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Accès à l'eau au Bénin: des femmes battues à Oroukparé, les pluies gâchent tout à Togouin

Accès à l'eau au Bénin: des femmes battues à Oroukparé, les pluies gâchent tout à Togouin

A Oroukparé dans la commune de Cobly au nord-ouest du Bénin, l’absence d’eau potable est une source de violence conjugale pour certaines femmes. Dans ce village, il faut attendre la saison pluvieuse, pour voir leurs peines soulagées. Mais à Togouin dans la commune de Toffo (au sud du pays), les pluies diluviennes menacent plutôt l’accès à larivière et au marigot, seuls points d’eau disponibles.

A Oroukparé dans la commune de Cobly au nord-ouest du Bénin, l’absence d’eau potable est une source de violence conjugale pour certaines femmes. Dans ce village, il faut attendre la saison pluvieuse, pour voir leurs peines soulagées. Mais à Togouin dans la commune de Toffo (au sud du pays), les pluies diluviennes menacent plutôt l’accès à larivière et au marigot, seuls points d’eau disponibles.

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De gauche à droite, Emilienne, Débora et Delphine au marigot à Oroukparé

 

Bagarres entre femmes aux points d’eau, réprimandes et bastonnades à la maison par les époux. C’est parfois ce que le manque et la quête d’eau font vivre à des femmes d’Oroukparé dans l’arrondissement de Kountori, commune de Cobly, au nord-ouest du Bénin. Dans ce village entouré des montagnes de la chaîne de l’Atacora, l’accès à l’eau pose d’énormes problèmes aux femmes, exclusivement responsable de la corvée d’eau. La seule pompe à motricité humaine qui dessert la localité est régulièrement défaillante selon les populations et éloignée de plusieurs habitations.

Pour s’approvisionner en eau, de nombreuses femmes se tournent vers les marigots et rivières. Une décision salvatrice pour certaines, mais source de violences pour d’autres.

Toutes des femmes au foyer et résidant le même quartier, Débora, Delphine et Emilienne vivent presque les mêmes réalités dans leur quête d’eau. En saison sèche, l’eau de marigot tarit. Il arrive alors que la tension monte entre femmes, qui doivent se partager la petite quantité d’eau disponible. Des bagarres, se souviennent les trois amies, surviennent lorsque certaines femmes violent l’ordre de passage instauré en puisant l’eau avant leurs tours. « On se frappe jusqu’à se déshabiller », raconte Débora en riant. Des bagarres, débouchant sur des scènes où les rivales d’eau se retrouvent presqu’à poils, ces femmes disent en avoir connu plusieurs. Et à l’origine, la fureur des époux.

A Oroukparé, il n’est pas question pour certains hommes de manquer d’eau à la maison. « Lorsqu’ils viennent du champ et on n’a pas encore trouvé d’eau, ils nous frappent », confie Débora, mère de deux enfants. « Quand il n’y a pas l’eau, c’est la chicotte », renchérit Delphine, mère de trois enfants. La jeune femme se souvient, toute triste de ses moments de tensions dans son foyer. « On peut même se tuer là-bas (au marigot,ndlr), ce n’est pas un problème », banalise Débora.

Le plus important, affirme la jeune femme, c’est trouver de l’eau à la maison, peu importent la distance à parcourir et les difficultés d’accès. « Nos maris sont tranquilles. On peut se battre à mort au marigot. Ce n’est pas leurs soucis. Mais si nous revenons sans eau, ça va chauffer… »,se lamente Emilienne sous l’acquiescement de ses copines, avec un mélange d’émotions. Et pour éviter la colère de ces hommes, elles bravent le soleil sur au moins 2 km, voire plus, pour ramener de l’eau à la maison, parfois, au prix de leurs intégrité physique, fierté ou orgueil de femmes.

Violences et ruptures

Dans ce village, racontent le trio, la trentaine, des femmes ont déjà quitté leurs maris pour cause de bastonnade due à la pénurie d’eau sous toutes ses formes. Etienne Sambiéni, chef du village, confirme que ces cas sont légion. « Il y a quelques semaines, je suis allé au village voisin demander pardon pour ramener une femme qui était rentrée après des coups de son mari », illustre-t-il. Cette femme, apprend l’autorité locale, est revenue à Oroukparé avec l’assurance qu’il y aura bientôt plusieurs points d’eau potable au village.

Car, précise le chef, son mari n’aime pas l’eau des marigots et rivières. Présent également chez l’autorité locale, l’homme en question a reconnu les faits. Mais M’Pô (prénom d’emprunt), plus de la quarantaine, un peu gêné d’en reparler, justifie son acte par sa préférence pour l’eau de pompe et l’absence prolongée de sa femme lorsqu’elle s’est rendue à la pompe pour chercher de l’eau. « Moi je ne veux pas l’eau de marigot. C’est à elle de se débrouiller pour ramener de l’eau potable à la maison », lâche-t-il sans ambages.

Si M’pô tient à l’eau potable, il n’accepte néanmoins pas que sa femme passe beaucoup de temps dans la quête de cette ressource rare à Oroukparé. « Elle a trop duré et je ne le supportais pas », soulève-t-il, évitant pourtant, de souligner la distance de plus de 2 km qui sépare la pompe de la maison ainsi que l’affluence autour de l’infrastructure d’ailleurs défaillante. En réalité, le quadragénaire reconnaît avoir battu sa femme par jalousie. Il dit avoir soupçonné qu’elle le cocufiait pendant ce temps.  

« Moi aussi j’ai frappé ma femme parce qu’elle a duré à la pompe. En raison de cette longue absence, je me suis dit qu’elle était en train de me tromper avec un autre homme », a témoigné un autre chef de famille, la quarantaine.

Selon le chef de village, cette réalité dans les couples dure depuis plusieurs années. Pour les régler, l’autorité locale appelle au sens de compréhension, tout en « demandant pardon » aux femmes pour qu’elles rejoignent leurs foyers. Battre sa femme pour des soupçons d’adultère, du fait de sa présence prolongée aux points d’eau, n’est pas propre à tous les hommes de ce village. Jean, la quarantaine, lui, comprend sa femme. « Tout le monde sait qu’il n’y a pas beaucoup de points d’eau dans le village et en saison sèche, c’est encore plus compliqué », soutient ce chef de famille qui n’approuve pas le traitement infligé par certains de ses pairs à leurs femmes dans cette corvée d’eau.

D’Oroukparé à Togouin, la pluie n’a pas la même valeur

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Dossi et Inès au marigot à Togouin

 

A Oroukparé, pendant la saison pluvieuse, les problèmes d’accès à l’eau sont conjugués au passé. Pour les femmes dont les conjoints n’ont aucune objection à la consommation d’eau de marigot, c’est le beau temps. La fameuse « chicotte » est désormais rangée au placard. Sauf perturbations pluviométriques, la saison pluvieuse au nord du Bénin s’étend de juin à septembre, selon la géographie du Bénin, publiée sur le site de la présidence. Chaque année, expliquent Débora et ses deux amies, il faut attendre ce moment pour avoir « un peu de répit ».

Oroukparé et Togouin connaissent d’énormes difficultés pour avoir de l’eau. Dans ces deux villages, la qualité de l’eau compte peu. Le plus important pour les populations est d’en disposer, qu’elle soit potable ou non. Si à Oroukparé la saison pluvieuse ramène la joie dans les ménages et soulage surtout les femmes, à Togouin, tel n’est pas le cas. Dans ce village de l’arrondissement de Djanglanmè, commune de Toffo, en saison pluvieuse, l’eau de ruissellement envahit et détruit les marigots.

L’eau auparavant claire ou beige prend désormais une couleur jaunâtre. La voie pour s’y rendre devient aussi problématique. Conséquence : les femmes ont beaucoup plus de peines à aller aux points d’eau. « Nous souffrons énormément. La pluie a tout gâté. Même le chemin pour y aller n’est plus praticable », a témoigné Dossi, la quarantaine le vendredi 24 septembre 2021. La seule voie pour se rendre au marigot, fait-elle remarquer, a été dégradée par les pluies. Selon ses propos, les femmes enceintes n’osent pas emprunter la piste remplie de trous et de montées par endroit. « Elles donnent de l’argent à des jeunes pour leur puiser de l’eau », renchérit dame Inès, sa voisine du quartier. La jeune femme souligne qu’on a pu se rendre au marigot ce vendredi parce que depuis quelques jours il n’y a pas eu pluie. « Sinon, c’est carrément inaccessible. En plus, l’eau se mélange à la boue et devient inconsommable », se lamente-elle.

A cause de l’état de la voie, ces femmes disent être obligées de réduire le nombre de tours quotidiens au marigot. « Désormais il faut attendre que le petit stock soit épuisé avant d’en chercher encore », précise Dossi, toute essoufflée après ce trajet. 

Inès, la trentaine environ, s'inquiète davantage du sort « des femmes du 3e âge ». Au regard des difficultés à emprunter ce chemin, pour ces personnes âgées, c’est la croix et la bannière, apprend-t-elle. « Comment les vieilles mères qui n’ont personne peuvent-elles porter de l’eau sur cette voie ? », interroge la jeune femme lançant un SOS à l’Etat et aux personnes de bonne volonté pour un accès à l’eau potable et à proximité. Contrairement à Oroukparé, à Togouin, les hommes ne battent pas leurs femmes à cause de la pénurie d’eau. Ils comprennent plutôt les difficultés de leurs épouses, confient-elles, et travaillent à améliorer la situation en usant de leurs moyens archaïques pour arranger la voie et les points d’eau. Selon dame Inès, il arrive que son mari l’aide à puiser de l’eau quand elle est dans l’incapacité de se rendre au marigot.

En l'absence d’eau potable, les marigots et rivières font l’affaire à Togouin et des hommes n’hésitent pas à assister les femmes. Lorsque l’eau commence à tarir, les hommes se mettent à l’œuvre pour creuser jusqu’à ce qu’elle réapparaisse. Mais quand vient la période des pluies, il faut la traiter avant de la boire. « Actuellement l’eau est très sale. Mais on n'a pas d’autres options. C’est pourquoi nous la traitons avec de l’alun (Sindakin en langue fongbé, Ndlr) avant de la consommer », précise Dossi.

A Togouin, sont érigées depuis 2011, les installations d’une d’adduction d’eau villageoise, communément appelée AEV. Selon Lazare Dandjinou, chef d’arrondissement de Djanglanmè, cette AEV devrait desservir tous les 8 villages de l’arrondissement. « Depuis 4 ans que je suis dans ce village, j’ai appris qu’il y avait deux points d’eau potable. Mais depuis mon arrivée, ils n’ont jamais fonctionné », rigole Inès. Richard Tchéou est le chef du village de Togouin. « Cette AEV n’a pas fonctionné plus d’un an. Lorsqu’elle était fonctionnelle nous avions de l’eau potable. Même si c’était payant on préfère ça à l’eau de marigot consommée aujourd’hui malgré nous », s’en plaint-t-il.

Selon le CA, depuis que ces installations sont tombées en panne, « l’eau potable est désormais un luxe », notamment à Togouin. Dans d’autres villages de l’arrondissement, souligne-t-il, des gens ont fait des forages. Mais à Togouin, personne n’en a, confie le CV.  « Si tu veux de l’eau potable, il faut aller dans le village voisin à plus de 5 km d’ici pour en acheter », ajoute l’autorité locale.

Menaces sur la santé des populations

La consommation de l’eau non potable est source de plusieurs maladies. Selon plusieurs études, elle est la cause des affections telles que : la diarrhée, la dysenterie, la bilharziose, etc. « J’ai reçu plusieurs femmes pour des infections urinaires, démangeaison de la partie vaginale… parce que l’eau de toilette n’est pas appropriée », a confié Félicien N’Tia, ex-Infirmier chef poste (ICP) du centre de santé d’Oroukparé. A Djanglanmè, apprend Lucrèce Houégbé, sage-femme à la maternité de cet arrondissement, plusieurs femmes notamment enceintes, sont souvent reçues pour des « infections urinaires ». 

Pendant ses 6 ans de services à Oroukparé, l’infirmier N’Tia dit avoir reçu des cas de bilharzioses chez des enfants de 8 à 11 ans. « Il y a également des parasites intestinaux et les douleurs abdominales », ajoute-t-il, contacté au téléphone. Moïse Gbéssi est son successeur à ce poste depuis octobre 2020. « Malgré les sensibilisations, ces populations continuent de consommer l’eau de marigot sans la traiter et s’exposent aux maladies », renchérit l’infirmier rencontré au CS Oroukparé. Major central de la commune de Cobly, Victor Jésugnon Yédénou, souligne que dans cette aire sanitaire, des patients sont souvent reçus pour des maladies diarrhéiques et les infections gastro-intestinales. Mal ou non traitées, ces affections liées à la consommation de l’eau non potable peuvent, selon les agents de santé, être source de mortalité dans certains cas et d’infertilité dans d’autres à long terme.              

Impuissantes, les autorités locales en appellent à l’Etat

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Richard Tchéou, chef village de Togouin (Toffo)

 

Que ce soit à Oroukparé ou encore à Togouin, les autorités restent préoccupées par la souffrance de leurs administrés sur la question d’accès à l’eau. « Nous ne sommes pas insensibles aux peines de ces populations, mais nous sommes limités… », confie Lazare Dandjinou, CA de Djanglanmè. Selon l’autorité, la plupart des ménages de l’arrondissement n’ont pas accès à l’eau potable. A plusieurs reprises, apprend le conseiller communal, les femmes ont été sensibilisées et invitées à traiter l’eau avec des produits recommandés. Une utopie sans doute, dans un milieu où les ménages peinent à joindre les deux bouts.

Toussaint Monté Sinwonko est 2e adjoint au maire de Cobly. S’il reconnaît qu’en saison pluvieuse les femmes se sentent soulagées, il s’inquiète de la « qualité douteuse » de l’eau que consomment les ménages. A Cobly, apprend l’autorité, c’est une AEV qui s’occupe de la distribution de l’eau potable. Malheureusement, regrette le DAM, elle ne couvre que les quartiers urbains de l’arrondissement central. « Ce que nous aurons souhaité est qu’on nous installe tout au moins la Soneb (Société nationale des eaux du Bénin, Ndlr) ici. Nous avons aussi besoin des infrastructures étatiques de base », lance-t-il à l’endroit de l’Etat. Dans certains arrondissements, déplore le responsable, « les forages des cantines scolaires sont envahis par les populations et cela cause des ennuis aux apprenants ».

Scandalisé par la souffrance des populations, l’autorité communale estime que l’attente qui dure depuis des décennies devient trop longue. « Nous ne sommes pas en train de demander des grattes ciel. Nous demandons juste de l’eau potable pour nos populations », a insisté Toussaint Monté Sinwonko. « Nous supplions l’Etat de venir à notre secours. En tant que citoyens béninois, nous voulons aussi avoir de l’eau potable, comme dans d’autres localités du pays », a plaidé le CV de Togouin.

La mise en œuvre des projets d’infrastructures du secteur de l’eau, en milieu rural n’est plus du ressort des conseils communaux. C’est l’Agence Nationale d’Approvisionnement en Eau Potable en Milieu Rural (ANAEP-MR), créée depuis 2017, qui s’en occupe désormais. A Cobly comme à Toffo, les autorités rencontrées ont le regard tourné vers cette structure pour mettre fin leurs problèmes d’accès à l’eau potable.

NB: Cet article a été réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et Odd Tv.