Legend Beatz
Lundi 5 février 2024. Sur la montre, quelques minutes nous séparent de 16 heures. Nous sommes à Abomey-Calavi, commune voisine de Cotonou, l’une des villes les plus peuplées du Bénin. Une densité de la population souvent attribuée à la présence de la grande université du pays, l'Université d’Abomey-Calavi. C'est cette commune qui abrite Legend Beatz studio, maison de production d’un des plus populaires ingénieurs de son, beatmaker et producteur d’artistes du pays.
Legend Beatz, de son vrai nom Legende Faton est un jeune acteur culturel qui peut se targuer d’avoir révélé de nombreux jeunes talents de la musique béninoise à travers ses micros trottoirs diffusés sur les réseaux sociaux. Dernière révélation en date, Djecomon, un adolescent de 16 ans, orphelin de père qui a quitté la maison familiale pour gagner sa vie sur les plages de Cotonou. Révélé au public par une vidéo diffusée sur la toile, le désormais chanteur inspire nombre de jeunes, à faire carrière dans la musique. Ces jeunes, pour plupart des artisans, n'hésitent pas à débarquer à Legend Beatz studio pour implorer l'aide de celui que les fans qualifient de ''Dénicheur de talent''.
Contrairement à ceux-ci, l’équipe de Banouto est reçue sur rendez-vous dans cette maison de production située à quelques encablures de l’école primaire publique de Godomey Togoudo. D’abord, par une jeune femme. Secrétaire de la boîte, le visage rayonnant, elle nous invite à prendre siège dans les canapés installés ici et là.
Dans ce modeste salon décoré au portrait du propriétaire des lieux, Legend Beatz rejoint l'équipe de Banouto. L'air visiblement étouffé par les nombreux appels téléphoniques, le jeune homme d'1 mètre 70, d'un geste rapide, nous tend la main.
« Bienvenu chez nous », nous lança-t-il. Les salutations d'usage passées, le jeune beatmaker, ingénieur de son et producteur lève un coin de voile sur le dernier projet de son artiste, Djecomon, Chérifath, son parcours, ses secrets et ses ambitions dans cette interview.
Quelle est la petite histoire derrière Chérifath ?
L’histoire de Chéritath, c’est l’histoire d’une jeune fille qui fréquente dont les parents n’ont pas les moyens. Donc elle a été renvoyée de l’école. Voyant la souffrance de ses parents, elle a décidé d’abandonner pour aller se chercher. En allant se chercher, elle a commencé par se prostituer et est tombée enceinte. Celle qui voulait aider ses parents est devenue maintenant une charge pour les parents.
Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce sujet ?
Beaucoup de parents parlent, disent que les artistes aiment trop les chansons d’amour. Quand ce n’est pas l'amour, c’est l’espoir. Je me suis dit, comme c’est un enfant (Djecomon), pourquoi ne pas trouver un sujet qui touche le milieu scolaire.
Comment a été fait le choix de l’actrice du clip, Chérifath ?
On s’est assis, on cherchait un nom Yoruba quand Chérifath m’est venu en tête. Ça m’a donné des idées par rapport au scénario.
C'est le deuxième titre de Djecomon en un an après Baba God. Sans oublier Maman (Collaboration avec Axel Merryl). On dirait que ça va vite non ?
Je dirai non parce qu’il faut qu’il ait de l’actualité. Le premier morceau a été fait pour matérialiser tout ce qu’il a vécu. En réalité, ce n’était pas un morceau. C’est maintenant qu’il est en train de faire un morceau pour lancer sa carrière.
Que peut-on savoir de l’actrice principale de la chanson Chérifath ?
On voulait une fille courte et claire parce que souvent on dit que les filles courtes et claires sont capricieuses, et c’est ce qu’on a trouvé.
Quelle est l'identité musicale de Djecomon, autrement dit, quel est son registre aujourd'hui ?
On est en train de faire de la tendance, de l’Amapiano, la musique qui marche actuellement. On n’est pas allé sur un rythme particulier. Cela va changer avec le temps parce que je ne compte pas rester dans un seul registre.
Depuis sa révélation au public où vous l'avez pris sous vos ailes, quels sont les progrès qu'il a réalisés ?
Progrès, je dirai que Djecomon fait plus l’effort de parler la langue française. Il essaie d’être docile. À la plage, il était livré à lui-même. Il faisait tout ce qu’il voulait, mais quand il est venu, c'était un peu compliqué, mais là, on essaye de le canaliser. Du point de vue social, il essaye de faire des efforts pour évoluer.
On a découvert un garçon innocent. Comment se comporte-t-il maintenant qu'il gagne de l'argent ?
Il se comporte comme tout garçon de son âge. Il essaie d’être docile malgré les changements dans sa vie. Aujourd’hui, Djecomon a sa propre chambre où il vit. Il ne manque de rien. Il mange à sa fin. Je ne dirai pas qu’il est riche, mais quand il a besoin de quelque chose, il le trouve. Je ne dirai pas qu’il se nourrit de ses prestations. Il y a aussi ma participation. C’est vrai qu’il a ses prestations qui ont contribué à beaucoup de choses. Là où Djecomon est, il a des papiers, acte de naissance et son passeport. Quand je l’ai connu, il n’avait rien de tout cela. Djecomon d’avant n’est plus Djecomon d’aujourd’hui.
Djecomon se produit déjà sur des scènes et dans des spectacles privés, comment et combien faut-il débourser pour avoir le jeune prodige ?
Le plus bas cachet qu’on a pris pour les prestations de Djecomon, c’est 200 000 F CFA. Le plus gros, c’est 500 000 F CFA.
Beaucoup d'autres jeunes espèrent avoir la même chance avec vous. Mais, on dirait que vous manquez de moyens. La porte est-elle fermée ?
C’est une histoire d’investissement et de retour sur investissement. Aujourd’hui j’ai trois artistes. Il y a Tonazé, Bricette et Djecomon. Je suis en train d’investir sur eux et je n’ai pas encore de retour sur investissement. Aussi, ces artistes ne sont pas encore des stars qui peuvent me rapporter. Si je prends d’autres artistes, je risque de ne pas atteindre mes objectifs. Ceux qui sont là, on investit difficilement, ils ne s’en sortent pas encore.
Comment gérez-vous les sollicitations incessantes ?
Pour le moment, j’essaie d’expliquer. Pour la plupart du temps, ma secrétaire essaie de le faire. Il y en a certains qui comprennent, d’autres ne comprennent pas. Parfois pour éviter le manque de respect, je suis obligé d’être un peu désagréable.
Parlons de vous à présent. Quel est le secret du succès de Legend Beatz?
Est-ce que Legend a déjà réussi ? Pour certaines personnes derrière, oui, mais pour moi, non parce que je continue de me chercher. Le secret pour atteindre ce niveau, je dirai que c’est de la persévérance. Je ne me décourage jamais. Parfois même quand je n’ai pas de travail, je crée. J'essaye toujours de garder la tête haute. Cela fait que chaque jour, j’avance vers mon objectif, avec ou sans argent. Je connais des beatmakers qui sont très dangereux (bons, ndlr), je ne suis pas le meilleur. Peut-être que c’est ma stratégie qui me met en avant sur les réseaux sociaux.
Pourquoi le choix de la musique ?
La musique, c'est ma passion. À la base, j’étais chanteur et à un moment donné je me suis dit comme j’ai un talent pour faire des sons, pour ne pas le gaspiller, je vais le faire profiter à un grand nombre de jeunes. Si moi-même je me mets à chanter, je vais passer mon temps à poster sur les réseaux sociaux, ça va saouler les gens. Mais si j'aide les gens avec mon talent de beatmaker, ça va faire développer le showbiz.
Comment êtes-vous devenu cet arrangeur béninois populaire ? Parlez-moi de votre parcours.
Ce qui m’a donné un plus, c’est au moment où j’ai commencé à penser aux autres. On remarque que les beatmakers quand ils ont un studio, ils font plus leur promotion que la promotion des autres. Mais à un moment donné, je me suis dit que si j'aidais ce petit et qu'il devient star, on dira que c’est moi qui l'ai aidé. Quand j’ai commencé par appliquer ce principe, j’ai commencé par voir mon audience grandir. À chaque fois que je mets en avant quelqu’un qui n’a personne, les gens me portent. C’est comme donner à quelqu’un qui n’a pas et que la nature te redonne plus. Ce principe, je pense que ça s’applique dans tous les domaines.
Legend Beatz a-t-il des diplômes ?
J’ai une licence en géographie et aménagement du territoire.
Quelle a été la réaction des parents quand vous avez fait le choix de la musique ?
Les parents au départ n'étaient pas d’accord, mais moi, je savais où j’allais. Je ne savais pas si ça allait marcher, mais je savais qu’il fallait faire ce que j’ai fait. Aujourd’hui, je ne regrette pas. J’ai quitté la maison à 18 ans, aujourd’hui, j’en ai 30. Je suis parti de la maison juste pour la musique.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui veut suivre vos pas ?
Le seul conseil qui résume tout, c’est la persévérance. Même quand ça ne marche pas, on doit continuer de le faire en espérant qu’un jour, ça va donner. Je leur demande également de ne pas être pressé.
Legend Beatz artiste chanteur arrangeur. Vous ne pensez pas que vous faites de la concurrence déloyale à vos clients ?
Est-ce que c’est de la concurrence déloyale ? Ils n’ont qu’à faire comme moi. Puisqu’ils savent comment je fais pour avoir ma popularité, ils n’ont qu’à copier. J’ai un objectif précis que moi seul je vois. Peu importe ce qu’on dit, je ne regarde que cet objectif.
Quel est votre regard sur le niveau de la musique urbaine béninoise ?
Je pense que la musique urbaine béninoise évolue. Même si ça ne doit pas être ce que ça doit être, ça évolue par rapport à il y a 5 ans ou 10 ans. Il y a eu beaucoup d’évolution que ça soit au niveau des artistes, des beatmakers et au niveau des réseaux sociaux. Il y a 5 ans, il n'y avait pas beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux, aujourd’hui les gens comprennent que les réseaux sociaux sont très importants pour l’évolution d’une carrière. Avec l’avènement de YouTube et les tutoriels, beaucoup de beatmakers font des recherches et se perfectionnent.
Quels sont les beatmakers qui vous ont inspiré ?
Je dirai Marshall Cyano. En dehors du Bénin, il y a beaucoup d’autres comme Don Jazzy qui m’a beaucoup inspiré.
Adjapiano fait grand bruit actuellement. Certains apprécient. D'autres disent que c'est de l'usurpation d'Amapiano. Vous en dites quoi ?
Que ça soit de l’usurpation ou pas, ça a donné un truc de différent. Juste pour ça, il faut encourager en tant que patriote. Sincèrement je pense que ce n’est pas un truc très original, mais c’est différent.
Qu’est-ce qui manque à la musique béninoise ?
La musique béninoise a beaucoup de ressources. Quand je prends le Zinli, le kaka, le Agbadja, il y a beaucoup d’autres rythmes. Il y a des percussions qu’on peut utiliser pour moderniser, mais quand on le fait, les jeunes artistes ne veulent pas monter sur ce genre de beat parce qu’ils se disent que c’est traditionnel, ça ne va pas marcher en boîte, les Dj ne vont pas jouer, ça ne peut pas être mixé avec les afrobeats. Et nous, ça nous empêche de promouvoir ces valeurs. C’est un gros problème que nous avons.
Hors du studio, Legend Beatz est-il un cœur à prendre ?
Non, Legend Beatz est marié, père de deux enfants, deux garçons.
Qu’est-ce que vous aimez chez une femme ?
Je n’ai pas de goût, apoutchou (Grosse femme), je prends, mince, je prends. Je cale plus sur le fait que la femme doit être belle et avoir de bons comportements.
Avez-vous des doléances à l’endroit du public béninois ?
Je veux que le public béninois prenne la chose avec nous. Ceux qui n’ont pas l’argent qu’ils partagent assez nos œuvres, qu’ils nous encouragent. Ceux qui ont les moyens, qu’ils viennent soutenir financièrement ces jeunes talents que je montre sur les réseaux sociaux. Il y a plein d’entre eux, après avoir posté leurs œuvres, ils ont 100 000 ou 200 000 vues, ils rentrent chez eux, il n’y a plus rien.
Quelle est votre relation avec Frydaos après les excuses ?
Je n’ai plus de relation avec Frydaos. J’ai pardonné, mais je n’ai pas oublié. Frydaos et moi, nous ne sommes pas des ennemis, on n’est pas non plus amis.
Vous vous écrivez ?
Non, on ne s’écrit pas.
Quelle relation entretenez-vous avec vos artistes ?
Je suis leur grand-frère, leur père. Quand il n’y a pas de travail, on cause, on s’amuse, on se taquine. Quand ils ont de petits soucis, j'essaye de voir avec eux. C’est la famille.
Pourquoi choisir de travailler avec des artistes en herbe ?
La remarque est que les artistes confirmés m’ont toujours zappé. Pour prouver ce que je sais faire, j’ai dû m'accrocher à ceux-là qui peuvent encore croire en moi.
Il y a-t-il un contrat entre vos artistes vous ?
Sincèrement, jusqu’à présent, il n’y a pas de contrat signé entre mes artistes et moi. Pourquoi ? Parce que je n’ai pas encore trouvé un climat adéquat qui me permettra d’investir et de rentabiliser. Du coup, ces contrats auraient été des trucs juste pour le plaisir. Ce que je fais pour Tonazé, Bricette et Djecomon, je le fais par passion. Le contrat existe, mais j’attends encore quelques mois pour voir la possibilité de la signature. Je fonctionne sur des valeurs comme l’amitié, la fraternité et la loyauté. Je leur parle, j’espère qu’ils ne vont pas me décevoir.
Comment expliquez-vous la célébrité de Tamsir, jeune beatmaker ivoirien dont le titre Coup de marteau, le morceau phare de la CAN ?
La Côte d’Ivoire est un pays dans lequel le showbiz est à un niveau très élevé, en termes de buzz, de popularité, du nombre de populations. C’est là-bas qu'il y a Trace (chaîne de musique très populaire dédiée à la musique). Il y a beaucoup de facteurs environnementaux favorables à la promotion des acteurs culturels. Je pense même qu’avec ce que je fais, je suis mieux que Tamsir. Tamsir s’est fait porter par des artistes très connus qui font des millions de vues. Ici au Bénin, quel artiste qui fait des millions de vues me porte ? Si ce n’est pas moi qui prends des gens qui sont en moins infini pour les ramener à un niveau considérable.
Supposons qu’au Bénin, c’était des Tgang, First King, Fanicko, Zeynab qui travaillent chez moi, même pendant un mois, je vais dépasser Tamsir. Fanicko qui vient chez moi ramène Ks Bloom, Zeynab ramène Toofan du Togo, ça ne va pas faire un mois et je vais dépasser le niveau de Tamsir. Mais ils ne m’accompagnent pas. Même quand je partage les œuvres de mes artistes, les artistes stars ne partagent pas. Je compte seulement sur moi-même.
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