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Consultations prénatales au Bénin : les routes de la mort

Consultations prénatales au Bénin : les routes de la mort

Au Bénin, les voies sont impraticables dans plusieurs communes en milieu rural. Cette situation pose d’énormes problèmes aux femmes enceintes dont certaines sont irrégulières ou absentes aux consultations prénatales. Dans les villages de Togouin, commune de Toffo (sud du Bénin) et Oroukparé à Cobly, au nord-ouest, plusieurs femmes ont eu des fausses couches et d’autres ont trépassé à cause de cet état de choses. Récit de témoignages et d’histoires de femmes de ces villages. 

Au Bénin, les voies sont impraticables dans plusieurs communes en milieu rural. Cette situation pose d’énormes problèmes aux femmes enceintes dont certaines sont irrégulières ou absentes aux consultations prénatales. Dans les villages de Togouin, commune de Toffo (sud du Bénin) et Oroukparé à Cobly, au nord-ouest, plusieurs femmes ont eu des fausses couches et d’autres ont trépassé à cause de cet état de choses. Récit de témoignages et d’histoires de femmes de ces villages. 

bDame Houndéhoun, femme victime des voies de Togouin

 

Ils auraient aujourd’hui vingt ans environ si elle ne les avait pas perdus à l’accouchement. Regard dans le vide, Houndéhoun se souvient avec tristesse de la manière dont ses jumeaux ont trépassé à Togouin, son village. C’était son premier geste. Malheureusement, ce ne sera jamais possible de les compter parmi ses enfants. « La grossesse avait plus de neuf mois. Lorsque le travail a commencé, j’avais des douleurs et on n’a pas trouvé de moto pour m’amener à l’hôpital », raconte la quarantenaire qui dit avoir pris le chemin à pied. « La voie n’est pas bonne et le centre de santé où je me rendais est loin d’ici. En chemin, j’ai trébuché et j’ai accouché sur le champ. C’est un passant qui m’a vu allongée et est venu à mon secours », poursuit-elle les yeux presque larmoyants.

Conduite à l’hôpital avec ses bébés, ces derniers ont succombé le 4e jour, la laissant dans un état critique. Grâce à Dieu, témoigne cette mère de 4 enfants, elle a pu s’en sortir et reprit le cours de sa vie. Mais, cet incident devenu drame l’aura marqué à tout jamais. Même si Houndéhoun a eu quatre autres enfants après, elle n’oublie jamais ses jumeaux perdus à cause de l’état des voies de Togouin. Deux ans après, dans cette même localité, elle dit avoir perdu une amie dans des circonstances presque similaires. « Lorsqu’elle a commencé le travail, on ne trouvait pas un moyen pour l’amener à l’hôpital. On a tellement trainé à la maison qu’elle a succombé à la douleur des contractions, après avoir propulsé le bébé qui est aussi mort par la suite », témoigne-t-elle. Deux décennies après, rien n’a changé selon cette victime des voies de Togouin, rencontrée le vendredi 24 septembre 2021. Pour elle, les mêmes causes continuent de produire les mêmes effets. Même si son mari a décidé qu’elle n’y reste plus pour sa sécurité et ses grossesses, la quarantenaire déplore cette situation que continuent de vivre plusieurs femmes de son village.  

bUn pont à Togouin

 

Togouin est situé dans l’arrondissement de Djanglanmè, commune de Toffo au sud du Bénin. Le village a un relief accidenté par endroit. Mère de trois enfants, dame Florence évoque les conditions dans lesquelles, les femmes de ce village prennent le chemin de l’hôpital lorsqu’elles sont en état de grossesse. « J’ai accouché mes deux premiers enfants ailleurs et j’ai régulièrement fait les consultations prénatales. Avant l’accouchement de cet enfant (montrant son bébé d’un an, Ndlr), je n’ai fait qu’une consultation lors du premier trimestre. Quand la grossesse évoluait, je ne pouvais plus continuer à prendre cette voie pour aller à l’hôpital », a confié la jeune dame qui dit avoir malgré tout accouché au centre de santé, mais péniblement.

S’abstenir d’emprunter cette voie dégradée pour protéger son futur bébé, n’est pas que le choix de Florence. Selon Séphora, mère de 5 enfants, à part l’irrégularité aux consultations prénatales, plusieurs femmes de Togouin accouchent encore à domicile. « Certaines vont à l’hôpital après l’accouchement, mais d’autres n’y vont pas », confie-t-elle. Ayant déjà fait un accouchement à domicile, elle le déconseille. Mais, fait-elle remarquer, « parfois la volonté disparaît face à la réalité ».

« Cols fragiles », abstenez-vous !

bVieille Akouavi, victime et témoin des affres des routes de Togouin

 

Plus de la soixantaine, Akouavi estime que les voies de Togouin ne sont pas pour les femmes aux « cols fragiles ou sensibles ». Et pour cause, témoigne-t-elle, avec ce relief accidenté accompagné de trous çà et là, il est facile de trébucher et se retrouver au sol. « Lorsqu’une femme enceinte tombe, elle peut ne pas perdre son bébé sur le champ, malgré le coup. Mais plus tard, d’autres activités peuvent déclencher la fausse couche », explique-t-elle se basant sur son âge et ses observations.

Cette situation, se lamente-t-elle, rend triste. « Quand tu sais que tu es enceinte, tu es contente de bientôt avoir un enfant avec qui t’amuser puis en un clin d’œil, tu le perds », regrette-t-elle. Dans ce village, apprend la vieille dame, lorsque les femmes ne perdent pas leurs grossesses, elles accouchent en chemin ou à domicile. En saison pluvieuse, apprennent les femmes de Togouin rencontrées, l’état des voies est davantage inquiétant. Selon leurs témoignages, à cause de la boue, les rares motocyclistes du village refusent d’emprunter ces voies pour des « miettes ».

Lucrèce Houégbé est l’actuel sage-femme de la maternité de Djanglanmè. À cause de l’état des voies de cet arrondissement, apprend-elle, plusieurs femmes ne se rendent pas au centre de santé pour les consultations. « J’ai fait des sensibilisations sur l’importance de la CPN (consultation prénatale, Ndlr) en vain », se plaint-elle. « En plus de ça, elles font des accouchements à domicile », ajoute la sage-femme. Quelques mois plus tôt, raconte-t-elle, une femme a été reçue après avoir accouché à domicile. « Elle m’a dit qu’ils n’ont pas trouvé de moto et qu’elle ne pouvait pas marcher », témoigne cet agent de santé.

bAperçu d'une voie dégradée par l'eau de ruissellement à Togouin

 

Les femmes d’Oroukparé vivent les mêmes réalités. Dans ce village de l’arrondissement de Kountori, commune de Cobly, au nord-ouest du Bénin, les voies sont impraticables même pendant la saison sèche. En période de pluies, elles sont inaccessibles, apprennent les riverains. Comme à Togouin, les femmes de ce village n’arrivent pas à faire la CPN à cause de l’état de la voie. Delphine, la trentaine, est mère de trois enfants et attend le quatrième. Elle dit aller rarement en consultations pendant ses grossesses. « Mon mari dit qu’il ne peut pas m’amener parce que la voie n’est pas bonne. Quand j’insiste il me dit de marcher pour y aller et moi je ne peux pas oser le faire », raconte-t-elle d’un air triste.

bUn groupe de personnes dont une femme enceinte sur un pont traditionnel à Oroukparé

 

Difficile pour elle de prendre cette voie accidentée et impraticable à pied, elle s’est souvent résignée. Mais pour l’accouchement de son troisième enfant, l’irrégularité ou l’absence des CPN, n’est pas restée sans conséquences. « J’ai accouché difficilement et après la sortie du bébé, je ne me sentais plus, j’ai perdu toutes mes forces, j’ai fait une crise. Pensant que j’ai trépassé, la matrone a pris peur et a fui », se souvient-elle.

Fort heureusement, poursuit la jeune femme, l’aide-soignant l’a trouvée agonisante et l’a sauvée. « Il a mis un morceau de sucre dans ma bouche pour me réanimer », raconte la jeune femme. Elle et son bébé n’étaient pas en forme. L’enfant accouché ce jour, fait-elle remarquer, a connu des problèmes de santé et de croissance. « Depuis ce jour, j’ai dit quelle que soit la situation, j’irai toujours à la consultation », avait-elle décidé. Mais, c’était sans compter avec l’état de la voie. Presqu’à terme de sa quatrième grossesse, Delphine n’a fait qu’une CPN au premier trimestre.

Epoux et autorités préoccupés mais impuissants

bEtienne Sambiéni, chef du village d'Oroupkaré

 

« Nos femmes sont obligées de rester à la maison à cause de l’état de la voie. Pas plus tard qu’une semaine, une femme a accouché à côté du nouveau pont. L’eau à divisé le pont en deux et comme la moto ne pouvait pas continuer, elle a accouché là » témoigne un homme rencontré à Oroukparé. Selon lui, seulement ceux qui sont proches de l’hôpital y vont facilement. Conséquence, relève-t-il, il y a beaucoup d’accouchements à domicile. D’autres hommes ont également reconnu l’irrégularité des femmes à la CPN et les accouchements à domicile.

« Ici, la voie est un goulot d’étranglement », peint inquiet le chef du village, Etienne Sambiéni. Selon lui, dans certains cas, les gens sont obligés de contourner pour aller à Boukoumbé, commune voisine après avoir parcouru environ quarante kilomètres. A cause de la voie, raconte-t-il, une femme a trépassé en voulant accoucher, il y a trois ans. « Elle a commencé le travail tard dans la nuit. Le temps de trouver une moto, faire ce trajet jusqu’à Cobly, qu’elle soit référée et admise à Tanguiéta (à l’Hôpital Saint Jean de Dieu, Ndlr), c’était trop tard », témoigne glacée l’autorité locale.

Après les multiples démarches et plaidoyers pour doter Oroukparé d’un centre de santé, la question de la route reste une « préoccupation majeure » selon Barthélémy Moutouama, chef de l’arrondissement (CA) de Kountori entre 2004 et 2008. Selon l’ex-CA, Oroukparé est une zone très enclavée. « Nous l’avions surnommé ‘’La vallée’’ à cause de sa position géographique (entouré de montagnes, Ndlr) inaccessible », renseigne-t-il, regrettant le statu quo sur les difficultés des riverains.

Toussaint Sinwonko, deuxième adjoint au maire de Cobly déplore également l’état des voies de sa localité. « Il y a plusieurs centres de santé à Cobly. Mais dans certains villages, l’impraticabilité des voies restent un obstacle notamment pour les femmes enceintes. Un marigot débordé en saison pluvieuse peut bloquer le passage », s’en plaint-il. « Nous appelons à un plan spécial de l’Etat pour installer des infrastructures de base et de développement à Cobly », a lancé l’autorité communale.

Que ce soit à Cobly ou à Djanglanmè (Toffo), les autorités sont préoccupées par l’état des voies. Les difficultés des femmes de Togouin sont communes à celles des autres villages de l’arrondissement, apprend Lazare Dandjinou le CA. « Parfois nous regardons impuissants les souffrances de nos populations », confie-t-il. Avec les moyens de bord, explique l’autorité, les populations sont parfois mobilisées pour essayer d’arranger ces voies, mais cela ne change pas grand-chose. « Il faut un engin lourd pour l’ouverture de certaines pistes », souligne le CA. 

Efforts des agents de santé pour une CPN à toutes

bMoïse Gbessi, Infirmier chef poste (ICP) Oroukparè

 

L’impraticabilité des voies dans certaines zones préoccupent également les agents de santé. A Oroukparé, en dehors des sensibilisations des femmes par le personnel soignant, il y a des séances spéciales de descente sur le terrain. Félicien N’Tia a été Infirmier chef poste (ICP) Oroukparé entre 2014 et 2020. Pendant ses six ans de service dans ce village, il dit avoir enregistré plusieurs accouchements à domicile, les premières années. « Il y avait cinq à dix accouchements à domicile mais grâce aux sensibilisations, elles font des efforts pour venir faire les CPN, malgré l’état des voies », apprend-il.

Ces sensibilisations, témoigne Moïse Gbessi, son successeur au CS d’Oroukparé, ont réduit les accouchements à domicile et augmenté la présence des femmes aux consultations prénatales. D’octobre 2020 à septembre 2021, l’infirmier confie n’avoir enregistré que deux accouchements à domicile. Même s’il ne s’agit que des accouchements déclarés, ces agents de santé se réjouissent de cette amélioration. « Nous sommes conscients de l’état des voies. C’est pourquoi lors des séances, nous insistons sur l’importance de la CPN et les conséquences en cas de manque de suivi des grossesses », déclare l’infirmier Gbessi. Mais là encore, pour faire des échographies et autres examens à Cobly, apprend-il, la distance (environs 20 km) et l’état des voies compliquent tout.

Des échanges avec plusieurs agents de santé et les riverains eux-mêmes, il ressort que toutes les femmes ne vont pas en consultation prénatale. Victor Jésugnon Yédénou est le Major central du centre de santé communal (CSC) de Cobly. Dans cette aire sanitaire, dit-il, en dehors des raisons économiques et culturelles, les agents de santé comprennent les difficultés de certaines femmes pour faire les CPN.

« Nous organisons chaque mois, des stratégies avancées groupées à l’endroit des villages reculés où la voie est inaccessible afin de rapprocher les soins des populations. » Lors de ses séances, apprend-il, des CPN sont également faites aux femmes.

Environ 1500 décès maternels

Au Bénin, notamment en milieu rural, faire des bilans médicaux avant un accouchement constitue un problème pour bon nombre de femmes. L’impraticabilité des routes dans certains villages, est l’une des principales raisons de cette situation. Selon « Médecins Sans Frontières », dans un guide médical pour les soins obstétricaux et du nouveau-né, il est « recommandé de faire quatre consultations prénatales au cours d’une grossesse non compliquée ».

Plusieurs rapports de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) montrent que de plus en plus, des centaines de femmes meurent chaque année de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Selon le Plan opérationnel de réduction de la mortalité maternelle et néonatale au Bénin 2018-2022, chaque année, environ 1500 décès maternels et plus de 12 000 décès de nouveau-nés sont enregistrés dans le pays. Selon un rapport de la Banque mondiale et plusieurs organismes internationaux, la mortalité maternelle et néonatale demeure un problème de santé publique au Bénin malgré les efforts déployés par l’Etat béninois et ses partenaires techniques et financiers (PTF).

La Cinquième enquête démographique et de santé au Bénin (EDSB) 2017-2018 de l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Économique (INSAE) révèle que 83% des femmes qui ont eu une naissance vivante au cours des cinq dernières années ont reçu des soins prénatals. « Ce niveau élevé cache certaines disparités. On constate par exemple, que si 95 % des femmes de Cotonou ont reçu des soins prénatals, ce pourcentage n’est que de 79 % en milieu rural », nuance les enquêteurs.

Ces chiffres révélés dans les rapports ne prennent pas en compte les décès liés à l’accouchement qui ne sont pas déclarés. Or, dans plusieurs contrées du pays, tous les accouchements à domicile ne sont pas déclarés, très souvent pour raison financière. 

NB: Cet article a été réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", financé par la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et Odd Tv.