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Sodabi frelaté dans l’Atacora au Bénin: à qui profite le crime ? (4/4)

Sodabi frelaté dans l’Atacora au Bénin: à qui profite le crime ? (4/4)

Dernier épisode de notre série sur l’addiction au sodabi chimique dans l’Atacora, département du nord-ouest du Bénin. Cet alcool frelaté, comme indiqué dans les précédents épisodes dicte sa loi, détruit des vies et des familles. Face à l’échec des initiatives de lutte contre le phénomène, certaines voix soupçonnent l’action de lobbys.

Dernier épisode de notre série sur l’addiction au sodabi chimique dans l’Atacora, département du nord-ouest du Bénin. Cet alcool frelaté, comme indiqué dans les précédents épisodes dicte sa loi, détruit des vies et des familles. Face à l’échec des initiatives de lutte contre le phénomène, certaines voix soupçonnent l’action de lobbys.

ImageCes dernières années, plusieurs initiatives ont été menées contre le fléau de la commercialisation et la consommation de l’alcool frelaté dans l’Atacora. Certaines ont été tuées dans l’œuf. A Natitingou, le comité communal de lutte créé par le maire grâce à DCVC a été gelé au bout de quelques mois. Au cours d’une conférence de presse en avril 2021, l’association a dénoncé un « échec sournoisement voulu par certains membres dudit comité ». Le scénario est quasi identique dans les autres communes où des entraves n’ont pas permis, à ce jour, d’arriver à bout du sodabi frelaté.

En décembre 2018, les maires et les populations de l’Atacora ont marché contre la fabrication, l’importation, la commercialisation et la consommation de l’alcool frelaté. Abassi Moussa, le porte-parole des manifestants avait alors mis l’accent sur les ravages d’un fléau qui décime la jeunesse, fer de lance du développement du département.

Aux côtés des manifestants, Rodrigue Elègbè, représentant du Conseil de l’alimentation et de la nutrition (Can) alertera lui, sur les indicateurs de sécurité alimentaire et de nutrition du département, « toujours au rouge ». D’après ses explications, les indicateurs de retard de croissance sont toujours les plus élevés dans l’Atacora par rapport au reste du Bénin. Il souligne qu’il ne saurait en être autrement, « lorsque les interventions se font sur un terrain d’alcoolisme aggravé ».

Recevant le plaidoyer des populations et des élus locaux ce jour-là, le préfet Lydie Chabi Nah s’était montrée rassurante et déterminée. L’autorité avait promis « rendre compte fidèlement » au président Patrice Talon pour « des décisions fortes au niveau du palais de la République ».

A Matéri, les velléités d’assainissement engagées par la troisième mandature du conseil communal, sous la houlette du feu maire Sorikoua Sambiéni, ont été vite étouffées. Pour réduire le nombre pléthorique de vendeurs, le conseil avait institué des taxes mensuelles mais, mal lui en a pris. « On nous a tapés sur les doigts en nous rappelant à l’ordre sur le respect des textes », se rappelle Mathias Kiansi, le secrétaire général de la mairie.

Trois années se sont écoulées depuis. « En avril (2021, Ndlr) on a fait un point et constaté que c’est le statu quo » regrette, déçu, Gaston Béhiti. Il fustige par ailleurs la mauvaise foi de certaines élites du département qui ne ratent aucune occasion de rentrer au village les bras chargés de sodabi frelaté, maintenant de ce fait les leurs dans la dépendance à l’alcool.

Et pourtant, des textes encadrent le secteur. Le décret 87-76 du 7 avril 1987 portant modalités d’installation et d’exploitation des établissements de restauration stipule, en son article 30 que « Toute vente de boisson hygiénique ou alcoolisée au bord de la voie publique et dans les maisons, sans autorisation administrative, est interdite ».

Mieux, la loi portant protection du consommateur en République du Bénin en son article 32 dispose : « Il est interdit à toute personne de falsifier des denrées servant à l'alimentation humaine ou animale, des substances médicamenteuses, des boissons et des produits agricoles naturels ou transformés destinés à la vente ».

D’après Mathias Kiansi, combattre le sodabi frelaté n’est pas chose aisée. Selon lui, les vendeurs qui pullulent dans les quartiers de l’Atacora ne sont que des lampistes, le maillon d’une chaîne qui remonte bien loin.

Interpellé sur les voies et moyens à mettre en œuvre pour combattre le sodabi frelaté, un élu local n’a pas souhaité se prononcer sur le sujet. « Vous n’aurez pas ma version. Ceux qui vendent le produit ne sont pas inquiétés mais si je parle, on va m’interpeller. Je n’ai aucune couverture », s’est-il contenté de dire.

Pour Gaston Béhiti, la vente de l’alcool frelaté est la chasse gardée d’un lobby puissant qui assure ses arrières à coup d’argent, raison pour laquelle la lutte n’avance pas ou ne porte pas encore de fruits. « Personne n’a vu personne, mais nous savons que c’est un lobby. Ces gens se font beaucoup d’argent », accuse-t-il.

Il condamne le silence et l’inaction des autorités aussi bien au niveau local qu’au niveau national face au drame qui décime une partie de la population béninoise depuis près d’un demi-siècle. « S’ils en faisaient un problème peut-être qu’on aurait trouvé une solution comme pour le tabac ou les faux médicaments ».

NB: Cet article est réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et ODD TV.