math NDIAYE, professeur de macroéconomie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
« Le débat sur le franc CFA reste trop souvent enfermé dans un cadre figé : celui d’une monnaie coloniale héritée de 1945 et prétendument encore dirigée depuis Paris. Or, cette représentation ne correspond plus à la réalité. Le franc CFA d’hier a bel et bien disparu. Celui d’aujourd’hui est africain dans sa gouvernance, sa gestion et son avenir ». Pas d’accord avec ceux qui taxent le franc CFA de monnaie coloniale au service de l'impérialisme occidental, le professeur NDIAYE se base sur l’histoire de cette monnaie pour apporter des clarifications.
« Quand j’entends les intervenants, j’ai l’impression qu’ils disent que si on sortait du franc CFA, nous serons développés », a d’abord relevé l’universitaire à l’occasion d’une communication devant un parterre de voix critiques contre le CFA en juin 2025. Dans le processus d’appropriation de la monnaie, souligne l’économiste sénégalais, il y a une année très importante, 1973. C’est ce qu’il appelle la mutation définitive.
« Depuis sa création en 1945, le franc CFA a connu une succession de réformes qui en ont transformé la nature. La plus décisive intervient en 1973, lorsque les banques centrales cessent d’être administrées par des gouverneurs français.
Pour la première fois, des Africains prennent les commandes de la BCEAO et de la BEAC. C’est un tournant majeur : la gestion monétaire, longtemps symboliquement rattachée à Paris, devient pleinement africaine », clarifie-t-il. Ce processus a connu un aboutissement heureux avec la réforme de 2019.
A partir de cette année, fait remarquer Amath Ndiaye, « la France n’a plus aucun représentant dans les instances de la BCEAO. Elle propose tout simplement son soutien financier en cas de pénurie de devises, via la garantie de convertibilité. Mais les décisions monétaires, elles, relèvent désormais exclusivement des Africains ».
Une symbolique qui a évolué
L’autre argument de l’économiste, c’est que les sigles ont changé de dénomination. « Même les sigles CFA ont changé de sens : de « Colonies françaises d’Afrique » à « Communauté financière africaine » en Afrique de l’Ouest, et « Coopération financière en Afrique centrale » dans la zone BEAC. Une mutation qui illustre bien la décolonisation progressive de la monnaie, autant dans sa symbolique que dans sa substance ».
Parlant de la fabrication de cet argent en France, l’universitaire fait la différence entre un billet et une monnaie. Ce qui est fabriqué en France, ce n’est pas une monnaie, c’est juste des billets qui deviennent la monnaie lorsqu’ils sont introduits dans le système monétaire par les banques centrales », clarifie-t-il, ajoutant qu’il y a plusieurs pays africains qui ont leurs propres monnaies mais qui ont signé des contrats de fabrication de leurs billets avec d’autres pays. « Cela n’enlève rien à la souveraineté de leurs monnaies ». Et de conclure : « Le franc CFA d’aujourd’hui est donc une monnaie africaine, avec ses forces et ses limites».
D’après lui, « la véritable question n’est plus de savoir s’il est “colonial” mais de réfléchir à son avenir : comment le rendre plus flexible et l’aligner à un panier de devises, afin de mieux accompagner les transformations économiques et stratégiques du continent ».
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