe à la base de la vie.

Si demain, nous évoluons au point où le sexe n’est plus dans le cadre qu’on lui a tracé, -puisque la culture est dynamique, elle évolue, elle gagne des éléments et en perd d’autres-, si notre société évolue au point où d’autres valeurs nous s’ouvrent, on peut regarder notre société en face et le dire. A l’étape à laquelle nous sommes aujourd’hui, j’insiste, ce n’est pas convenable. C’est précoce, c’est trop tôt et ça va apporter plus de désordre que ça n’apportera d’ordre.

Vous avez donc une position d’opposition à l’homosexualité ?

Pas d’opposition, mais de précocité. Je ne suis pas opposé à ça. Individuellement, chacun est libre de faire ce qu’il veut, mais sur le plan social, on n’est pas prêt. C’est précoce. On pourrait l’être demain comme on pourrait ne jamais être prêt. Tout dépendra. Mais, je ne suis pas de ceux qui pensent que pour être vite prêt, il faut le commencer. Non !

Je suis sociologue et les changements sociaux, les mutations sociales, c’est sur des générations et des générations, c’est sur des centaines d’années. Ce n’est pas du jour au lendemain. On ne peut pas décréter une loi pour imposer ça. Si la loi doit nous imposer ça, nous ne sommes pas culturellement prêts. On va créer une société à plusieurs vitesses et une société à plusieurs vitesses crée en elle-même ses propres forces de résistance, s’immobilise. Quand elle s’immobilise, elle s’atrophie et quand elle s’atrophie elle rentre dans la décadence et quand elle rentre en décadence, elle disparaît.

dodji-amouzouvi-homosexualite-lgbtq-beninDr Dodji Amouzouvi, sociologue et directeur scientifique du LARRED

Les personnes homosexuelles subissent aujourd’hui des violences de toute sorte. Est-ce qu’il faut du fait que notre société n’est pas prête, continuer à entretenir cette hostilité envers les homosexuels ou il faudra leur permettre de jouir de leurs droits en tant que personne humaine ?

Pour être franc. On ne peut pas continuer à entretenir une hostilité. Un Etat qui entretient ça n’est pas responsable, un gouvernement qui entretient ça n’est pas responsable puisque les homosexuels sont aussi les enfants de la République. Le problème, si on fait une analyse telle que je le fais, c’est de savoir s’il y a des mécanismes à mettre en place pour que le saut ne soit pas fait afin que nous soyons toujours en face avec nos valeurs.  Si on constate que les valeurs ont évolué, on accompagne. Première chose. Deuxième chose, on met en place des mécanismes pour que les minorités ne soient pas écrasées.

Du point de vue de la société, il faut travailler pour que la société évolue, comprenne, mûrisse. Il y a des chocs intérieurs comme des chocs extérieurs. Il faut compter avec le temps. Un jour viendra où être homosexuel ne sera plus un problème, mais pour le moment, c’est un problème parce que ça ne répond pas aux valeurs. Quand on sait que les valeurs évoluent, il faut suivre et laisser éclore au moment où ça doit.

Puisque vous observez que l’homosexualité pose un problème pour notre société actuellement, quelle est la responsabilité de la société elle-même dans la survenance de l’homosexualité en son sein ?

La responsabilité de la société est minime. Je vous vois venir. Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on va réduire la fièvre. Lorsqu’un homme maltraite une femme, ce n’est pas en allant vers une autre femme qu’on règle le problème. Il y a aussi de la maltraitance de l’autre côté. Il faut chercher les causes, les raisons, les motifs de ce qui peut être foyer, terreau pour l’homosexualité et de les régler. Il y a des lois, il y a des règlementations, des mécanismes, des institutions qui prennent en charge cet homme martyrisé ou cette femme traumatisée pour les remettre à flot. Si les institutions sociales en charge de cela démissionnent ou dysfonctionnent, le premier raccourci qui s’offre, c’est de dire " puisque l’homme m’a violé, m’a traumatisé, je préfère aller vers une femme". Mais, il y a des thérapies, il y a des psychologues dans le pays, nous avons des juristes, nous avons des mécanismes.

Tous les homosexuels ne le deviennent pas à la suite d’un traumatisme, il y en a qui naissent ainsi. C’est ce qui ressort de leurs témoignages. Vous le savez ?

Faux ! Faux !

Vous contestez leurs témoignages ?

En tant que sociologue, je conteste ça jusqu’au dernier jour de ma vie. On ne naît pas génie, on le devient. On ne naît pas homosexuel, on le devient. Nous naissons tous avec la faculté, le penchant sexuel. C’est pour ça qu’il y a ces organes, ces sensibilités, cette affectivité en nous. Mais, on ne naît pas homosexuel. On ne naît pas non plus hétérosexuel. On apprend à aller vers l’homme, on apprend à aller vers la femme. On apprend à faire la cour à un homme. Même si aujourd’hui, c’est facilité. Est-ce que hier une femme faisait la cour à un homme ? Non ! Hier, est-ce qu’on faisait l’amour en plein jour ? Non. Avant, les parents attendent que les enfants dorment avant de faire l’amour. Donc, on évolue. On ne peut pas me dire " je suis né homosexuel". Si quelqu’un le dit, il a manqué de bonne raison.

La famille est le premier noyau de la société. Quelle est la facture sociale pour un parent de personne homosexuelle ?

La facture peut être très salée lorsque le parent rejette cela en bloc soit pour les convictions religieuses, soit pour les convictions idéologiques, soit pour des convictions culturelles. Le regard de la société est stigmatisant. La famille peut se disloquer, on peut même renier cet enfant-là. Ça peut être aussi, " ok ! on laisse faire, c’est son choix". Tout dépend de l’environnement familial dans lequel on se retrouve.

dodji-amouzouvi-homosexualite-lgbtq-beninDr Dodji Amouzouvi, sociologue et directeur scientifique du LARRED

Un parent a-t-il des responsabilités dans le fait que son enfant devienne homosexuel ou hétérosexuel ?

Forcément. Les responsabilités sont de différents degrés. S’il commence tôt, le parent est plus responsable. S’il commence tard, le parent est moins responsable. Si je suis autonome, je ne vis pas avec mes parents, ils ne peuvent pas savoir ce que je fais de mon sexe au quotidien. Ils ne découvriront jamais si je ne veux pas qu’ils découvrent. Si j’étais encore sous leur toit où ils ont encore à jouer leur rôle de père et de mère, là leur responsabilité est plus grande dans ce que je deviens.

Qu’est-ce que les parents peuvent faire face à la situation lorsqu’il découvre que leur enfant à des tendances homosexuelles ?

Il faut écouter son enfant. Il faut suivre son enfant. Il faut voir les différents milieux qu’il fréquente. Il faut être à l’écoute permanente de son enfant. Et puis il faut beaucoup parler avec lui.

Avec tout ce que je dis qui est ma position personnelle vis-à-vis de l’homosexualité, si mon enfant vient avec ce penchant, je ne le rejetterais pour rien au monde. Au contraire, je le prends, et ce que je sais des forces, des faiblesses, des avantages et des inconvénients que ça a ; je lui dis pour qu’il pose de manière claire et assurée ses pas dans son choix.

Nous avons eu des parents qui ont témoigné avoir eu de multiples tentatives pour amener leurs enfants à rebrousser chemin, mais en vain. Ces parents vivent avec une certaine douleur. Que leurs dites-vous ?

Je leur dirai qu’ils ont certainement eu la mauvaise méthode. S’ils ont eu la bonne méthode, ils n’ont pas à vivre avec douleur. Ils doivent se dire " j’ai fait ce que je dois faire et puis il a choisi".

La bonne méthode, c’est laquelle ?

La bonne méthode c’est l’écoute, c’est la patience, c’est l’acceptation de l’autre et quand on constate que ce que veut le parent, l’enfant ne le fait pas, c’est de rentrer dans son choix à lui à partir d’un certain âge et de ne pas être son ennemi.

Beaucoup d’homosexuels meurent ou font recours à des voies illicites pour les problèmes de santé du fait de la stigmatisation. Que dites-vous aux auteurs d’actes de discrimination sur les minorités sexuelles ?

Pas question de leur refuser des services. Ils passeront par des voies détournées et c’est un autre problème de santé publique qui se pose. Ça crée des ostracismes, ça crée des replis sur soi-même, ça crée des milieux exclusivement réservés à ces gens. Ça crée aussi des peurs de se déclarer homosexuel et ça crée d’autres problèmes sur la personnalité.

Le problème est déjà là. Donc, on n’a pas à prévenir ça. On a à prendre ça en compte, leur offrir l’espace qu’il faut, les considérer comme des minorités et leur expliquer les forces et les faiblesses de cela. Un peu comme moi j’explique à mon enfant à la maison, le danger qu’il y a à aller vers le sexe s’il n’est pas prêt dans la tête, dans le corps et dans la poche. De la même manière, les institutions sociales doivent mettre en place des mécanismes pour que, du moment, où chacun déclare son homosexualité, il puisse être pris non pas en aversion, mais en charge. On lui présente les avantages et les inconvénients. Quand vous suivez la trajectoire des homosexuels, ce travail n’est presque jamais fait.

Moi je ne suis pas homosexuel et je ne suis pas en guerre contre l’homosexualité. Je respecte ceux qui font ce choix. Je suis ouvert au débat avec ceux qui font ce choix, je respecterai leur point de vue. Il faut rentrer dans leur moule pour les comprendre pour en faire des amis plutôt que des ennemis.

Réalisation : Olivier RIBOUIS

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