Représentant de la commission chargée de l’élaboration du cadre juridique de la chefferie traditionnelle (Paul Akogni, rapporteur; Albert Bienvenu Akoha, Président; Romuald Michozounnou, membre) (g à d)
Le professeur Albert Bienvenu Akoha aborde les méthodes employées par la commission pour établir un cadre juridique solide, ainsi que les implications de la nouvelle loi sur la chefferie et son rôle dans la société béninoise. Il explique aussi les étapes qui vont suivre la promulgation de la loi sur la chefferie traditionnelle.
Pourquoi est-il important de réorganiser la chefferie traditionnelle au Bénin ?
Il est nécessaire de réorganiser cette chefferie aujourd'hui, parce que beaucoup de nos compatriotes profitent du vide juridique qui existe depuis notre accession à l’indépendance. Ils en profitent pour s’attribuer des titres auxquels ils n'ont pas droit, créant ainsi un grand désordre. A la limite, chacun peut s’improviser roi ou chef sans véritable légitimité, simplement en descendant dans la rue.
Il faut reconnaître que la chefferie traditionnelle de notre pays a connu deux périodes de crise. Premièrement, la période coloniale. Le 22 juin 1894, avec la création de la colonie du Dahomey et dépendances, le colon français a mis fin à l'existence des royaumes et chefferies traditionnels existants. Sous l'administration directe française, la chefferie traditionnelle n'était plus reconnue comme structure de gestion de la société.
Deuxièmement, il y a la période révolutionnaire. Après la révolution du 26 octobre 1972, dans sa lutte contre la sorcellerie, la révolution s’en est également prise à la chefferie traditionnelle.
Ce n'est qu'après la Conférence nationale de février 1990 qu'on assiste à un réveil des chefs et rois, mais dans un désordre général. Il fallait donc mettre de l’ordre pour donner à la chefferie ses lettres de noblesses.
Cette situation a entraîné une "royaumisation" de notre société. Il existait des rois sans royaumes, ou plusieurs rois dans un même village, sans qu’aucun ne puisse délimiter l'étendue de son autorité royale. Il était donc urgent de remettre de l'ordre, d'autant plus que la Constitution révisée en 2019, à son article 151.1, reconnaît la chefferie traditionnelle comme garante des us et coutumes en République du Bénin.
Quelle était la composition de la commission chargée de l'élaboration du cadre juridique de la chefferie traditionnelle au Bénin ?
On a tenu compte de tous les horizons de savoir sur la question. Il faut noter que la commission mise en place est interdisciplinaire :
Elle est composée d'historiens, de socio-anthropologues, de géographes, de linguistes, de juristes, et de personnes ressources.
Mieux, les 17 membres ont été choisis pour représenter toutes les aires socioculturelles du pays. Ce n'est pas seulement de la pluridisciplinarité, mais bien de l’interdisciplinarité, ce qui est important d’un point de vue épistémologique.
Quelle a été la méthodologie de votre commission ?
La préoccupation de réguler la chefferie existait avant l’arrivée du président Talon sans trouver de réelles solutions.
En 2012, le département d'histoire et d'archéologie avait été mandaté pour produire une étude intitulée : « Historicité et espaces de pouvoir traditionnel au Bénin ». Ce travail est une base essentielle pour le travail de la commission actuelle. Le terrain avait déjà été délayé par les historiens.
Sur cette base documentaire, la commission a enrichi ses sources. Utilisation d'ouvrages d'experts comme le professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè « Du pouvoir Adja à la Nation Fon », consultation des archives nationales sur les décrets coloniaux concernant la chefferie (ex : les chefs de canton).
Après la documentation, la commission a organisé une grande prospection de terrain. Divisée en quatre sous-commissions, nous avons parcouru tout le Bénin pour rencontrer directement les acteurs concernés. Ce travail de terrain a révélé l’existence de plus de 300 rois sur le territoire national. On a rencontré même un qui se disait 17e roi de sa région mais n’a pas pu nous dire le nom du 16e roi à qui il succédait. La fraude était de trop.
Après cela, nous avons organisé deux ateliers méthodologiques pour déterminer l'orientation que doivent prendre nos investigations. Après tout cela, nous disposons d'éléments socio-historiques pour l'élaboration du cadre juridique de la gestion des avis traditionnels. Le rapport général est disponible et les critères y sont bien définis.
Je voudrais ajouter que dans notre méthodologie, après la phase de la documentation, il y a eu la phase conceptuelle. Nous avons organisé des échanges très nourris au cours d’un atelier avec le département d’Histoire et d’archéologie de l’Université d’Abomey-Calavi. Sur le plan scientifique au Bénin, s’il y a une instance qui est capable de nous dire voilà ce qui existe comme royaume et chefferie, je pense de c’est ce département d’Histoire et d’Archéologie. C’est avec eux que nous avons arrêté, région par région, l’existant, ce qu’il s’est passé et comment cela s’est passé.
Vous évoquiez tantôt les critères utilisés et consigné dans votre rapport général. Quels sont ces critères ?
Les trois critères définis pour obtenir la catégorisation de nos entités politiques traditionnelles, (critères que vous retrouverez d’ailleurs dans l’ouvrage « Historicité et espace du pouvoir traditionnel », se résument à ceci : Premièrement, quel est l’espace géographique couvert par l’entité en question ? Deuxième critère, quel est le type de pouvoir et son niveau de concentration ? Troisième critère, quel est le type de société et son niveau de différenciation ?
Il est important d’ajouter à cela, qu’il y a eu un marqueur chronologique très fort qui prouve que la base du travail est essentiellement et exclusivement scientifique. En 1894, quand démarrait concrètement la colonisation du Bénin méridional, nos sociétés traditionnelles étaient relativement bien organisées, chacune avec ses formes d’organisation sociale. On peut dire, qu’en dépit des petites tensions, des petits conflits du voisinage qui existaient, nos entités politiques existaient et fonctionnaient tant bien que mal. Mais le colon, en s’installant, avait besoin de désarticuler tout ce que nous avions d’organisations sociales traditionnelles, pour installer son administration à lui. Et ça, malheureusement il l’a essayé et l’a réussi.
Et trois ans plus tard, il va monter vers le septentrion de notre pays où il va réussir la même chose. Ce qui veut dire que suivant ces trois critères, on a essayé d’analyser tout ce qui existait comme entités politiques traditionnelles, à la veille de la colonisation de notre pays. Ce qui veut dire aussi que si une entité politique est créée après 1894/1897, elle ne peut absolument pas être prise en compte pour les raisons évoquées tantôt. Et concrètement, c’est cela qui a frappé un certain nombre de royaumes, dont on a entendu parler et qu’on ne retrouve pas dans la liste, parce que ces royaumes ont disparu avant l’arrivée de la colonisation, étant absorbés par d’autres royaumes, qui les ont tout simplement phagocytés.
Quels royaumes par exemple ?
Je prends par exemple le royaume très puissant des Ouémènou. C'est un royaume très ancien. A partir de la migration et de la scission à partir de Kétou, les gens sont allés dans la vallée, ont créé le royaume de Ouémè dont l’épicentre est Adjohoun. C’est de ce royaume de Ouémé que des éléments sont allés peupler le plateau d’Abomey qui va donner naissance au 17ème siècle au royaume du Danxomè. Ces ouémènous étaient les plus nombreux.
A la naissance du Danxomè, il s’est posé un problème juridique, les ouémènous qui sont sur le plateau à la naissance du roi de Danxomè doivent-ils continuer d’obéir au roi de Ouémè. Pour les Danxomènous, ceux qui sont sur leur territoire doivent obéir à Dada (Roi du Danxomè). Mais pour certains Ouémènous, c’est le roi d’Ouémè qui doit continuer à les diriger.
C’est cela qui va entrainer la bataille entre le roi Akaba et le roi Kpolou au début du 18 siècle. Bataille que le roi Akaba n’a pas conduit jusqu’à la fin. C’est sa sœur Tassi Hangbé qui prend la relève, va conduire les Danxomènous à la victoire. Le roi du Ouémè a été tué, les Ouémènous ont été vaincus et le royaume de Ouémè a disparu en 1708. Les rescapés se sont repliés encore dans la vallée et se sont retrouvés autour de Dangbo où ils ont tenté de créer un nouveau royaume. Mais Dangbo n’a pas pu prospérer parce qu’entre temps, Hogbonou est né, de même que le Danhomè.
Les pressions dans la vallée n’ont pas permis aux rescapés de créer un nouvel royaume et Dangbo est demeuré une chefferie supérieure. C’est pour cela que dans la loi sur la chefferie traditionelle, Ouémé n’est pas reconnu comme royaume tandique que Dangbo se retrouve au niveau de la chefferie supérieure et non au niveau des royaumes. La vallée est peut être frustrée, mais sur le plan historique, la commission n’a fait que décrire et faire le point de ce qui existe en tant qu’entité à la veille de la colonisation, à la veille de 1894 dans la partie méridionale.
Vous prenez encore le cas de Xwéda, dont le royaume puissant était Sahè, ce qu’on a appelé maladroitement Savi. Sahé a été détruit par le roi Agadja au 18 ème siècle qui a possession de la ville de Sahé, Le roi Xwéda, qui s’appelait Houffon et le reste de ses hommes se sont éparpillés pour aller se regrouper à Houéyoyogbé, où ils ont été envahis encore par d’autres populations, au point de disparaître en tant que royaume. Donc le royaume des Xwéda a existé. Ils ont eu un roi qui s’appelait Houffon. Mais à la veille de la colonisation, ils n’avaient plus d’entité politique en tant que tel, qui pourrait matérialiser leur existence.
Il y a par ailleurs des royaumes dont certains nous ont révèle l’existence, qui auraient existé en 1200, 1400, bien avant l’arrivée des Agassouvi. Mais la commission n’a pas mission de réinstaurer des royaumes imaginaires du Moyen Âge.
L’article 8 de la loi évoque les chefferies communautaires. Quel sera leur rôle dans cette architecture?
Pour mieux comprendre le contenu de l’article 8, il faut d’abord comprendre la structuration de notre société. La cellule de nos sociétés est constituée par le lignage. Ce que les fon appellent Akò. C’est la plus petite structure de composition de nos sociétés. Le lignage est une structure organisée et dirigée par des responsables. Quelle que soit la région, un lignage a toujours des responsables. Nous avons le Chef de lignage et des collaborateurs. Chez les fon on a le Hinnoudaho, le Vigan et la Tassinnon qui constituent le groupe dirigeant.
Quand nous quittons cette cellule, il arrive que plusieurs lignages décident de partager un espace plus grand ensemble. Ils évoluent vers ce qu’on a appelé quartier. Et au niveau du quartier, ils mettent aussi en place une structure dirigeante, constituée par les chefs de lignage qui habitent le quartier. Ces derniers désignent celui qui est le responsable du quartier avec un pouvoir rotatif.
C'est le chef de lignage A qui dirige pour une année ; les autres sont membres du conseil du quartier, ensuite c'est le chef de lignage B, ainsi de suite. Quand plusieurs quartiers décident de se mettre ensemble, ils vont former un village.
Le village aussi aura une structure dirigeante. Chez les Fon, on donne au responsable du village le titre de “Togan”. Quand le Fon dit tohosu, ce n'est plus le chef de village désigné par les responsables des lignages ; le “Tohosu” est le chef de village désigné par le roi du Danhomè auprès du “Togan” pour gérer le village.
Quand les villages vont s'unir, cela va donner naissance au royaume avec ses structures, le roi et ses collaborateurs. Avec la loi, ces structures de direction de lignage, de direction de nos communautés continuent d'exister. Quand le Danhomè est né, le Hennoudaho est supplanté par le “Dâ” ; il est devenu le doyen d’âge du lignage.
Ceux-là appartiennent à la chefferie traditionnelle, mais ils ne sont pas dans la chefferie traditionnelle reconnue par la loi. Ils continuent de fonctionner normalement, les lignages continuent d'être gérés, les petites communautés continuent d'être gérées. Dans la loi, on dit qu'ils appartiennent à la chefferie communautaire. Mais cette chefferie communautaire ne bénéficie pas de la même reconnaissance que les trois catégories qui constituent la chefferie traditionnelle reconnue par la loi qui a été promulguée le 3 avril de 2025. Voilà en fait la différence.
Cela veut dire que mon Daa qui dirige mon lignage est chef traditionnel, mais il dirige une communauté restreinte dont la reconnaissance n'est pas allée jusqu'au niveau des trois catégories de la loi.
La loi portant cadre juridique de la chefferie traditionnelle interdit au roi, chef supérieur ou chef coutumier de devenir politicien. Pourquoi était-il important de prendre cette décision ?
Ne nous voilons pas la face. Je vais parodier un peu ce qui se passe. Quand les élections arrivent, chaque politicien essaie d'avoir son roi. Parce que ça, c'est un secret du polichinelle. C'est à ça que la loi fait allusion en disant clairement que les rois doivent être apolitiques.
Parfois, pour maîtriser un électorat, il faut susciter un roi contraire à celui qui est en place. On a même pu noter des royaumes, des entités, où quelqu'un dont la lignée n'a pas le droit au trône vient bousculer ceux-là dont la lignée légale.
Donc, pour éviter tout ça, c'est-à-dire pour ne pas revivre encore ce fantôme qui a détruit notre société, le législateur, à travers trois articles différents, dont le 46 dont vous parlez, a dit « Aucun chef traditionnel ne peut être membre d'un parti politique ». Il est une personnalité morale, neutre. Il est le père de tout le monde.
Il peut recevoir l'homme de la gauche, l'homme de la droite, l'homme du centre, même si vous êtes de l'extrême gauche ou du centre, tout ce que vous voulez là. Donc, le chef traditionnel, il est là pour tout le monde.
Après, le législateur précise clairement que même ceux qui sont éventuellement aujourd'hui chefs traditionnels mais ont un mandat électif au moment où la loi est promulguée, la loi leur permet, c'est une mesure conservatoire, de terminer le mandat électif en cours, puis ils viennent se consacrer entièrement à leur charge de chef traditionnel.
La loi sur la chefferie traditionnelle est promulguée. Mais quelles sont les prochaines étapes et quelles sont les éventuelles attentes du gouvernement vis-à-vis de la commission ?
Pour la suite vis-à-vis de la commission, le gouvernement n’a plus aucune attente. La commission a fait son travail, a produit des rapports sur les éléments sociohistoriques nécessaires à la prise de cette loi. C’est fait. La loi est adoptée et promulguée. La commission a terminé son travail.
La suite va être l’opérationnalisation. Cela passe déjà par la prise très bientôt du décret portant création de la commission nationale permanente de suivi de la chefferie traditionnelle. Une commission qui justement est chargée, d’accompagner de veiller au bon fonctionnement d’une autre structure dont le décret va être très vite également élaboré. Il s’agit du décret portant attribution, fonctionnement et composition de la chambre nationale de la chefferie traditionnelle, c’est-à-dire que tous les chefs que nous avons cités tantôt les rois, les chefs supérieurs et les chefs coutumiers. Ces trois catégories se retrouvent au sein de de cette chambre-là, pour justement s’organiser et contribuer à l’édification de notre société.
En dehors de cela, il sera question de prendre les différents arrêtés instituant les conseils de désignation, qui, dois-je le rappeler ne sont composés d’aucun agent administratif ni universitaire. Les membres proviennent tous des communautés des entités selon les règles coutumières. Cela est prévu juste pour éviter les intrusions qui après entrainent souvent des troubles. Vis-à-vis de la population, le gouvernement demande à chaque citoyen de s’approprier ce texte, de le lire avec sérénité. De ne pas venir au texte avec des préjugés.
Que dire des revendications ?
Pendant l’examen du projet de loi à l’Assemblée, il y a eu une cinquantaine de pétitions de réclamations justifiées ou non justifiées. Chacune d’elle a été déférée devant la commission qui a étudié et a rendu une réponse sur la base des données scientifiques disponibles à l’heure où nous parlons, voilà ce qui est fait. Si demain, sur la base de nouvelles preuves scientifiques incontestables, je pense que logiquement des relectures sont possibles.
Faire une loi est très difficile et vous allez constater avec moi qu’il y a beaucoup de frustrations. C’est normal. Mais il faut une législation particulière pour chaque région et ses spécificités. Le gouvernement à travers cette loi a tracé le cadre général et a lancé la balle dans le camp des différentes communautés.
Il leur revient de s’asseoir sur cette loi et de réorganiser la communauté en conformité avec les exigences de la loi pour intégrer tous les fils et toutes les compétences locales à l’édification d’une société nouvelle, républicaine résolument tournée vers le respect de nos traditions et faire en sorte que nos traditions participent à la construction d’un Bénin nouveau où chacun se retrouve.
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