Dame Houndéhoun, femme victime des voies de Togouin
Ils auraient aujourd’hui vingt ans environ si elle ne les avait pas perdus à l’accouchement. Regard dans le vide, Houndéhoun se souvient avec tristesse de la manière dont ses jumeaux ont trépassé à Togouin, son village. C’était son premier geste. Malheureusement, ce ne sera jamais possible de les compter parmi ses enfants. « La grossesse avait plus de neuf mois. Lorsque le travail a commencé, j’avais des douleurs et on n’a pas trouvé de moto pour m’amener à l’hôpital », raconte la quarantenaire qui dit avoir pris le chemin à pied. « La voie n’est pas bonne et le centre de santé où je me rendais est loin d’ici. En chemin, j’ai trébuché et j’ai accouché sur le champ. C’est un passant qui m’a vu allongée et est venu à mon secours », poursuit-elle les yeux presque larmoyants.
Conduite à l’hôpital avec ses bébés, ces derniers ont succombé le 4e jour, la laissant dans un état critique. Grâce à Dieu, témoigne cette mère de 4 enfants, elle a pu s’en sortir et reprit le cours de sa vie. Mais, cet incident devenu drame l’aura marqué à tout jamais. Même si Houndéhoun a eu quatre autres enfants après, elle n’oublie jamais ses jumeaux perdus à cause de l’état des voies de Togouin. Deux ans après, dans cette même localité, elle dit avoir perdu une amie dans des circonstances presque similaires. « Lorsqu’elle a commencé le travail, on ne trouvait pas un moyen pour l’amener à l’hôpital. On a tellement trainé à la maison qu’elle a succombé à la douleur des contractions, après avoir propulsé le bébé qui est aussi mort par la suite », témoigne-t-elle. Deux décennies après, rien n’a changé selon cette victime des voies de Togouin, rencontrée le vendredi 24 septembre 2021. Pour elle, les mêmes causes continuent de produire les mêmes effets. Même si son mari a décidé qu’elle n’y reste plus pour sa sécurité et ses grossesses, la quarantenaire déplore cette situation que continuent de vivre plusieurs femmes de son village.
Un pont à Togouin
Togouin est situé dans l’arrondissement de Djanglanmè, commune de Toffo au sud du Bénin. Le village a un relief accidenté par endroit. Mère de trois enfants, dame Florence évoque les conditions dans lesquelles, les femmes de ce village prennent le chemin de l’hôpital lorsqu’elles sont en état de grossesse. « J’ai accouché mes deux premiers enfants ailleurs et j’ai régulièrement fait les consultations prénatales. Avant l’accouchement de cet enfant (montrant son bébé d’un an, Ndlr), je n’ai fait qu’une consultation lors du premier trimestre. Quand la grossesse évoluait, je ne pouvais plus continuer à prendre cette voie pour aller à l’hôpital », a confié la jeune dame qui dit avoir malgré tout accouché au centre de santé, mais péniblement.
S’abstenir d’emprunter cette voie dégradée pour protéger son futur bébé, n’est pas que le choix de Florence. Selon Séphora, mère de 5 enfants, à part l’irrégularité aux consultations prénatales, plusieurs femmes de Togouin accouchent encore à domicile. « Certaines vont à l’hôpital après l’accouchement, mais d’autres n’y vont pas », confie-t-elle. Ayant déjà fait un accouchement à domicile, elle le déconseille. Mais, fait-elle remarquer, « parfois la volonté disparaît face à la réalité ».
« Cols fragiles », abstenez-vous !
Vieille Akouavi, victime et témoin des affres des routes de Togouin
Plus de la soixantaine, Akouavi estime que les voies de Togouin ne sont pas pour les femmes aux « cols fragiles ou sensibles ». Et pour cause, témoigne-t-elle, avec ce relief accidenté accompagné de trous çà et là, il est facile de trébucher et se retrouver au sol. « Lorsqu’une femme enceinte tombe, elle peut ne pas perdre son bébé sur le champ, malgré le coup. Mais plus tard, d’autres activités peuvent déclencher la fausse couche », explique-t-elle se basant sur son âge et ses observations.
Cette situation, se lamente-t-elle, rend triste. « Quand tu sais que tu es enceinte, tu es contente de bientôt avoir un enfant avec qui t’amuser puis en un clin d’œil, tu le perds », regrette-t-elle. Dans ce village, apprend la vieille dame, lorsque les femmes ne perdent pas leurs grossesses, elles accouchent en chemin ou à domicile. En saison pluvieuse, apprennent les femmes de Togouin rencontrées, l’état des voies est davantage inquiétant. Selon leurs témoignages, à cause de la boue, les rares motocyclistes du village refusent d’emprunter ces voies pour des « miettes ».
Lucrèce Houégbé est l’actuel sage-femme de la maternité de Djanglanmè. À cause de l’état des voies de cet arrondissement, apprend-elle, plusieurs femmes ne se rendent pas au centre de santé pour les consultations. « J’ai fait des sensibilisations sur l’importance de la CPN (consultation prénatale, Ndlr) en vain », se plaint-elle. « En plus de ça, elles font des accouchements à domicile », ajoute la sage-femme. Quelques mois plus tôt, raconte-t-elle, une femme a été reçue après avoir accouché à domicile. « Elle m’a dit qu’ils n’ont pas trouvé de moto et qu’elle ne pouvait pas marcher », témoigne cet agent de santé.
Aperçu d'une voie dégradée par l'eau de ruissellement à Togouin
Les femmes d’Oroukparé vivent les mêmes réalités. Dans ce village de l’arrondissement de Kountori, commune de Cobly, au nord-ouest du Bénin, les voies sont impraticables même pendant la saison sèche. En période de pluies, elles sont inaccessibles, apprennent les riverains. Comme à Togouin, les femmes de ce village n’arrivent pas à faire la CPN à cause de l’état de la voie. Delphine, la trentaine, est mère de trois enfants et attend le quatrième. Elle dit aller rarement en consultations pendant ses grossesses. « Mon mari dit qu’il ne peut pas m’amener parce que la voie n’est pas bonne. Quand j’insiste il me dit de marcher pour y aller et moi je ne peux pas oser le faire », raconte-t-elle d’un air triste.

Difficile pour elle de prendre cette voie accidentée et impraticable à pied, elle s’est souvent résignée. Mais pour l’accouchement de son troisième enfant, l’irrégularité ou l’absence des CPN, n’est pas restée sans conséquences. « J’ai accouché difficilement et après la sortie du bébé, je ne me sentais plus, j’ai perdu toutes mes forces, j’ai fait une crise. Pensant que j’ai trépassé, la matrone a pris peur et a fui », se souvient-elle.
Fort heureusement, poursuit la jeune femme, l’aide-soignant l’a trouvée agonisante et l’a sauvée. « Il a mis un morceau de sucre dans ma bouche pour me réanimer », raconte la jeune femme. Elle et son bébé n’étaient pas en forme. L’enfant accouché ce jour, fait-elle remarquer, a connu des problèmes de santé et de croissance. « Depuis ce jour, j’ai dit quelle que soit la situation, j’irai toujours à la consultation », avait-elle décidé. Mais, c’était sans compter avec l’état de la voie. Presqu’à terme de sa quatrième grossesse, Delphine n’a fait qu’une CPN au premier trimestre.
Epoux et autorités préoccupés mais impuissants
Etienne Sambiéni, chef du village d'Oroupkaré
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