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Accès universel à l’eau potable : ce qui retarde le succès béninois

Accès universel à l’eau potable : ce qui retarde le succès béninois

Quelques mois après son avènement au pouvoir en 2016, le régime du président Patrice Talon s’était fixé pour objectif d’assurer l’accès universel à l’eau potable des populations à l’horizon 2021, alors que le taux de desserte tournait autour de 55 %. Des progrès ont été réalisés sans atteindre l’objectif fixé. En mai 2021, dans son discours d’investiture pour un second mandat, le Patrice Talon s’est donné une nouvelle échéance : fin 2023. Est-ce tenable? Pourquoi l’objectif n’a-t-il pas été atteint en 2021 ? Banouto a cherché des éléments de réponses.

Quelques mois après son avènement au pouvoir en 2016, le régime du président Patrice Talon s’était fixé pour objectif d’assurer l’accès universel à l’eau potable des populations à l’horizon 2021, alors que le taux de desserte tournait autour de 55 %. Des progrès ont été réalisés sans atteindre l’objectif fixé. En mai 2021, dans son discours d’investiture pour un second mandat, le Patrice Talon s’est donné une nouvelle échéance : fin 2023. Est-ce tenable? Pourquoi l’objectif n’a-t-il pas été atteint en 2021 ? Banouto a cherché des éléments de réponses.

compteur soneb beninDes compteurs d'eau de la Soneb, dans une résidence privée à Cotonou

 

Jeudi 30 décembre 2021 à Domè-Sèko, un village de la commune de Zè, à 45 km de Cotonou. Julienne, productrice agricole est dans les préparatifs pour la fête du nouvel an 2022. La mère de famille dit avoir pratiquement bouclé les dispositions pour une célébration à la hauteur de ses moyens financiers. Sa seule préoccupation : l’assurance d’avoir à disposition de l’eau potable pour le repas du nouvel an.

Julienne n’aimerait pas revivre la mésaventure qu’elle a connue deux jours auparavant. « Nous sommes partis au champ sans avoir de l’eau en réserve à la maison. A notre retour dans la soirée, la pompe où on s’approvisionne était en panne. N’ayant pas d’eau pour faire la cuisine, On s’est contenté de délayer du gari au diner », raconte-t-elle.

Située à une trentaine de minutes de marche de la maison, poursuit-elle, « la pompe tombe régulièrement en panne. Ça tient pendant deux mois au plus. Lorsqu’elle ne fonctionne pas, nous payons les zémidjans (taxi-motos) qui se rendent dans d’autres villages pour nous ravitailler ».

Julienne se montre encore plus soucieuse de la situation de Tomasséahoua, une localité un peu plus éloignée, où l’accès à l’eau potable est « pénible » pour les habitants. Ruth, élève, habitante de Tomasséahoua, indique qu’elle passe au moins 1 h de route à l’aller-retour, pour sa corvée d’eau.

Les difficultés d’accès à l’eau potable ne sont pas propres aux zones de résidence de Julienne et Ruth. Selon le document de synthèse de la stratégie nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu rural, en 2017 le taux de desserte en milieu rural était de 42%, avec des disparités entre les départements.

En milieu urbain et péri urbain, 69 chefs-lieux de communes sont couverts par la Société nationale des eaux du Bénin (Soneb), sur les 77, avec un peu plus de 3 millions de populations desservies en 2015, informe le document bilan de mise en œuvre du programme d’action du gouvernement 2016-2021.

Promesse de l’Etat

En conseil des ministres fin décembre 2016, le gouvernement Talon, installé à la tête du Bénin huit mois plus tôt, avec beaucoup d’espoir, a dévoilé son ambition sur le plan de l’eau potable. L’objectif défini dans le compte rendu du Conseil des ministres du 21 décembre 2016 est « d’assurer l’accès universel à l’eau potable aux populations béninoises à l’horizon 2021 ».

Pour le milieu rural, la définition de l’objectif d’assurer l’accès universel à l’eau potable aux populations est suivie de l’élaboration d’une stratégie 2017-2030, qui reprécise les échéances de l’ambition gouvernementale. 2021 est retenue pour fournir à l’ensemble de la population rurale « l’accès à une source d’eau améliorée à moins de 30 minutes aller-retour de son domicile, y compris le temps d’attente au point d’eau ».

Quant à l’échéance de 2030, celle de l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD), elle concerne l’accès à « une source d’eau potable à domicile, en prenant en compte une mobilisation durable des ressources en eau et la construction d’infrastructures hydrauliques adaptées aux enjeux d’amélioration de la desserte », précise le document de stratégie nationale.

« Dans certains milieux, les habitats sont dispersés. Les gens, même quand ils appartiennent au même village, sont assez éloignés les uns des autres. Vous avez aussi des camps peuhls, avec deux ou trois familles. Parler d’accès universel, c’est tenir compte de tous ces aspects », explique Alain Tossounon, journaliste et spécialiste eau-hygiène-assainissement pour montrer les défis du pari du gouvernement béninois.

La nouvelle approche de gouvernance de l’eau potable en milieu rural a induit plusieurs changements. Entre autres, la création de l’Agence nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu rural (Anaepmr) et le passage envisagé de système villageois à des systèmes multi villages d’approvisionnement en eau potable.

« Au lieu de faire des adductions d’eau villageoise où chaque village à un système, on prend l’arrondissement, on construit un système avec un gros château auquel on connecte tous les villages de l’arrondissement. Ça simplifie la gestion », expliquait en mars 2021 sur la radio nationale (Ortb), Sylvain Adokpo Migan, directeur général de l’Anaepmr. Au total, il est prévu 614 Système d’approvisionnement en eau potable multi villages (SAEPmV) auxquels seront incorporées plus de 600 adductions d’eau villageoises existantes.

Des pas franchis

Selon des chiffres officiels, exposés dans le bilan de mise en œuvre du programme d’action du gouvernement 2016-2021, le taux de desserte totale (milieu rurale et urbain) a connu une progression ces cinq dernières années ; passant de 55 % en 2016 à 69% en 2020.  

En milieu rural, de 42% en 2017, le taux de desserte en eau potable est passé à 70 % à fin décembre 2020, soit environ 7 Béninois sur 10, selon le rapport semestriel de l’Anaepmr sur le suivi du patrimoine et des performances du service public de l’eau potable en milieu rural au Bénin de janvier à juin 2021.

Sylvain Adokpo Migan, directeur général de l’Anaepmr, souligne aussi les réformes, « les choses soft », faites pour l’organisation et la planification du secteur. « On a rebâti le secteur. On a donné un fondement et un socle », soutenait-il dans son entretien de mars 2021 sur la radio nationale.

Les réformes ont permis de « revoir complètement » la planification de l’offre de service public de l’eau potable et de savoir « de façon prospective » les équipements nécessaires « pour mailler l’ensemble du territoire de façon équitable. Aujourd’hui nous avons des études qui couvrent l’ensemble du pays. (…) Nous sommes prêts à parer à n’importe quelle sollicitation de montage de programme. »

En milieu urbain, le taux de desserte qui était de 54 % en 2016 est passé à 74% en 2020, selon le document bilan du PAG Talon 1. Plusieurs travaux réalisés ont permis d’améliorer l’accès à l’eau potable dans les communes d’Abomey, Bohicon, Dassa, Savalou, Abomey-Calavi et Parakou.

L’arbre qui cache la forêt

L’amélioration des taux de desserte en eau potable en milieux rural et urbain de 2016 à 2021, cache d’autres réalités. En milieu rural, les pannes d’ouvrages occasionnent des ruptures du service. Les ouvrages peuvent alors exister sans que leur état, à des moments donnés, ne permette aux populations d’avoir accès à l’eau potable.

Le suivi de performance du service public de l’eau potable, actuellement dans sa phase pilote, fournit des données sur l’état d’une partie du patrimoine. 30 adductions d’eau villageoise (AEV) sont concernées. Selon le rapport semestriel (janvier à juin 2021) de l’ANAEPMR, sur les 30 AEV suivies, 7 ont connu 193 jours de panne dans les départements de l’Alibori, le Borgou, l’Ouémé et le Plateau. 10 ont connu 130 jours de panne dans les départements de l’Atlantique, l’Atacora et la Donga, et 13 ont connu 429 jours de panne dans les départements du Zou, les Collines, le Mono et le Couffo.

« La durée des pannes enregistrées sur les 30 AEV en phase pilote de suivi de gestion reste particulièrement élevée au cours du 1er semestre 2021 sur le périmètre 3 (…) Le mauvais état des infrastructures et le défaut de réhabilitation et de maintenance sur ces AEV constituent les principales causes d’occurrences de ces pannes », explique le rapport.

En 2019, rapporte le Cadre de concertation des Acteurs Non étatiques pour l’Eau et l’Assainissement (Canea), le taux de panne était de 25,3% dans le Couffo, 22,0% dans le Plateau, 15,9% dans le Zou et 14,5% dans le Borgou. Selon une note budgétaire de Social Watch Bénin en date de janvier 2021, le taux de panne national était de 11,10 % en 2019 et 5% en 2020.

En milieu urbain, relève la Canea dans son rapport de juillet 2020 qui reste d’actualité selon Alain Tossounon, « les populations de plusieurs villes considérées comme desservies éprouvent encore des difficultés à bénéficier du service de qualité. La continuité du service n’est pas assurée en raison de la quantité insuffisante de production, des coupures de l’énergie électrique qui ont des conséquences sur la distribution de l’eau. A ces coupures, il faut ajouter les perturbations dues aux casses ou aux travaux d’aménagement qui privent les populations du liquide précieux pendant un temps plus ou moins long. »

« Échéance politique »

Des progrès sont réalisés, mais le gouvernement n’a pas atteint son objectif d’offrir de l’eau potable à tous en 2021. Le 23 mai 2021, dans son discours d’investiture pour un second mandat, Patrice Talon s’est fixé une nouvelle échéance : fin 2023. « On a fait un bond. Mais nous-mêmes on est resté sur notre soif, on parle de l’eau. L’objectif c’était de faire les 100%. Au regard de ce qui a été fait et des discussions engagées çà et là, on a dit à fin 2023, ce serait couvert », a souligné mi-janvier 2022, le porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji, lors d’un échange avec des médias.

Pourquoi l’objectif n’a-t-il pas été atteint en 2021 ? La nouvelle échéance de fin 2023 est-elle réaliste? 2021 était une « échéance politique », répond un fin connaisseur de la problématique d’approvisionnement en eau potable au Bénin. 2023 n’en est pas moins une, selon ses analyses. « Donner de l’eau potable aux populations répond à un protocole. En 2026 (à la fin du régime Talon, Ndlr), le gouvernement aura fait de grandes réalisations dans le secteur de l’eau potable, mais sans atteindre l’accès universel », projette-t-il.

A titre d’exemple, explique l’expert eau, compte tenu de spécificités de son itinéraire technique, la réalisation d’un système multivillage peut durer à 2 ans et demi. Il pointe aussi du doigt le Covid-19. Les changements induits dans le fonctionnement des industries par la pandémie ont rallongé les délais de production et de livraison du matériel de réalisation des ouvrages, explique-t-il.

A ces facteurs, il ajoute la faible capacité des entreprises locales du secteur eau. « Le chef de l’Etat à une ambition, mais il manque le répondant au plan national pour la concrétiser. Par exemple, des entreprises locales n’ont pas les capacités financières pour réaliser les infrastructures eau potable à l’envergure voulue par le gouvernement », croit savoir l’expert.

De grandes actions annoncées

Le pessimisme de certains experts semble ne point entamer l’engagement des autorités béninoises. Face aux défis, quelles sont les diligences en cours pour l'atteinte de la desserte universelle en eau potable en fin 2023? Deux courriers ont été adressés à l'Anaepmr et la Soneb respectivement le 14 novembre et le 09 décembre 2021 pour avoir des réponses à cette question et bien d'autres. Le directeur général de l'Anaepmr nous a reçus le 08 décembre 2021 en indiquant que sa structure communiquera au moment opportun sur les impacts de ses actions.

Interpellé sur les diligences en cours en milieu rural, lors d’un échange avec la presse sur l’actualité nationale, mi-janvier 2022, Wilfried Léandre Houngbédji, porte-parole du gouvernement, a annoncé qu'à fin décembre 2021, les structures compétentes ont fini avec les appels d'offres pour 95 systèmes d’approvisionnement multi-villages (SAEPmV), dont la réalisation impacterait autour de 1 300 000 Béninois.

Ces 95 SAEPmV font partie des 614 prévus pour assurer la desserte universelle en milieu rural. Selon des sources internes aux structures de gestion de l'accès à l'eau potable, ces 95 pourraient entrer en chantier d'ici le début du deuxième trimestre 2022. L’achèvement de la construction d’un autre lot d’une vingtaine de SAEPmV est espéré d'ici la fin du premier semestre 2022, poursuivent nos sources.

Elles ajoutent que la mobilisation des ressources pour la construction d'une centaine de SAEPmV devrait commencer au cours de l'année. Le coût revisité du programme eau potable tournerait autour de 800 milliards de Fcfa dont près de la moitié serait déjà mobilisée, informent-elles.

La demande d’entretien adressée au directeur général de la Soneb est restée sans réponse jusqu'au moment où nous mettons sous presse. Dans le programme d'action du gouvernement 2021-2026, rendu public courant janvier 2022, sans mentionner les projets spécifiques aux 08 chefs-lieux de communes (Karimama, Kalalé, Cobly, Gogounou, Ouinhi, Ouèssè, Kpomassè et Zè) non encore couvert par la Soneb, le gouvernement réitère sa volonté d’assurer l’accès universel à l’eau potable.

NB: Cet article est réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et ODD TV.