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Bénin: pourquoi le sodabi frelaté règne dans l’Atacora (2/4)

Bénin: pourquoi le sodabi frelaté règne dans l’Atacora (2/4)

Dans les six communes de la chaîne de l’Atacora (Natitingou, Boukoumbé, Toucountouna, Tanguiéta, Cobly et Matéri) l’accessibilité et la disponibilité à moindre coût du sodabi frelaté combinée à d’autres facteurs comme la pauvreté, l’ignorance ou le chômage plongent les populations, les jeunes en tête, dans l’alcoolodépendance.

Dans les six communes de la chaîne de l’Atacora (Natitingou, Boukoumbé, Toucountouna, Tanguiéta, Cobly et Matéri) l’accessibilité et la disponibilité à moindre coût du sodabi frelaté combinée à d’autres facteurs comme la pauvreté, l’ignorance ou le chômage plongent les populations, les jeunes en tête, dans l’alcoolodépendance.

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Jour de marché à Boukoumbé ce 31 août 2021. Olivier, un électricien auto-moto n’a pas une seconde à perdre. Le corps ruisselant de sueur, le jeune artisan, tâcheron à ses heures perdues, est sollicité de part et d’autre par des commerçants pour transporter des marchandises. Son gain journalier, il le dépensera dans la soirée, « Chez Dadjè », ces kiosques où coule du sodabi.

Addict au sodabi frelaté, il dépense sans compter pour étancher sa soif d’alcool. « Je ne peux pas dire combien je dépense. Dès que j’ai un peu d’argent, je m’achète à boire. Je vais dans les coins pour me mettre à l’aise », raconte-t-il, le plus naturellement du monde. Olivier boit beaucoup, surtout quand les températures baissent. « Si je trouve 1000 francs, je vais dans les coins pour me mettre à l’aise parce que je suis embrouillé. Quand je bois lorsqu’il fait frais, ça me réchauffe », confie-t-il.

Dans les six communes de la chaîne de l’Atacora (Natitingou, Boukoumbé, Toucountouna, Tanguiéta, Cobly et Matéri), les causes de la consommation du sodabi chimique et plus largement de l’alcool frelaté sont identiques : pauvreté, analphabétisme, ignorance, chômage, etc. L’une des principales raisons de l’addiction des populations à ce produit est son coût très abordable.

Pour attirer encore plus de clients, le produit est cédé au verre par les vendeurs. Dans la plupart des cabarets et coins de vente, les consommateurs déboursent 50 francs Cfa pour le verre d’environ 10 centilitres. Le prix du litre oscille entre 600 et 800 francs Cfa alors qu’au sud du Bénin d’où il est censé provenir, le litre de sodabi est cédé à 1000 francs Cfa, voire plus. 

Face aux autres liqueurs tout aussi frelatées vendues au même endroit, le sodabi frelaté l’emporte haut la main. A titre de comparaison, le sachet d’environ 5 centilitres de whisky, gin ou rhum peut coûter jusqu’à 125 francs Cfa, tandis que dans les bars, la bouteille de bière de 65 centilitres elle, vaut au minimum 600 francs Cfa. « Avec les 600 francs d’une bière, je peux me complaire pendant trois jours dans les bistros et cabarets », calcule Jacques, ancien enseignant, surtout que « Chez Dadjè », on peut boire et fumer à crédit.

Accessible à moindre coût ce sodabi, « alcool du volontaire à la mort » comme le désignait en 2019 Théophile Nékoua, l’ancien maire de Cobly, coule à flots «Chez Dadjè », ces kiosques spécialisés dans la vente du sodabi.

Ces réduits, tels les métastases d’un cancer ne cessent de proliférer sur le terrain. « Ils sont partout. On se demande d’où provient leur alcool. Ils sont sur place, on ne les voit aller nulle part, mais ils ont toujours cet alcool dans leurs kiosques», tempête, exaspérée, Catherine Nata, relai communautaire à Boukoumbé.

Tempa N’tcha, la secrétaire générale de l’Union des femmes pour le développement de Boukoumbé (UFeDeB Yénta) elle, accuse les ‘’Dadjè’’ de « ruiner la santé » des populations de l’Atacora en toute impunité. La militante et actrice de développement estime qu’ils vendent partout dans l’Atacora et sans être inquiétés, « un produit qu’ils ne seraient pas en mesure vendre au sud  (…) tandis que le législateur, l’autorité départementale et les autorités locales ne disent rien ».

« Culture de l’alcoolisme » ?

Selon Gaston Behiti, président de l’ONG « Dynamique civique pour une veille citoyenne » (DCVC), les racines de l’addiction à cette boisson dans la zone remontent aux années 80. A l’époque, explique cet attaché des services administratifs à la retraite, du sodabi bas de gamme, (« du sodabi dilué »,) était convoyé du sud du Bénin vers le département.

Houdou Ali, préfet de l’Atacora à l’époque, s’en souvient. Il avait d’ailleurs fait de l’éradication de cette boisson, son cheval de bataille. « C’était catastrophique. On voyait des gens hurler en plein marché ; d’autres tombaient et mouraient. Ça a commencé à être inquiétant et j’ai engagé la lutte. On arraisonnait des cargaisons de sodabi qu’on versait par terre. La lutte a été épique, mais c’était nécessaire pour la salubrité publique », témoignait l’ex-préfet lors d’un entretien réalisé en mars 2020. 

Mais à cette époque, il s’agissait d’un produit végétal, issu du palmier.   « Aujourd’hui, nous sommes passés du sodabi végétal au sodabi chimique, fabriqué à partir de substances d’origine douteuse », alarme Gaston Béhiti. Abusivement appelée sodabi, cette boisson, même si elle en a l’apparence, n’a rien à voir avec la liqueur traditionnelle à base de vin de palme fabriquée dans la partie méridionale du Bénin.

Selon, Dr Emmanuel Sambiéni, socio-anthropologue de nombreux facteurs font le terreau de l’addiction des populations de l’Atacora au sodabi frelaté, et notamment sa disponibilité à moindre coût et son accès facile. Il pointe aussi le manque de travail, en l’occurrence le chômage des jeunes diplômés sans entreprise personnelle. « Les jeunes qui sortent des écoles secondaires, des universités et des centres d’apprentissage et qui ne sont ni employés ni autoemployés sont oisifs. Ils s’occupent par la consommation de l’alcool ».

Autre facteur, la disponibilité au sein des communautés de modèles d’alcoolodépendance, qui constituent une attraction pour certains jeunes. « La présence de ces modèles laisse parler de culture de l’alcoolisme dans l’Atacora», selon Dr Sambiéni. En outre, il indexe le relâchement des dispositifs initiatiques et de socialisation communautaire des enfants et des jeunes. Ce relâchement, analyse-t-il, donne à ces derniers « la liberté de penser, de dire et de faire des choses qui étaient bien contrôlées par les aînés ».

(A suivre)

NB: Cet article est réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et ODD TV.