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Accès à l’eau potable au Bénin: les infrastructures en souffrance à Ifangni

Accès à l’eau potable au Bénin: les infrastructures en souffrance à Ifangni

L’accès à l’eau potable, surtout en milieu rural, constitue une préoccupation majeure au Bénin. Ceci, malgré les efforts consentis par le gouvernement. A Ifangni, commune du sud-est, le défaut d’entretien des infrastructures d’approvisionnement se révèle être un obstacle à l’accès des populations à l'eau potable.

L’accès à l’eau potable, surtout en milieu rural, constitue une préoccupation majeure au Bénin. Ceci, malgré les efforts consentis par le gouvernement. A Ifangni, commune du sud-est, le défaut d’entretien des infrastructures d’approvisionnement se révèle être un obstacle à l’accès des populations à l'eau potable.

ImageSituée dans le département du Plateau, la commune de Ifangni compte 103 forages à pompe manuelle ou forage à pompe à motricité humaine (Fpm), huit Adductions d’eau villageoise (Aev) dont une mini Aev réalisé par l’Aberme et en cours d’intégration dans le patrimoine communal, renseigne le responsable eau et assainissement à la mairie d’Ifangni, François Hounkanrin. Suffisant probablement pour approvisionner les populations en eau potable. Seulement presque la quasi-totalité de ces infrastructures ne desservent pas en réalité les populations. Elles sont en panne ou non exploitées. Certaines sont déclarées irrécupérables.

Sur les 103 forages à pompe manuelle (Fpm), seulement 11 sont fonctionnels et exploités. Dans un entretien en novembre 2021, François Hounkanrin indique que 81 sont en panne, 3 sont fonctionnels mais non exploités, 8 sont irrécupérables et seulement 11 sont fonctionnels et exploités. Au niveau des Aev, sur les sept Aev que compte lfangni, 5 sont fonctionnelles, 01 en cours de réhabilitation et 01 irrécupérable.  

L’Agence nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu rural (Anaepmr) réalise un Système d’approvisionnement en eau potable multi villages (SaepmV) dans l’arrondissement de Daagbé d’une capacité de 350m3. Les études sont terminées pour la construction de celui de Ko-Koumolou. A ces ouvrages réalisés par l’Etat, s’ajoutent ceux offerts par des bonnes volontés venues des pays du Golfe.

Selon le rapport semestriel du suivi du patrimoine et des performances du service public de l’eau potable en milieu rural au Bénin Janvier-Juin 2020 de l’Agence d'Approvisionnement en Eau Potable en Milieu Rural (Anaepmr), le taux de desserte de la commune d’Ifangni était de 36, 08 %.

Situer les responsabilités...

La gestion des infrastructures d'approvisionnement en eau potable est confiée à des exploitants par la mairie. « Chaque fin de mois, je relève les numéros des compteurs et collecte les recettes au niveau des agents engagés pour vendre l’eau au niveau des bornes-fontaines sous ma tutelle », fait savoir Mohamed Agonon, exploitant d’AEV de Daagbé. De ses explications, il ressort que les recettes servent à régler la paie des agents positionnés au niveau des bornes-fontaines. Après avoir également prélevé 25Fcfa sur chaque mètre cube vendu, le reste est reversé dans les caisses de la mairie.

L'exploitant est tenu de faire un rapport mensuel de gestion et de signaler d’éventuelles pannes ou dysfonctionnements. Tout ceci, sous la supervision du responsable eau-assainissement de la mairie d'Ifangni. Ce dernier fait un suivi permanent à travers des descentes sur le terrain. Comment peut-on alors expliqué l'état défaillant des infrastructures découlant d'un défaut d’entretien ?

La plupart des exploitants rencontrés estiment ne gagner que des miettes. Ce qui déteint aussi sur la rémunération des agents vendeurs d’eau au niveau des bornes-fontaines. Toute chose qui a occasionné l’abandon de certaines bornes-fontaines. Des infrastructures se retrouvent non exploitées pour défaut d’agent vendeur d’eau. « On ne me paie pas bien », se plaint une sexagénaire vendeuse d’eau à une borne-fontaine.

Concurrence des ouvrages ‘’arabes’’

Kpikonsouhou, exploitant de Zian dans l’arrondissement de Lagbè, relève que « l’eau est chère (400 à 500 F/m3, NDLR) ». Les populations préfèrent se rabattre sur ceux qui ont des forages privés ou des forages réalisés par les donateurs arabes venus des pays du Golfe. Les forages réalisés par les fondations musulmanes pullulent à Ifangni. D’après l’Imam de Sobè, Galy Elégbédé, le principe est de mettre à disposition des communautés qui ont exprimées le besoin, des forages.

forage-arabe-ifangniUn des forages arabes qui concurrencent  les ouvrages de la maire de Ifangni

L’eau de ces forages ne devait pas être vendue. Mais, afin de permettre l’entretien de l’ouvrage, le chef de collectivité ou celui à qui est confiée la gestion, peut décider du contraire. Dans ce cas, obligation lui est faite de vendre l’eau à moindre coût. L’eau de ces ‘’forages arabes’’ coûte pratiquement deux fois moins chère que celle des bornes-fontaines sous l’autorité de la mairie. La bassine d’eau coûte entre 25 et 50 francs Cfa au niveau des bornes-fontaines de l’Etat, alors que les forages arabes vendent deux bassines à 25 ou 50 francs Cfa.  

Les gestionnaires des forages arabes sont tenus de rendre gratuite l’eau à la communauté deux à trois jours par semaine. Des particuliers ont même fait couper les branchements qu’ils avaient sollicités et obtenu de la mairie. C’est le cas de Bernard qui, en plus de son forage ppersonnel, a la gestion d’un forage arabe. Il informe avoir payé 150 000 FCFA pour un branchement de la mairie où le m3 lui était vendu à 600 Fcfa. Il a finalement abandonné ce branchement.

Selon le document de la séance publique de reddition de comptes en eau, hygiène et assainissement au titre de l’année 2021, le prix de vente de l’eau à la borne-fontaine (BF) est passé de 500 F/m3 à 400 F/m3 et de 600 F/m3 à 500 F/m3 au niveau des branchements privés (BP). 

Le même document indique que la prolifération anarchique des postes d’eau autonome (PEA) privés dans la commune tels que ceux réalisés par la communauté musulmane occasionnent la mévente au niveau des bornes-fontaines de la mairie et soumet celles-ci à l’abandon.

Vandalisme et incompréhension

La situation de non fonctionnalité des ouvrages et de l’amenuisement des recettes en eau au niveau de la mairie est aussi due aux actes de vandalisme sur les réseaux. Le document présenté lors de la séance publique de reddition de comptes en eau, hygiène et assainissement au titre de l’année 2021 renseigne que 13 compteurs des bornes fontaines ont été volés. La mairie a réussi à en récupérer 4. Pour l’instant, 7 bornes fontaines sont sans compteur dont l’AEV de Tchaada. A cela s’ajoute le vieillissement des réseaux qui occasionne des casses répétées des conduites et la défaillance des pièces de rechange des bornes-fontaines.

Les exploitants rencontrés informent que dès qu’il y a une panne, ils la signalent à la mairie. Pourquoi les réparations ne sont-elles pas faites ? Selon François Hounkanrin, responsable eau et assainissement de la mairie d’Ifangni, le véritable problème est que le contrat des artisans réparateurs de ces ouvrages est arrivé à terme depuis 2020 et il n’y a pas eu de renouvellement. Il explique qu’il n’existe aucune ligne budgétaire dédiée à la réparation de ces ouvrages. François Hounkanrin confie que le tir a été corrigé dans le budget exercice 2022 de la commune. 

Le journaliste et spécialiste eau-assainissement, Alain Tossounon explique cette absence de ligne budgétaire pour les réparations des ouvrages eau, par une incompréhension entre les communes et l’Anaepmr. Les mairies avaient, par le passé, une ligne budgétaire dédiée à la réparation des ouvrages eau. La réforme du secteur de l’eau a induit l’avènement de l’Anaepmr dans la gouvernance de l’eau potable en milieu rurale.

infrastructure-en-panne-baodjoUne borne fontaine en panne à Baodjo servant de séchoir à piments

« Dans la loi sur la décentralisation, la fourniture de l’accès à l’eau potable est une compétence communale. Et si on veut bâtir des programmes nationaux pour pouvoir mobiliser les moyens et avoir des discussions structurées avec le gouvernement et les partenaires, il faut en arriver à un programme national », rappelait, Sylvain Adokpo Migan, directeur général de l’Anaepmr en mars 2021, sur la radio nationale (Ortb).

« On a dû passer, par l’intermédiaire de l’Etat, une convention cadre avec les communes pour que nous soyons l’agence des communes, qui opère au nom des communes de façon à avoir non plus de petits programmes mais de grands programmes capables d’engranger de gros moyens pour résoudre définitivement le problème (de l’eau potable, ndlr), a-t-il ajouté. Nous avons signé une convention cadre avec l’Etat et des accords spécifiques récemment signés nous permettent aujourd’hui d’être le bras opérationnel non seulement du gouvernement mais également des communes. » 

La réalisation des infrastructures eau étant désormais confiée à cette Agence, les communes ont cru qu’elles n’ont plus de responsabilité en matière de réalisation et de gestion d’ouvrages.

Ceci justifie d'ailleurs l’absence de ligne pour la réparation des ouvrages, dans le budget de certaines communes, depuis la création de l’Anaepmr. Mais la réalité sur le terrain laisse toujours perplexe. Des ouvrages en panne et abandonnés par défaut d'entretien. Si l'Agence prévoit de recruter des opérateurs privés régionaux pour la gestion des ouvrages, les communes ont encore « la responsabilité de continuer à faire les réparations et les réhabilitations pour assurer la continuité », précise Alain Tossounon.

Tout en étant prudent, il espère qu’avec la réforme du gouvernement, la gestion des ouvrages sera meilleure.  

NB: Cet article est réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et ODD TV.