Un branchement privé abandonné en raison du coût "élevé" de l'eau à Partago
Nadjayatou Fousseni est contrainte de faire à nouveau la corvée d’eau. Mariée à Partago, village de l’arrondissement d’Aledjo à Bassila, cette mère de famille croyait cela derrière elle. En 2016, son époux a souscrit à un branchement privé au réseau d’adduction d’eau villageoise de leur localité. Mais quatre ans après, il a rompu le contrat d’abonnement à cause du coût de l’eau. « Vingt mille (20 000) francs CFA pour nous seulement, c’est trop », se plaint-il. « L’eau est chère pour nous », renchérit Maman Bintou Titi dont la mère est une abonnée au réseau d’eau du village. « Dix-sept mille (17 000), dix-neuf mille (19 000) francs CFA (de facture mensuelle de consommation d’eau, ndlr). C’est une vieille, elle ne peut pas payer », lâche-t-elle soulignant que sa mère, une vieille aux cheveux tout gris, songe fortement à se désabonner du réseau d’eau. « Les abonnés se plaignent trop du coût de l’eau », confie Moumouni Youssouf, exploitant de l’adduction d’eau villageoise d’Aledjo-Akaradé. Il souligne plusieurs cas d’impayés en raison du coût relativement élevé de l’eau potable. « Ne pouvant plus payer les factures qu’elles trouvent exorbitantes, des gens ont demandé qu’on coupe leur abonnement », apprend-il.
Accès inégal à l’eau potable
Au Bénin, les populations n’ont pas un accès égal à l’eau potable. Le coût de l’eau potable varie en fonction du lieu de résidence et du type de fournisseurs. En milieu urbain et périurbain où la Société nationale d’eau (SONEB) est implantée, c’est un système de péréquation et par tranche. « Le prix du mètre cube à Cotonou est le même qu’à Malanville, (suivant chaque tranche, ndlr) puisque c’est le même acteur (la SONEB, ndlr) qui gère », explique Dr Cyrille Chabi Eteka, expert sur les questions d’eau et consultant sur le programme OmiDelta.
Les tarifs d'eau potable à la SONEB sont répartis en 3 tranches, précise la société sur son site. « 1ère tranche (tranche sociale). Elle est limitée à 5 m3 pour 30 jours (au prorata temporis, donc soit par exemple 2.5m3 pour une facturation sur 15 jours, ou 10m3 pour une facturation sur 60 jours). Elle est facturée à 198 FCFA par mètre cube et exonérée de TVA. 2ème tranche : Pour les volumes d'eau entre 6 et 50m3. Elle est facturée à 453 FCFA par mètre cube et assujettie au paiement de la TVA au taux de 18%. 3ème tranche : Pour les volumes d'eau de 51m3 et plus. Elle est facturée à 658 FCFA par mètre cube et assujettie au paiement de la TVA au taux de 18%. Tranche unique : Elle concerne les abonnés ayant un accès collectif (bornes fontaines, kiosques, adductions d'eau villageoises). Elle est facturée à 330 FCFA par mètre cube quelle que soit la quantité consommée et est assujettie à la TVA au taux de 18% », détaille la SONEB.
En zone rurale, en revanche, le prix de l’eau potable varie d’une commune à une autre. « En milieu rural, c’est la commune, selon les textes de lois sur la décentralisation qui est le maitre d’ouvrage. Donc, chaque commune organise la gestion du secteur de l’eau avec des orientations qui sont fixées au niveau national à travers le document de stratégie nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu rural », justifie Dr Cyrille Chabi Eteka.
Une facture de consommation d'eau d'un abonné à Akaradé-Aledjo
A Bassila, commune du département de la Donga au nord-ouest du Bénin, le mètre cube d’eau potable est facturé à six cent (600) francs CFA en zone rurale, soit un peu plus de trois fois le coût pratiqué par la SONEB pour les abonnés bénéficiant de la tranche sociale. Dans d’autres communes, les populations rurales déboursent jusqu’à huit cent (800) francs CFA voire mille (1000) francs CFA pour s’offrir un mètre cube de l’important liquide. Ce qui représente quatre à cinq fois le montant de la tranche sociale de la SONEB. Dans certaines communes, l’eau de la SONEB est revendue à des coûts jugés prohibitifs.
Fixation « aléatoire et peu réaliste du prix »
Le coût relativement élevé de l’eau en milieu rural est lié aux coûts de production et d’exploitation des systèmes d’approvisionnement en eau potable. Le prix du mètre cube d’eau, selon Odélé Sanni, chef division affaire hydraulique à la mairie de Bassila, est prédéterminé suivant le principe de « l’eau paie l’eau ». Il tient compte de tous les facteurs de production et d’exploitation de l’eau.
L’un des facteurs déterminants, c’est la source d’énergie, souligne Dr Cyrille Chabi Eteka. « Quand c’est l’énergie thermique, le groupe électrogène par exemple, ça devient cher. Mais si c’est le courant conventionnel (produit par la Société béninoise d’énergie électrique (SBEE), ndlr), c’est moins cher. Si c’est l’énergie solaire, l’eau potable revient beaucoup moins cher. Vous avez des localités où les populations paient 250 ou 300 francs CFA le mètre cube », explique le spécialiste des questions de l’eau. Le caractère prépondérant de la source d’énergie dans le coût de l’eau est confirmé par Moumouni Youssouf, exploitant de l’adduction d’eau villageoise d’Aledjo-Akaradé. Il en veut pour preuve la part du coût de l’électricité dans les recettes mensuelles.
« Le mois d’août 2021, la facture de consommation d’électricité de l’adduction d’eau villageoise est de 35 000 francs CFA alors que la recette pour ce mois est de 50 000 francs CFA », donne-t-il en exemple.
Moumouni Youssouf apprend que la vétusté des installations dont la dernière réhabilitation remonte à plus d’une dizaine d’années est un facteur qui pèse sur le coût de production de l’eau potable. « A Alédjo, on ne fait pas une semaine sans corriger des casses. Alors qu’en dix ou vingt minutes, le château de 30 mètres cubes peut être vidé après une casse », soutient l’exploitant Youssouf. En plus de la récurrence des problèmes de casses, Moumouni Youssouf se plaint de la défectuosité du château qui « coule à plein-temps ».
Dans un document de plaidoyer pour une « tarification transparente et équitable de l’eau au Bénin » datant d’août 2021, le Cadre de concertation des acteurs non étatiques du secteur de l’eau et assainissement (CANEA) concède que « les mécanismes de tarification de l’eau en milieu rural visent le recouvrement des coûts d’investissements et d’exploitation en vue de la continuité et du développement du service ». Mais le Cadre note, tout de même, une « fixation aléatoire et peu réaliste du prix de l’eau ». Le CANEA relève également « le non ajustement des prix de l’eau suivant la réduction de charge ».
Mécanisme de « tarification non équitable »
Le mécanisme mis en place pour la tarification de l’eau potable au Bénin ne tient pas compte du statut socio-économique de l’usager/consommateur. En milieu rural, il n’existe pas de tranche sociale.
« Les abonnés paient un tarif unique peu importe qu’ils soient riches ou pauvres », explique Zourouneni Baba Sanni, exploitant de l’adduction d’eau villageoise de Partago dans la commune de Bassila.
En zone urbaine et périurbaine, s’il existe une tranche sociale appliquée par la SONEB, cette tranche, regrette le CANEA, « n’est pas utilisée comme un mécanisme de ciblage de catégories sociales pauvres et vulnérables ». Le critère à remplir pour bénéficier de la tranche sociale à la SONEB est lié à la quantité d’eau et non au statut du consommateur. La conséquence est qu’il peut arriver qu’un pauvre paie le mètre cube d’eau plus cher parce qu’il a excédé les cinq mètres cubes d’eau de consommation. Pendant ce temps, une personne riche peut se retrouver avec moins de cinq mètres et bénéficier de la tranche sociale.
Dans son document de plaidoyer, le CANEA relève que :
« les ménages non abonnés aux services publics de l’AEP paient l’eau à boire de 170 à 255% plus cher que le tarif social de la SONEB ».
Le document révèle également qu’en milieu urbain, « les ménages très pauvres et pauvres, consacrent 9 à 16% de leurs dépenses à la consommation d’eau potable, pendant que ceux qui sont directement abonnés à la SONEB n’y affectent que 2 à 5% ».
Analysant le mécanisme de tarification de l’eau, Martin Vihoutou Assogba, président de l’ONG Alcrer, une organisation non gouvernementale qui se bat avec d’autres organisations de la société civile pour une « tarification transparente et équitable de l’eau potable au Bénin » a relevé un véritable « paradoxe ». Pour l’activiste des droits de l’Homme, « l’idéal, c’est que les populations des zones rurales, (en majorité, ndlr) plus pauvres, paient moins que les personnes nanties des villes » et non le contraire.
Johnny Codo, coordonnateur Wash chez Graind Ong, une organisation non gouvernementale qui œuvre pour l’accès à l’eau potable, relève un « problème d’équité » dans le mécanisme de tarification de l’eau. « On dit que l’eau, c’est la vie. Et donc, si on n’a pas d’eau, c’est la mort. Au niveau donc de l’individu en milieu rural qui n’a pas les moyens, on ne peut pas lui opposer quelque devoir que ce soit à ce niveau-là. (…) L’eau est 5 fois plus chère aux populations en milieu rural qu’en milieu urbain », a commenté le coordonnateur wash chez Graind Ong dans une revue annuelle du secteur de l’eau publiée en 2020 par Changement social.
Dans le cadre de cette investigation, Banouto a adressé un courrier en date du 4 novembre 2021 à la direction générale de la SONEB pour avoir son commentaire. Mais au moment où nous mettons sous presse, nous n’avons pas eu de réaction officielle. Une source interne à la société a expliqué à Banouto que la société nationale d’eau considère que cinq mètres cubes d’eau sont suffisants pour une famille pauvre. Car, dans l’entendement de la société, explique la source, un « pauvre utilise l’eau essentiellement pour les besoins alimentaires ».
« En distribuant l’eau, la SONEB fait du social. (…) On ne fait pas de l’eau pour rentabiliser. C’est du social. Parce que selon nos dernières études, le mètre cube d’eau est à 505 francs, mais nous le cédons à 180 francs et 57% (des abonnés ndlr) consomment dans la première tranche. 80% de ces 57% là paient moins de 900 francs. Donc c’est une péréquation », disait, au cours d’un atelier organisé par l’Ong Changement social Bénin, le directeur commercial de la SONEB, Aurélien Hountondji à ce sujet. Selon le directeur commercial, la préoccupation de la société est de faire en sorte que « les populations puissent consommer et payer les factures » là où des infrastructures existent. « Parce que le gouvernement a beaucoup investi. Mais après, pour de petits sous, on va déposer les compteurs », fait savoir Aurélien Hountondji.
Coût de branchement non accessible aux pauvres
Outre le coût de l’eau, le coût du branchement au réseau public d’eau comporte des disparités. En milieu rural, explique Odélé Sanni, chef division des affaires hydrauliques à la mairie de Bassila, le coût du branchement est supporté « intégralement » par l’abonné.
« Quand un (futur, ndlr) abonné fait sa demande, on lui facture tout ce qui entre en jeu pour qu’il puisse avoir un compteur privé à son domicile », détaille-t-il.
A Partago, commune de Bassila, le coût de branchement est de 110 000 francs CFA selon Zourouneni Baba Sanni, exploitant de l’adduction d’eau villageoise. Ce coût est jugé « exorbitant », au regard des conditions, par les populations qui se sont très peu abonnées. « On considère la ligne linéaire de 15 mètres et le reste est à votre charge. Si vous êtes par exemple à 30 mètres, en plus des 110 000 francs vous devez prendre en charge les 15 mètres en plus. C’est cher », estime Safiou Boukary, chef du village de Partago. « Par le passé, on allait au-delà de quinze mètres. Mais il n’y a pas un suivi par les abonnés. Quand il y a une casse sur la conduite qui mène aux compteurs, les abonnés ne le signalent pas. On avait l’impression qu’ils s’en foutaient. C’est cela qui a conduit à limiter la distance maximale à 15 mètres de la canalisation. Ce qui permet même à un passant de constater et de signaler quand il y a une casse », justifie Odélé Sanni. Quoiqu’il en soit, le chef du village de Partago apprend que cette conditionnalité « fait que les gens n’ont pas accepté s’abonner ». Selon les statistiques obtenues dans le village, seuls douze (12) ménages ont souscrit à un branchement privé sur une population de quatre mille (4000) habitants.
En zone urbaine, le branchement est souvent subventionné par l’Etat et les communes, indique Odélé Sanni. Selon le CANEA, dans son document de plaidoyer, « les branchements promotionnels ou sociaux, subventionnés par l’Etat et les communes ne sont pas accessibles aux ménages pauvres et vulnérables ». « Aujourd’hui, le branchement promotionnel est à 50 000 francs, mais déjà avec 20 000 francs, vous pouvez avoir le compteur à la maison et compléter concomitamment avec les factures de consommation courante 100 francs par jour pour les travaux. Donc, ça fait 3000 francs à la fin du mois. Mais combien de compteurs sont déjà déposés parce que les 100 francs par jour, ils n’ont pas pu payer ? », a commenté le directeur commercial de la SONEB à l’atelier organisé par Changement social Bénin.
Pour un accès équitable à l’eau potable
Les Nations Unies, suivant l’Objectif de développement durable n°6, souhaitent atteindre un accès universel et durable de tous aux services d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement à l’horizon 2030. Au Bénin, l’atteinte de cet objectif est « l’un des paris du Programme d’Action du Gouvernement (PAG) de la République du Bénin depuis 2016 ». Dans son programme d’actions de gouvernement 2016-2021, le président béninois a projeté l’atteinte de l’accès universel à l’eau potable à la fin 2021. Mais l’échéance a été finalement repoussé de deux années, jusqu’en 2023. Dans cette optique, de nombreuses réformes ont été engagées et des investissements consentis. Ces réformes et investissements ont contribué à l’amélioration du taux de desserte. En Décembre 2020, une population rurale de 1 191 661 personnes ont accès à une source d’eau potable au Bénin, soit environ 7 Béninois sur 10 en milieu rural, selon le rapport ''Suivi du patrimoine et des performances du service public de l’eau potable en milieu rural au Bénin'' du premier semestre 2021 de l’Agence nationale de l’eau potable en milieu rural.
Au regard des réformes engagées et des investissements, les acteurs non étatiques du secteur de l’eau sont optimistes quant à l’atteinte de « la couverture nationale des besoins en eau potable à toute la population béninoise bien avant l’échéance internationale de 2030 ».
« Mais le rapprochement des services publics de l’eau potable des consommateurs ne sera pas suffisant pour la consommation effective de l’eau potable par les ménages. Le prix de vente de l’eau aux consommateurs est un facteur essentiel, notamment pour les catégories socio-économiques pauvres et vulnérables », fait remarquer le CANEA dans document de plaidoyer.
Pour l’accès équitable de tous à l’eau potable et une tarification transparente, le Cadre de concertation des acteurs non étatiques formule plusieurs recommandations dans son document de plaidoyer. Il demande, entre autres, au gouvernement de « définir un prix de l’eau abordable pour les plus pauvres », de « réviser les mécanismes de tarification existants » qui datent de près de deux décennies. Le CANEA recommande aussi au gouvernement, de « mettre en place un mécanisme de tarification transparent » et de « définir et rendre fonctionnel un outil de régulation efficace du secteur de l’eau potable ».
« La réforme que nous sommes en train de produire et l’approche que nous sommes en train de suivre à travers la délégation de gestion des opérateurs professionnelle avec une maîtrise des simulations financière des coûts et des risques que nous voulons transférer à ces opérateurs, feront que d’une façon ou d’une autre, le tarif usager en milieu rural ne peut que baisser. Soyez certains que si nous arrivons au bout de cette réforme que les 800 Fcfa et 1000 le mètre cube pratiqués actuellement sur le terrain seront du passé. Nous allons passer à des tarifs responsables. Des tarifs qui tiennent compte de l’équité nationale et qui feront que les populations des zones rurales ne paieront pas l’eau plus cher que celles des zones urbaines », rassure Sylvain Adokpo Migan, directeur général de l’Agence nationale de l’eau potable en milieu rural.
NB: Cet article a été réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et Odd Tv.


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