Sahgui rêve d’embrasser une carrière politique après ses études. Il compte solliciter un jour le suffrage des populations pour devenir député. Mais ce rêve qu’il caresse s’étiole. L’écolier en classe de CE2 à l’Ecole primaire publique de Koualou dans la commune de Matéri n’a plus repris le chemin de l’école depuis que les autorités ont dû fermer les portes de son établissement en novembre 2021. La situation attriste le petit garçon. « Je ne me sens pas bien depuis la fermeture de notre école », confie-t-il.
L’école de Sahgui a été fermée à la suite d’une menace terroriste. « Un lundi matin, sur près de deux cent élèves, on a retrouvé que vingt-sept. J’ai appelé le président du bureau de l’association des parents d’élèves pour savoir. Il m’a dit que les gens-là (expression utilisée dans la zone pour désigner les groupes armés terroristes, Ndlr) sont venus faire une réunion la veille et ont ordonné de fermer l’école sinon nous allons ramasser les pots cassés », a confié le directeur de l’école.
Les membres de groupe d’extrémisme violent, apprend-on, sont arrivés, armes en mains, pour demander à la population de se convertir à l’islam qui serait la meilleure religion. S’agissant de l’éducation, ils auraient suggéré aux parents d’inscrire leurs enfants dans les écoles coraniques.
« Quand quelqu’un vous parle ainsi avec une arme à la main, cela fait peur. Ce n’est pas une négociation », commente Pascal Touboudieni, directeur de l’école primaire publique de Niéhoun aujourd’hui fermée.
A la suite de cette menace, le directeur de l’école de Koualou affirme avoir porté plainte au commissariat et tenu informer sa hiérarchie. Environ deux semaines après, les autorités ont décidé de fermer l’école et d’autres. Au total, dix écoles primaires publiques sont fermées pour raison de menace terroriste. On en dénombre quatre dans la commune de Matéri (novembre 2021), cinq à Karimama (début de l’année scolaire 2022-2023) et une à Banikoara, quelques mois après le début de l’année scolaire en cours.
Des dizaines d’écoliers à la maison
A Matéri, les enseignants des écoles fermées ont été redéployés dans d’autres établissements. Les apprenants, plus de quatre cent, ont été, certains, réintégrés à l’effectif d’autres écoles de la commune, apprend le maire Robert Kassa. Des écoliers ont également été déplacés.
Mais tous les apprenants des écoles fermées n’ont pu reprendre le chemin de l’école. Qu’est-ce qui justifie cet état des choses ? « Vous comprenez que l’écolier qui avait son école, peut-être, à un kilomètre de sa maison, si vous lui dites d’aller dans une autre école qui est à huit kilomètres, c’est compliqué », a expliqué le directeur départemental des enseignements maternel et primaire de l’Atacora, Médard N’Dah, dans un entretien téléphonique le 3 février 2023.
Il explique que la solution trouvée pour pallier la difficulté liée à la distance a été de réintégrer les écoliers des établissements fermés dans des écoles dotées de cantines scolaires. Ceci, justifie-t-il, « pour que l’enfant qui arrive dans la matinée soit obligé de rester toute la journée avant de repartir à la maison le soir ». Mais cette solution n’a pas suffi à maintenir tous les enfants à l’école.
Depuis, les autorités réfléchissent, selon le directeur départemental, avec les centres de promotion sociale et le conseil communal, à d’autres pistes de solutions. « Mais c’est compliqué, très compliqué », fait savoir une autorité sous anonymat.
Sahgui fait partie de cette catégorie d’apprenants qui a abandonné les cours. Dans sa famille de huit enfants, ils sont cinq à être ainsi déscolarisés. Leur père a expliqué, dans un entretien le 22 décembre 2022, qu’il n’a pas les moyens de leur louer une chambre dans une localité où ils peuvent poursuivre leurs études.
Selon le maire de Matéri, environ deux cinquième des apprenants des écoles fermées sont déscolarisés. Ce taux serait plus important, à en croire certains habitants. « Beaucoup d’enfants ont été privés d’école par leurs parents qui craignaient pour leur sécurité », révèle Abiba. Cette mère de famille a vu deux de ses enfants arrêter ainsi l’école. Les deux enfants, l’un alors en 6e et l’autre en 5e, ont été déscolarisés après les premières attaques terroristes à Porga, avant de finalement quitter la localité, apprend Ibrahim, leur père, déplacé interne rencontré à Tanguiéta fin novembre 2022.
A Karimama, environ cinq cent apprenants fréquentaient les écoles fermées. Il est difficile de dire avec précisions ce qu’ils deviennent. Un acteur de l’éducation intervenant dans la commune craint qu’un grand nombre d’apprenants soient déscolarisés.
« Nos parents sont réfractaires à la scolarisation et quand ce phénomène (l’extrémisme violent, ndlr) est venu, vous voyez, d’autres ont préféré garder leurs enfants à la maison », commente Pascal Touboudiéni qui redoute que le taux d’analphabétisme grimpe et impacte négativement la société.
Risque d’un avenir dépourvu d’espoir
Que deviennent les écoliers ainsi déscolarisés ? « Ils restent seulement à la maison. Ils ne font rien. Ils m’aident seulement à travailler au champ », a répondu le père de Sahgui au sujet de ses enfants déscolarisés. Président de l’association des parents d’élèves de l’Ecole primaire publique de Koualou, le père de famille croit savoir que la situation est identique pour les autres déscolarisés en raison de la menace terroriste.
Cette situation n’est pas sans conséquence sur l’avenir des apprenants aujourd’hui déscolarisés. « On ne voit pas aujourd’hui, mais à la longue, ça va jouer sur eux », prévient un instituteur de l’une des quatre écoles fermées à Matéri.
« A travers une formation scolaire, les enfants, s’ils évoluent bien, entrent dans la vie active avec un certain nombre d’atouts. S’ils n’ont pas pu terminer leurs études, c’est un peu difficile d’entrer dans la vie active », fait-il observer avant de s’interroger :
« Déscolarisé, qu’est-ce que l’enfant peut devenir demain ? ».
« Sans éducation, les enfants seront aux prises avec un avenir dépourvu d’espoir. La vie d’un enfant déscolarisé est une tragédie faite de potentiel non réalisé et d’opportunités manquées », souligne le Fonds des Nations Unies pour l’enfance dans un numéro de SOS Enfants paru en 2019 et intitulé : « L’éducation en péril en Afrique de l’Ouest et centrale ».
Selon Dr Boris Houénou, économiste béninois, la situation de déscolarisés dans laquelle se trouvent plusieurs écoliers hypothèque non seulement leur avenir, mais impactera négativement également l’économie nationale. L’économiste béninois révèle que la formation du capital humain est un « facteur important du développement économique ». De ce fait, il juge très « préoccupant » le coup d’arrêt ainsi donné à la formation du capital humain en raison de la fermeture des écoles pour menaces terroristes.
Travail des enfants, mariage précoce…
Les enfants déscolarisés sont en butte à de nombreuses formes de violences. Selon un acteur béninois de l’éducation, la situation sécuritaire actuelle a accentué le travail des enfants. Certains apprenants déscolarisés, notamment les filles, apprend-il, sont conduits par leurs parents vers le Togo pour travailler comme domestique.
D’autres écoliers, apprend l’expert en éducation, sont envoyés vers Banikoara pour travailler dans les champs de coton. Le phénomène, fait-il savoir, n'est pas nouveau à Matéri. Mais la situation sécuritaire actuelle l’a aggravé.
« Lorsque ces difficultés sont apparues, les parents trouvent tout bénef de dire : ''bon, comme ça ne va pas, comme les autres enfants qui vont à Banikoara dans le champ de coton, vous allez aussi'' », tente d’expliquer l’acteur de la société civile et fin connaisseur du système éducatif béninois.
Au moins deux filles déscolarisées du fait de la menace terroriste et ses corollaires, ont été données en mariage. Les deux sœurs avant de devenir brusquement des femmes au foyer étaient l’une en 6e et l’autre en 5e. « Nous, on n’aime pas laisser les filles comme ça, sinon quelqu’un va les gâter vite. Comme il n’y a pas de travail, même si quelqu’un t’appelle, il va te trahir. C’est à cause de ça que je les ai données en mariage », a-justifié dans un français approximatif, leur père, un déplacé de Porga.
Le père a justifié le choix de donner les filles en mariage plutôt que de les mettre en apprentissage d’un métier de l’artisanat par la crainte qu’elles soient détournées. « Si tu ne trouves pas un bon patron, c’est là-bas même les filles sont gâtées ».
Problèmes de fournitures, kaki…pour des ''recasés''
Les écoliers réinscrits dans d’autre établissement après la fermeture de leur école s’intègrent progressivement. Non, sans difficultés. Anciennes élèves de l’Ecole primaire publique de Tantchiani, dans la commune de Matéri, Salamatou et sa sœur fréquentent désormais l’Ecole primaire publique de Tcharikouanga dans la même localité. Cette école moins éloignée de leur nouveau lieu d’habitation et avec une cantine séduit bien Salamatou. Seul bémol : ses amis. « Avant, je m’amusais avec mes amis. Maintenant, je ne les vois plus pour nous amuser ensemble », révèle-t-elle.
Arrivés presque les mains vides selon des directeurs d’école d’accueil à Matéri, certains apprenants ''recasés'' n’ont pas toutes les fournitures nécessaires. Jusqu’à début avril, la tenue réglementaire fait défaut à un certain nombre d’écoliers.
L’autre difficulté évoquée, c’est le ratio enseignant-écoliers. « La surpopulation s’observait, malheureusement, elle s’est intensifiée », confesse le maire de Matéri. Cette croissance de l’effectif des apprenants n’est pas suivi par celui des enseignants. Dans certaines écoles à six classes, on dénombre cinq enseignants. Dans ce cas, apprend un enseignant, les classes de CM1 et CM2 sont couplées. « Quand le CM2 est avec le CM1, on n’arrive pas à vite finir le programme et faire la révision comme il se doit », fait observer plaintif un directeur d’école primaire publique.
De nombreux responsables d’écoles primaires publiques ont assuré que la situation n’a pas d’impact négatif sur la qualité des enseignements qu’ils dispensent.
« Le contexte actuel, qu'on le veuille ou non, a fragilisé tout le dispositif qui était mis en place pour permettre un meilleur encadrement des enfants », relève plutôt un observateur averti de l'éducation au Bénin. « Avant, illustre-t-il, les enfants avaient accès d'une manière ou d'une autre, à toutes les 52 semaines de cours. Maintenant, avec la situation, ce n'est pas possible. Il y a des écoles qui ont ouvert à Karimama 2 ou 3 mois après la rentrée des classes ».
« C’est un sujet sensible »
La quête de solutions pour continuer à garantir le droit à une éducation de qualité pour tous, notamment aux enfants des communes sous la menace terroriste, mobilise Etat, organismes internationaux, et organisations non gouvernementales. Selon les informations obtenues de divers acteurs, de nombreuses initiatives sont prises depuis la fermeture des premières écoles en 2021.
Le gouvernement a déployé les forces de défense et de sécurité. « Depuis 2021, l’armée est présente sur le terrain », fait savoir le directeur départemental des enseignements maternel et primaire de l’Atacora qui se réjouit qu’aucune école supplémentaire n’ait été fermée sur son territoire de compétence.
Outre la sécurisation, d’autres initiatives sont prises par le gouvernement et ses partenaires techniques et financiers. Mais pas de détails sur les initiatives en question. Les tentatives pour obtenir un entretien avec le ministre des Enseignements maternel et primaire ont été vaines. « C’est un sujet sensible », a confié une source au sein du ministère plusieurs semaines après l’envoi du questionnaire d’entretien.
Les autorités, informe une source au parfum des initiatives, travaillent avec les acteurs du groupe thématique éducation pour former tous les acteurs de l’éducation de ces zones sur l’éducation en situation d’urgence. « Des réflexions se font en vue de trouver des formules pour une éducation à distance », confie sous anonymat, un membre d’une organisation internationale qui intervient dans le secteur de l’éducation.
De nombreuses initiatives donc. Mais, « ce n'est pas encore ça », constate un expert en éducation. Car, justifie-t-il, « nous n'avons pas encore la garantie que la continuité pédagogique ait été assurée pour l'ensemble. Si on laisse un seul enfant en rade, c’est qu’on n’a pas œuvré pour l’atteinte des Objectifs du développement durable, notamment le point 4 ».
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