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Terrorisme au Bénin : commerçants et transporteurs entre stress et désarroi à Matéri et Tanguiéta

Terrorisme au Bénin : commerçants et transporteurs entre stress et désarroi à Matéri et Tanguiéta

Depuis décembre 2021, certaines communes du nord du Bénin sont en proie à la menace terroriste. Cette situation a entraîné le renforcement du dispositif sécuritaire dans ces localités.  A Tanguiéta et Matéri dans le département de l’Atacora, au nord-ouest du pays, les commerçants ne savent plus à quel saint se vouer depuis l’instauration d’un cordon de sécurité près de la frontière avec le Burkina Faso. Et pour cause, les activités de la majorité sont en berne. Reportage !

Depuis décembre 2021, certaines communes du nord du Bénin sont en proie à la menace terroriste. Cette situation a entraîné le renforcement du dispositif sécuritaire dans ces localités.  A Tanguiéta et Matéri dans le département de l’Atacora, au nord-ouest du pays, les commerçants ne savent plus à quel saint se vouer depuis l’instauration d’un cordon de sécurité près de la frontière avec le Burkina Faso. Et pour cause, les activités de la majorité sont en berne. Reportage !

/minus-bus-charge-d-igname-pour-burkina-tanguietaUn minus bus chargé d'igname à la gare de Tanguieta, en paratnce pour le Burkina le 16 novembre 2022

« Cette année a été très compliquée. Ça ne marche plus depuis que la voie est bloquée. » Ce mercredi 16 novembre 2022, c’est avec beaucoup de tristesse que Safia D., la cinquantaine, parle de ses activités. Commerçante depuis plus d’une décennie, très connue pour son commerce de produits viviers ne s’est pas rendue au marché depuis trois semaines pour raison de santé. La commerçante confie être tombée malade à cause du stress né d’un prêt contracté auprès d’une structure de microfinance et qu’elle doit rembourser avant la fin de l’année. Ces problèmes, raconte-t-elle en pleurs, ont commencé lorsque les terroristes ont sévi dans les villages burkinabè, près du Bénin. Ses clients débiteurs qui y habitaient ont pris la clé des champs à cause de la situation sécuritaire. « Je suis partie à plusieurs reprises sans les trouver. En plus, leurs numéros de téléphone ne passent plus. Certains ont fui, certains auraient été assassinés dans les attaques… », partage-t-elle avec beaucoup d’émotions, cahiers des ventes et dettes en mains. Dans ce cahier, les montants à recouvrer auprès de ses clients burkinabè introuvables varient entre 100 000et 300 000 FCFA, pour un total d’environ deux millions (2 000 000) de FCFA.

Le 7 novembre 2022, elle avait rendez-vous chez son créancier pour rembourser une tranche du prêt. Mais sans argent et sans activités, elle n’a pu s’y rendre et vit désormais dans la peur. « Je ne sais pas comment je vais faire pour rembourser cet argent », se lamente-t-elle.

Abandonnée par son mari, Safia se bat vaille que vaille pour s’occuper de ses 7 enfants et de son neveu orphelin, grâce à son commerce. Mais la situation sécuritaire du moment et ses implications ont fait d’elle une femme « impuissante ». Elle n’arrive pratiquement plus à payer son loyer de dix mille (10 000) FCFA par mois, encore moins prendre soin de ses enfants et de leur éducation. Faïzath, sa fille aînée a été renvoyée de l’école pour non-paiement de frais de scolarité.

Comme cette mère de famille, de nombreux commerçants vivent presqu’un calvaire en raison de la situation sécuritaire qui prévaut au nord-ouest du pays. Leurs activités sont soit en berne ou n’existent plus. « Tout ce qu’on faisait comme commerce, aller au Burkina pour vendre, acheter et venir revendre, tout a chuté. Plus rien ne marche », se plaint Monique G., commerçante à Matéri. Ses paires transformatrices de soja, de riz paddy ou encore de karité, fait-elle savoir, ne savent à quel saint se vouer. Hortense S. est productrice et commerçante à Dassari. Cet arrondissement de Matéri est le théâtre de plusieurs attaques terroristes depuis 2021, notamment à Porga près de la frontière avec le Burkina. « Avant, en plus de produire, nous allions vendre nos produits à Kourou-Koualou, (près de 30 kilomètres de Matéri, zone disputée par le Bénin et le Burkina Faso puis déclarée neutre en 2009 dont le dossier est devant la Cour internationale de justice, Ndlr) et on achète d’autres produits de là-bas pour venir revendre chez nous. Maintenant, on ne peut plus s’y rendre », confie-t-elle apeurée.

Recettes en chute libre

Ibrahim S. est boucher. D’origine nigérienne, il a grandi au Bénin, précisément à Porga dans l’arrondissement de Dassari à Matéri. Depuis plus de 20 ans, le septuagénaire vend de la viande de bœuf et de mouton rôtie au bord de la voie inter-Etat Bénin-Burkina Faso et son activité florissait. « Avant, je peux vendre 200 mille francs par jour, surtout les weekends. Les jours où je ne vends pas bien, je fais des recettes de 150 000 ou 100 000 », se souvient-il. Mais la donne a changé depuis qu’il a été contraint de partir de Porga pour sa sécurité et celle de sa famille. A Tanguiéta où il a trouvé refuge, ce boucher qui abattait quotidiennement un bœuf et des moutons en plus, est réduire à acheter deux à quatre kilogrammes de viande de bœuf qu’il vend difficilement. Conséquence : ses recettes ont drastiquement baissé. Désormais, son chiffre d’affaires journalier est d’environ dix mille francs CFA.

Abiba, son épouse, qui vendait de la nourriture à ses côtés, s’en sortait aussi à bon compte : 50 000 FCFA de chiffre d’affaires journalier. « Lorsque les camions arrivent à Porga, les conducteurs s’arrêtent pour manger ainsi que les passagers des voitures de transport en commun. Mes activités marchaient bien et j’étais même parfois débordée », se souvient-elle avec fierté. Mais, regrette-t-elle, « tout a changé depuis que les gens-là (allusion aux terroristes, Ndlr) sont arrivés ».   

A cause de cette situation, beaucoup d’autres bouchers et commerçants, apprend-il, ont quitté Porga pour des destinations inconnues. Certains, abandonnant sur place, des biens. Ibrahim a abandonné la maison qu’il a construite grâce à ses économies.

La situation sécuritaire et ses corollaires ont modifié les habitudes alimentaires de la famille d’Ibrahim. Selon Abiba, désormais un seul repas est servi par jour aux adultes : le dîner.  Les enfants ont droit à deux.  « En préparant le soir, j’en fais un peu plus pour que les enfants en prennent le lendemain au petit déjeuner. Si Dieu fait sa grâce, ils auront un déjeuner et quelques tranches d’igname ou des beignets au goûter », confie-t-elle avec émotion.

…des espoirs et attentes envolés

De Porga à Tanguiéta, des rêves de nombreuses personnes ont été brisés. Le boucher Ibrahim rêvait grand pour ses enfants. Mais après avoir sillonné plusieurs localités à la quête de stabilité, en vain, il les a déscolarisés une fois installé à Tanguiéta fin août 2022. « Comme je n’ai plus de moyens, mes garçons ne vont plus à l’école. J’ai envoyé un hors du Bénin et l’autre à Djougou chercher de l’argent pour se construire un avenir », tente-t-il de justifier avec regrets. Un père de famille a déscolarisé ses deux filles qui étaient en 5e et 6e et les a données en mariage.

De son côté, Safia D. ne sait pas encore si sa fille pourra terminer son année scolaire. Renvoyée de l’école pour non-paiement de frais de scolarité, la jeune collégienne est à la maison et assiste désormais sa mère dans ses travaux ménagers. Soutien de sa famille lorsque ses activités étaient au beau fixe, elle est sans issue parce que n’ayant personne sur qui compter. « Actuellement je crains aussi que ses petits frères soient renvoyés », s’inquiète la commerçante.

Sans solution pour satisfaire les besoins de sa progéniture, la mère de famille compte sur la providence. « Aujourd’hui, j’ai juste besoin d’un peu d’argent pour faire un petit commerce au quartier ici. Même avec 5 000 ou 10 000 francs, je peux vendre du pain au bord de la voie », songe-t-elle.

Abiba, l’épouse du boucher, a bradé son matériel de travail pour contribuer aux charges de son foyer. « A Tanguiéta ici, j’ai difficilement revendu mon frigo de 450 000 à 80 000 et d’autres biens aussi. Mon mari n’était pas d’accord, il était triste mais face à nos difficultés, je n’avais pas le choix », confie-t-elle, le visage crispé.

Pas sortir de l’auberge

/minus-bus-charge-d-igname-pour-burkina-tanguietaDes voitures couvertes de poussière stationnées à la gare de Tanguiéta

Si certains des commerçants de Matéri se sont résignés à subir le dictat de la menace terroriste, à Tanguiéta, commerçants et transporteurs continuent à chercher des voies et moyens pour rallier le pays des hommes intègres, lieu par excellence d’échanges commerciaux de produits agro-alimentaires, selon eux. Mais cette parade n’est pas sans risques et conséquences autant pour les produits que leurs propriétaires. Le mardi 15 novembre 2022, peu après 9 heures, une trentaine d’hommes attend debout près d’un mini-bus de transport en commun à la gare de Tanguiéta. La voiture chargée de tubercules d’igname achetées la veille au marché central est en partance pour le Burkina-Faso. Mais le conducteur et ses pairs ne savent comment s’y prendre. Depuis l’instauration d’un cordon sécuritaire à Porga dans le cadre de l’opération Mirador de l’armée béninoise, commerçants et transporteurs sont dans le désarroi.

Pour rallier le Burkina, ils sont désormais obligés de passer d’abord par le Togo. En plus de la distance devenue plus longue, ils doivent composer avec les nombreux postes de contrôle de sécurité tout au long du trajet. De Tanguiéta, ils vont à Cobly puis à Dapaong au nord du Togo avant de continuer sur le pays des hommes intègres. « Avant lorsque tu quittes ici à 5 heures, à midi tu es déjà au Burkina. Maintenant on fait trois jours pour y aller. En plus, à cause des djihadistes, il y a beaucoup de postes de contrôle », se lamente Ali, chauffeur à Tanguiéta. Selon ses pairs et lui, les dépenses liées au voyage ont désormais doublé, voire triplé.

Ce voyage, apprennent-ils, tous les transporteurs ne peuvent pas se le permettre.

 « Vous voyez tout ça ? », interroge Alassane, un autre conducteur, montrant du doigt des voitures stationnées toutes poussiéreuses, avant de poursuivre : « S’il y avait du travail, le parking serait vide à ce moment. Depuis que Porga est fermé, plus rien ne marche ». « Maintenant pour manger, c’est compliqué. Lorsque tu as une fièvre ou le palu, tu as peur parce que tu n’as pas d’argent pour te soigner », poursuit un de ses pairs.

Le voyage vers le Burkina Faso par le Togo, Safia D. l’a déjà effectué une fois. Mais cela s’est mal terminé pour elle. La douane togolaise a saisi sa marchandise, du maïs. Par arrêté interministériel n°010/MCICL/MEF/MAEDR/MSPC du 16 mai 2022, le Togo a conditionné l’exportation de produits de grande consommation dont le maïs par une « autorisation préalable du ministre chargé du commerce après l'avis consultatif du comité d'étude chargé d'instruire les demandes d'autorisation de l'exportation de produits de grande consommation ». Un document que ne possédait pas Safia.

Selon Daniel N’Wouéni, chef d’arrondissement (CA) de Tanguiéta, l’extrémisme violent et les actes de terrorisme affectent durement les activités commerciales. Les commerçants, notamment de produits vivriers, apprend-il, « souffrent énormément ». La majorité de leurs clients, explique l’autorité locale, est composée d’opérateurs économiques qui viennent des pays où ce phénomène sévit aujourd’hui.

Plusieurs commerçants ont confié s’être rapprochés des autorités sans trouver d’issue favorable. « Les plaintes viennent et on se demande qu’est-ce qu’il y a lieu de faire », a confié le CA.

Sans débouché pour leurs productions, à niveau record pour les tubercules selon des témoignages, « les cultivateurs sont obligés de brader leurs produits », à des commerçants en provenance sud du pays. En plus d’être mauvais payeurs comparativement aux commerçants burkinabè, les commerçants en provenance du sud du Bénin sont rares. « Actuellement le maïs est stocké et les gens ont espoir que le gouvernement trouve une solution au problème », confie-t-il, la voix couverte de lamentation

De sa position géographique et la forte productivité agricole, l’arrondissement de N’Dahonta est considéré comme le grenier de Tanguiéta. Mais depuis que la menace terroriste plane sur cette commune et ses voisines, les producteurs ne vivent plus de leur travail. Rencontré dans l’arrondissement central de la commune, c’est avec désolation que Jean Noutangou, CA de N’Dahonta en parle. Pour lui, les impacts de la situation sécuritaire sur le commerce ne sont plus à démontrer. « Hier, nos amis du Togo et du Burkina Faso venaient dans nos marchés pour acheter et revendre. Et quand ils viennent, il y a une grosse concurrence avec les commerçants d’ici et ce sont les producteurs qui en bénéficient ». Désormais, partage-t-il, non seulement, la plupart ne vient pas mais aussi, « ceux qui viennent sont souvent épuisés à cause des tracasseries routières ». A l’instar du CA de Tanguiéta, celui de N’Dahonta apprend qu’en raison des difficultés d’écoulement des marchandises, les commerçants et producteurs ont dû casser les prix pour limiter les pertes. « Ce qui se vendaient à 20 000 FCFA est désormais à 13000 ou 12 000 F et parfois moins que ça », révèle-t-il s. Cette situation, fait remarquer le CA, « constitue pour les autorités des problèmes à gérer ». C’est pourquoi l’autorité locale demande à « l’Etat de mettre les mécanismes, les outils nécessaires pour que les commerçants puissent écouler leurs produits » malgré la situation.

Baisse des recettes communales

/minus-bus-charge-d-igname-pour-burkina-tanguietaRobert Kassa, maire de Matéri au cours d'une interview accordée à Banouto 

Que ce soit à Matéri ou à Tanguiéta, la situation sécuritaire n’a pas eu un d’impact que sur les finances des populations. La courbe des recettes communales est décroissante, selon des responsables des deux localités. « Avec cette situation de terrorisme, le flux économique entre le Burkina Faso et nous a substantiellement baissé », a d’abord reconnu Zakari Boukary, maire de Tanguiéta. Selon l’autorité, même les partenaires techniques et financiers qui travaillaient dans le domaine social et dont les activités génèrent des revenus à la commune ou faisait des achats dans le marché central sont partis à cause de la situation sécuritaire. Sur le plan économique, regrette-t-il, les impacts sont énormes. « Tous ceux qui achetaient chez nous sont tous partis, ce ne sont pas seulement nos populations qui sont affectées. Tous ceux qui passaient par ici avec les camions, on sait ce que ça générait. Ils s’arrêtent pour manger, (…) locations de chambres, même les petits restaurants, ça ne se passe plus », peint le maire, impuissant face à cette situation « regrettable ».

Les produits sur lesquels la Taxe de développement local (TDL) est appliquée sont là, mais assure le maire, ils ne « sortent pas comme avant ». A Matéri, les nombreux départs d’habitants ont été ressentis dans les recettes de la commune. « Nous- avons perdu près de 30% des recettes fiscales depuis que cette affaire a commencé », révèle le maire Robert Kassa.

Une guerre à gagner

/minus-bus-charge-d-igname-pour-burkina-tanguietaGal Fructueux Gbaguidi, Chef d'Etat-Major Général des Armées béninoises 

Les autorités béninoises ne sont pas de marbre face à la menace terroriste. L’Etat béninois a déployé les forces de défense et de sécurité. Le gouvernement béninois a entamé en 2022, la construction de plusieurs dizaines de positions avancées fortifiées et de dix bases opérationnelles avancées qui sont des casernes de tailles moyennes. « Tous ces investissements ont pour objectif de favoriser une projection plus rapide et plus aisée de nos hommes sur les théâtres nécessitant leur intervention, en vue d’une efficacité plus grande. En clair, il s’agit de fortifier le pays et de garantir une sécurité optimale à tous. Ces actions seront densifiées encore au cours des années à venir », a déclaré le président Patrice Talon le 8 décembre 2022 au parlement lors de son discours sur l’état de la Nation.

Dans le message de vœux des forces de sécurité et de défense et assimilés, prononcé le 12 janvier 2023, le Gal Fructueux Gbaguidi, chef d’état-major général des armées béninoises, a déclaré que les efforts du gouvernement vont permettre aux FDS « de se reconstituer et de rayonner pour assurer une surveillance efficace » des frontières béninoises. Pour lui, c’est à juste titre que l’opération Mirador a été « déclenchée pour denier la liberté d’action aux terroristes qui tentaient d’y établir des sanctuaires ».

Que ce soit à Matéri ou à Tanguiéta, commerçants et transporteurs vivent dans l’espoir que les forces de défense et de sécurité (FDS) viendront à bout des groupes armés terroristes pour que la vie reprenne son cours normal.

 

NB: Cet article est publié avec l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES-Bénin), dans le cadre du projet: « ENQUETES SUR LA MENACE TERRORISTE EN AFRIQUE DE L’OUEST : BENIN, BURKINA FASO ET TOGO », mis en œuvre par le consortium Banouto (Bénin) et Togo Top News (Togo).

1 commentaire

1 commentaire

Florent YAMA
il y a 1 an
Très bel article. Merci pour le travail. J'ai apprécié.
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