Archives

Incursions terroristes au Bénin : pertes et perturbations dans les champs frontaliers de l’extrême nord

Incursions terroristes au Bénin : pertes et perturbations dans les champs frontaliers de l’extrême nord

Entre attaques, menaces et rumeurs, les incursions terroristes au nord-Bénin, aux frontières avec le Togo et le Burkina Faso, affectent déjà la vie des agriculteurs de la zone. Les premiers effets sont la fuite des champs avec leur lot de pertes de récolte, l’abandon de la culture de certains produits, la perturbation des circuits d’écoulement et des pertes en vies humaines. Des voix craignent une crise foncière en cas d’aggravation de la situation. Le gouvernement, qui n’est pas resté sans rien faire, est invité à penser des solutions spécifiques aux producteurs agricoles.

Entre attaques, menaces et rumeurs, les incursions terroristes au nord-Bénin, aux frontières avec le Togo et le Burkina Faso, affectent déjà la vie des agriculteurs de la zone. Les premiers effets sont la fuite des champs avec leur lot de pertes de récolte, l’abandon de la culture de certains produits, la perturbation des circuits d’écoulement et des pertes en vies humaines. Des voix craignent une crise foncière en cas d’aggravation de la situation. Le gouvernement, qui n’est pas resté sans rien faire, est invité à penser des solutions spécifiques aux producteurs agricoles.

champ karimama banoutoUn cultivateur dans son champ à Karimama, image d'archives

 

« La psychose qui se vit là-bas nous parvient tous les matins. Des parents, des gens qu’on connaît sont tombés sur des mines ». Jacob est agent de l’Etat, en service dans une ville du sud du Bénin. Originaire de Matéri, il suit de près la situation sécuritaire, liée aux attaques terroristes, dans les localités frontalières de sa commune natale. Il en est plus inquiet. Le cas de Ben renforce les craintes du fils d’agriculteur. Leader local dans un hameau de Dassari, à la frontière du Bénin avec le Burkina Faso, ce producteur agricole a dû quitter, face à la menace terroriste. Père de famille d’une quinzaine de personnes, qui « peut cultiver jusqu'à 6 hectares de maïs et 4 hectares de coton par an, sans compter le riz et du sésame », Ben confie avoir trouvé refuge à Matéri centre.

Située au nord du Bénin, à la frontière avec le Burkina Faso et le Togo, à environ 630 km de Cotonou, Matéri est l’une des communes béninoises touchées par les incursions des groupes armés terroristes. Le pays a connu ses premières attaques armées fin 2021. Si au départ, les attaques étaient en majorité dirigées contre les positions des forces de défense et de sécurité, les groupes armés terroristes ont progressivement élargi leurs cibles aux populations civiles. En plus de Matéri, des localités des communes comme Karimama, Segbana, Banikoara et Kérou ont été touchées.

Dans ces milieux, les populations sont en majorité dans l’agriculture.Cette zone du nord-Bénin, touchée par la menace terroriste, couvre les pôles de développement agricole (PDA) 1 et 3.  Baptisés « Vallée du Niger » et « Atacora Ouest », ces pôles regroupent les communes de Malanville, Karimama, Tanguiéta, Matéri, Cobly, Boukoumbé, Toucountouna et Natitingou. « Dans la Vallée du Niger caractérisée par des plaines inondables et des bas-fonds, se pratiquent le riz et le maraîchage dont essentiellement la culture de tomate, oignon, piment et pomme de terre. Par contre, l’Atacora Ouest est une zone de diversification coton-vivrier où se développent potentiellement le coton et le riz mais plus largement encore le maïs, les légumineuse (niébé et arachide) et le manguier », renseigne Jérôme Agongnon, agronome, consultant-chercheur en développement, environnement et sociétés.  

Perturbations, récoltes abandonnées

Entre attaques, menaces et rumeurs, le contexte d’insécurité terroriste a bouleversé la quiétude, voire les habitudes des agriculteurs dans les localités frontalières de ces pôles de développement agricole. « On a appris qu’ils (les groupes armés) posent des bombes (engins explosifs) et qu’il suffit qu’une voiture ou une moto passe et ça va exploser. Nous avons peur parce que nous ne savons pas à quel moment on pourrait tomber sur ça », partageait fin novembre 2022 Hortense, productrice agricole, rencontrée à Matéri alors qu’elle participait à une formation de Wanep-Bénin sur la préservation de la paix et la cohésion sociale dans la lutte contre l'extrémisme violent. « J’ai des champs de riz et de maïs. Le riz est sur 2 hectares et demi et le maïs sur trois hectares. Tout est encore au champ. Le maïs est à côté du Parc. Vous savez que le parc n'est pas loin de la zone où les groupes armés sévissent », poursuit-elle. Hortense assure que ses champs ont « bien donné », mais la récolte est rendue difficile par la situation sécuritaire. « Les champs sont là. Je n’ai pas encore tout récolté. On ne va plus au champ comme avant parce qu’on a peur. Or on a encore beaucoup de récoltes à faire», insiste-t-elle.

Les attaques de fin 2021, se sont déroulées en pleine période de récolte. A Matéri tout comme à Karimama, pris de panique et craignant pour leur vie, des familles d’agriculteurs ont dû fuir, laissant derrière eux champs, récoltes et matériels de travail. « La plupart de nos populations ont fui sans avoir fini leurs récoltes. J'ai même un cousin qui a été tué dans son champ, pendant qu'il récoltait, dans une zone togolaise », confie, la voix pleine de tristesse, un agriculteur situé dans une localité frontalière avec le Togo.

Les agriculteurs, partis des champs pour se réfugier vers le centre-ville ou dans d’autres villages, connaissent des pertes de divers ordres à leur retour. Salif, jeune producteur agricole dans une localité à Karimama, énumère parmi les pertes connues dans sa communauté, la nourriture, le bétail et du matériel pour travaux champêtres.

 « Les producteurs ont enregistré plusieurs pertes suite à cette situation. Parce que cela avait coïncidé avec la moisson. Avec les attaques répétitives, les producteurs n'ont pas eu le cœur tranquille. Même si les éléments là (expression pour désigner les individus armés non identifiés) ne les touchent pas, le simple fait de les voir passer matin, midi, soir ; nuit et jour devant les champs, n'encourage pas les agriculteurs », raconte-t-il. Mais peut-on encore affirmer que « ces éléments-là » ne touchent pas aux civils ? Début mai 2023, une attaque ciblant des populations civiles a fait au moins dix morts à Kaobagou, arrondissement de Kérou.

Malgré les efforts sécuritaires de l’Etat pour contenir cette menace naissante dans le pays et faire revenir le climat de quiétude au sein de la population, des voix redoutent des effets des attaques sporadiques et des menaces proférées de bouche à oreille, sur les pratiques agricoles lors de la saison 2023.

Réduction du temps de travail et des espaces cultivés

« Beaucoup d'agriculteurs n'ont pu cultiver leurs terres dans plusieurs arrondissements de la commune, surtout du côté de Monsey où les terres agricoles se situent dans la zone rouge », fait savoir Sayoub, agriculteur résidant à Karimama, ajoutant que certains produits sont de moins en moins cultivés en raison de la situation sécuritaire. Il cite le petit mil, le maïs et le sorgho. Ces céréales, qui font partie des principaux aliments des populations, sont « peu à peu abandonnées étant donné qu’elles ne permettent pas de voir loin », « bien circuler » afin de prendre des précautions en cas de danger, ajoute Sayoub. Du côté de Matéri, prévenait fin mars Jacob, issu de famille d’agriculteurs, « avec le début des travaux champêtres en mai, dans les hameaux situés à proximité des nids de djihadistes, les parents vont probablement éviter d’emblaver les superficies qui s’étendent en profondeur ». Célestin, responsable de producteurs, signale que c’était déjà le cas lors de la campagne agricole précédente.

Le coton, dont le Bénin est l’un des champions en Afrique, n’a pas été épargné par les perturbations dues aux premières attaques terroristes. « Pendant la campagne 2021-2022, dans la zone du campement, vers Porga, cette situation n’a pas permis aux producteurs de vite récolter », témoigne Célestin, responsable de producteurs de Coton à Materi. « A des moments donnés, les forces de sécurité vous interdisent la fréquentation de certaines zones pour votre sécurité. Vous êtes obligés de rester à la maison quelque temps en attendant qu’ils vous donnent l’ordre de repartir pour continuer les récoltes. Pendant ce temps, il y a peut-être des animaux en divagation qui vont détruire les champs. L’année dernière, les premières pluies ont arrosé le coton qui a été déclassé à l’usine », enchaîne-t-il en guise d’illustration des conséquences des perturbations sur la production cotonnière locale.   

Pour la campagne en démarrage, un producteur de Banikoara, commune du bassin cotonnier, redoute une réduction des espaces à cultiver.  « En situation de paix, le paysan qui cultive 30 hectares ne peut que cultiver 15 au plus (avec la situation). La durée du travail est réduite et la peur, qui influence le moral, est un handicap pour le paysan. L'insécurité a bouleversé la tranquillité d’esprit. Désormais, la durée de travail au champ est considérablement réduite », relève-t-il. « Habituellement lorsque les paysans dorment au champ, ils sont plus efficaces et productifs. Avec la situation sécuritaire, ils quittent la maison après 6h30 ou 7h et rentrent après la prière de 16h, d’autres bien avant, compte tenue de la distance qui sépare leur domicile du champ », explicite Worou, jeune intellectuel de la zone. 

Vers une course à la terre, menaces pour les investissements  

Le contexte sécuritaire a eu un double effet sur les prix des produits vivriers. Dans les familles d’agriculteurs, une partie des récoltes est utilisée pour les besoins alimentaires des ménages et l’autre est commercialisée sur le marché béninois ou encore exportée vers les pays voisins.

Selon divers témoignages, la perturbation des circuits d’écoulement des produits dans certaines localités par la situation sécuritaire a provoqué une abondance, occasionnant une baisse des coûts. « Contrairement à d'autres localités, les prix des vivres ont chuté, vu que nous ne pouvons plus traverser la frontière pour aller vendre », informait en mars par entretien téléphonique, un agriculteur de l’arrondissement de Tantéga, à Matéri. Une telle situation, si elle perdure, prévient l’agronome Jérôme Agongnon peut entraîner à court terme, « le déclin de la production agricole par défaut de financement des activités, l’affaiblissement du pouvoir d’achat des agriculteurs et par ricochet le creusement des inégalités sociales existantes. »

Ailleurs, la perturbation dans les travaux champêtres est plutôt citée comme l’une des probables causes de la hausse des coûts des produits agricoles. Salif, agriculteur à Karimama, évoquait en mars 2023 la hausse des prix du riz, du maïs et des engrais. « Quand on prend le prix du maïs, comparativement au passé, il y a une augmentation. Entre temps, le grand sac était à 15.000; maintenant c'est à 18, 19 voire 20.000 FCFA. Et le sac moyen qui était à 10.000 est maintenant à 15.000 FCFA », précise-t-il.

Parti d’une localité frontalière de Dassari pour Matéri-centre, Ben « pense demander des terres dans d'autres villages pour pouvoir cultiver les saisons à venir, tout en espérant un retour au calme un jour ». Il n’est pas le seul agriculteur de la zone frontalière du nord-Bénin à quitter sa localité pour envisager reprendre ses activités champêtres ailleurs en raison de la menace terroriste. Dans la zone, les milieux les plus affectés sont des localités (villages, campements, hameaux) situés à la frontière avec le Togo et le Burkina Faso. En raison du contexte sécuritaire, des familles d’agriculteurs de ces localités abandonnent leurs champs pour rechercher des terres arables dans d’autres localités qu’ils jugent plus sûres. A Matéri, les déplacés ne sont pas que des localités frontalières béninoises. D’autres viennent des villages frontaliers togolais. « Le nord Togo étant aussi attaqué, certains parents qui avaient émigré en quête de terres agricoles, se replient sur la famille à Matéri », informe Jacob. « Matéri faisait déjà face au problème de terres arables. Le peu qui reste devra être partagé par un plus grand nombre », anticipe-t-il. La commune de Karimama, comme l’a constaté Banouto dans une enquête publiée en 2020, connaît aussi ce problème de manque de terres arables et de pâturage.

« La migration des agriculteurs de la périphérie vers le centre de certaines localités va induire ''une course à la terre'' dans les villages d’accueil se traduisant par une pression foncière », fait savoir l’agronome Jérôme Agongnon en bon connaisseur des problématiques relatives à la l’agriculture et le foncier dans la zone. La ruée, dans un environnent d’insuffisance de terres arables, peut ouvrir la voie à deux autres problématiques majeures à savoir, « la reconversion de certains producteurs agricoles dans d’autres secteurs d’activités, et l’amplification d’une agriculture intensive consommatrice de beaucoup de facteurs de production par unité de surface dont notamment les engrais chimiques et les pesticides », a-t-il ajouté. L’expert craint aussi que l’émergence des marchés fonciers résultant de la concentration des agriculteurs dans une même localité conduise une à restriction de la jouissance des droits d’accès à la terre, avec la naissance de conflits fonciers entre les acteurs de la marchandisation des terres arabes.  

 Penser à des solutions spécifiques en plus de l’option militaire

Notre agriculteur de l’arrondissement de Tantega à Matéri espère qu’« un jour, un terrain d'entente » sera trouvé « avec ces frères (allusion aux individus armés non identifiés) pour le bonheur de tous, et que la paix revienne ». Il plaide aussi pour le renforcement de la présence « des forces de défense et de sécurité à certains points stratégiques de nos villages afin que nous puissions dormir en toute sérénité ».

Le Bénin n’est pas resté sans rien faire face aux incursions terroristes. Les autorités semblent avoir pris le problème à bras-le-corps. Renforcement des moyens militaires (effectifs et équipements), opérations militaires sur le terrain, recherche de solutions au plan bilatéral et multilatéral, formation et sensibilisation des populations sur la paix et la cohésion sociale.

Le gouvernement et la société civile multiplient les initiatives face au mal terroriste. En présence de ses homologues français, nigérien et rwandais en visite au Bénin, le président Patrice Talon a affirmé la volonté de Bénin de contenir « l’ennemi » et s’est même satisfait d’« action » qui  « porte des fruits ». 

A Matéri, se réjouit Célestin, producteur de vivriers et de coton, et responsable de producteurs de coton, l’intervention des forces de défense et de sécurité a permis aux agriculteurs de retourner dans les champs pour poursuivre les récoltes, vers la fin de la campagne 2021-2022. 

En plus des actions militaires, l’agronome Jérôme Agongnon suggère à l’Etat d’envisager des accompagnements spécifiques aux agriculteurs en proie à l’insécurité, en facilitant la réinstallation de leurs exploitations agricoles sur de nouvelles superficies, l’octroi de crédits de campagne adaptés pour financer les opérations culturales et la mise en marché de leurs produits. 

NB : Cet article est publié avec l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES-Bénin), dans le cadre du projet : « ENQUETES SUR LA MENACE TERRORISTE EN AFRIQUE DE L’OUEST : BENIN, BURKINA FASO ET TOGO », mis en œuvre par le consortium Banouto (Bénin) et Togo Top News (Togo).