Le Bénin et particulièrement Cotonou reprend vie après le putsch tenté par un groupuscule de militaire, dimanche 7 décembre 2025. Cette mutinerie que l’armée régulière a su maîtriser n’est pas seulement un échec des mutins et leurs commanditaires. C’est aussi une source d’enseignements qu’il convient de tirer.
1. Un putsch sans base sociale : le refus populaire d’un saut dans l’inconnu
Lorsque les mutins ont réussi à lire leur communiqué sur la télévision nationale dimanche 7 décembre autour de 9 heures (heure locale), ils s’attendaient sûrement comme d’autres personnes à un scénario déjà vu dans d’autres pays de la sous-région qui ont connu de pareils événements de renversement de l’ordre constitutionnel: attroupements spontanés, cris de soulagement, motos klaxonnant dans les rues, signe que la population était prête à tourner la page du régime en place. Or, le Bénin a connu l’exact inverse.
Aux premières heures du jour, les capitales économique et politique du pays sont restées calmes. Les reporters de Banouto ont pu constater dans les villes comme Cotonou, Sèmè-Kpodji et Abomey-Calavi par exemple qu’aucun attroupement n’a été observé. Ils ont vu une population interloquée, parfois inquiète, mais surtout pas disposée à soutenir les putschistes. Cette attitude témoigne d’un élément central : la majorité des citoyens ne perçoit pas le renversement d’un régime comme une voie d’amélioration de leur quotidien, ni de résolution des défis actuels du Bénin.
Cette tendance a été observée également sur les réseaux sociaux. Malgré l’existence de groupes spécialisés dans l’amplification de discours anti-gouvernementaux et quelques discours d’approbations des mutins, les conversations majoritaires s’organisaient autour de deux points : la condamnation de la tentative et la confiance en un rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel. Dans une Afrique de l’Ouest habituée à des coups d’État accueillis par des foules enthousiastes, l’indifférence active de la population béninoise marque une rupture notable.
2. Une réussite gênante à déstabiliser de l’extérieur
L’un des aspects les plus singuliers du putsch déjoué est la dimension numérique de l’opération. Tandis que les mutins étaient neutralisés et certains en fuite, le cœur de la bataille se déplaçait sur les plateformes numériques. Une avalanche de messages, vidéos trafiquées et rumeurs a envahi l’espace en ligne en moins de quelques heures.
Les observateurs spécialisés en matière de désinformation régionale ont rapidement identifié la signature d’écosystèmes déjà repérés dans les débats liés aux régimes militaires de l’Alliance des États du Sahel (AES). Ces réseaux, actifs sur des plateformes comme Facebook, TikTok ou X, avaient déjà été associés à des campagnes soutenant les juntes du Mali, du Burkina Faso ou du Niger et à des tentatives de discrédit des pays jugés trop « occidentalisés » ou « dociles ». Il était question dans les publications de convaincre que les mutins contrôlaient la situation, de suggérer que la population soutenait le renversement, de disqualifier l’armée régulière et de dépeindre le Bénin comme « dernier bastion à faire tomber ».
Ces opérations ne constituent pas une preuve d’ingérence directe d’États voisins, mais elles illustrent une réalité de plus en plus documentée par les analystes de la région : les crises politiques deviennent des théâtres hybrides, où désinformation, stratégies psychologiques et faux contenus visuels cherchent à amplifier des situations fragiles pour accélérer la chute d’institutions démocratiques.
Le Bénin, régulièrement mis en avant ces dernières années pour la constance de sa gouvernance économique, la modernisation de son administration ou sa capacité à attirer les investissements, apparaît depuis deux ans comme une cible privilégiée des campagnes destinées à décrédibiliser les modèles institutionnels non militaires de la région. L’on a l’impression que l’émergence d’un pays qui montre l’exemple dans les domaines de l’économique, de construction d’infrastructures modernes, de création d’emplois, du numérique et bien d’autres domaines est devenu bien gênant. Il faut donc à tout prix le déstabiliser.
3. Institutions consolidées : pourquoi l’État a résisté
L’échec du putsch du dimanche 7 décembre dernier s’explique aussi par une dynamique interne : la transformation progressive des institutions et la modernisation de l’armée. Depuis 2016, les réformes engagées ont profondément modifié la structure de l’État. L’administration a été réorganisée, les procédures budgétaires renforcées, les organes de contrôle consolidés. Si certaines de ces réformes ont suscité des controverses socio-politiques, elles ont aussi permis de construire un environnement institutionnel plus cohérent et moins perméable aux ruptures de fonctionnement typiques des périodes de crise.
Le secteur de la défense a bénéficié d’une attention particulière. Face à la montée des groupes jihadistes dans les zones frontalières de l’Alibori et de l’Atacora, le Bénin a renforcé la présence militaire dans le Nord, acquis de nouveaux moyens logistiques (des blindés, chars) et technologiques (drones), développé des partenariats d’entraînement avec plusieurs armées africaines et occidentales et revu la formation au sein des écoles militaires. Mieux, le gouvernement a procédé à la modernisation des casernes comme le camp militaire de Dessa par exemple.
Patrice Talon, le chef de l’Etat n’a pas fait comme dans d’autres pays où l’armée est délaissée. Il n’a d’ailleurs pas hésité à se rendre à la caserne militaire de Dessa, fin décembre 2024, pour partager un moment de convivialité avec les militaires comme pour leur montrer combien le pays leur est reconnaissant pour le travail qu’ils font. Ces investissements et gestes d’attention ont donné naissance à une armée plus professionnelle, mieux hiérarchisée et plus réactive au service du pays.
Le 7 décembre, cette montée en puissance s’est matérialisée par une intervention coordonnée, l’isolement rapide des dissidents et la sécurisation des points névralgiques, une réponse que certains pays de la sous-région n’ont pas réussi à produire lors de leur propre basculement militaire.
4. Redéfinir la place de l’armée : la politique doit rester l’affaire des civils
L’épisode du 7 décembre dernier ouvre également un débat fondamental : celui du rôle des forces armées dans la vie démocratique. Dans un contexte où une dizaine de coups d’État ont renversé des gouvernements civils en Afrique de l’Ouest et centrale depuis 2020, la distinction entre fonction militaire et fonction politique s’est progressivement brouillée.
Au Bénin, cet événement rappelle une norme essentielle décidée à la Conférence nationale en 1990 : l’armée n’est pas un acteur du jeu politique. Les réactions de la société civile, des organisations religieuses, des partis politiques ou des syndicats au lendemain du coup d’Etat déjoué convergent : un militaire qui souhaite s’engager en politique doit démissionner et se présenter devant les électeurs. Les armes n’ont pas vocation à arbitrer les désaccords politiques.
Cette position, partagée par les autorités et largement relayée par les leaders sociaux, montre que l’épisode du putsch déjoué n’a pas simplement révélé la solidité institutionnelle du pays : il a aussi mis en exergue l’attachement collectif à la séparation des rôles et à la continuité constitutionnelle.
0 commentaire
0 commentaire