Convaincu, il l’est. Le Général de Brigade Abdouramane Tiani, chef de la junte au Niger a la ferme conviction que son pays a pris la bonne résolution de sortir de la CEDEAO. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, estime-t-il, a perdu le nord.
Dans une interview à la télévision nationale nigérienne le 11 février 2024, le nouvel homme fort de Niamey a tenu à prouver qu’il n’y a rien à craindre pour l’avenir de son pays hors de la CEDEAO. Assis dans un fauteuil, posture d’imperturbable, avec le regard par moment moqueur vis-à-vis des Etats membres restant de la CEDEAO qu’il qualifie de "marionnettes", le Général nigérien s’est livré à un cours d’histoire.
« Le rappel sauve l’âme », lance, dès l’entame, le militaire musulman en référence au Coran, le livre saint en Islam. Depuis l’annonce d’un retrait un bloc des trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) où des militaires se sont installés au pouvoir avec des armes, plusieurs voies sur le continent préviennent contre de lourdes conséquences pour les populations du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Difficulté de circulation des personnes et des biens, isolement économique, raréfaction des produits pharmaceutiques, interruption des projets de développement transfrontaliers sont entre autres risques auxquels les nouveaux dirigeants exposent leurs pays.
Que nenni ! répond Tiani. « N’ayez aucun souci ! », rassure le Général, droit dans ses bottes.
Assurant qu’au Niger, eux n’ont pas "la mémoire courte" l’homme du coup d’Etat du 26 juillet 2023 déclare que à leur avis, « jusqu’à une certaine date, la CEDEAO avait cessé d’exister. Nous avons quitté la CEDEAO parce que la CEDEAO n’était plus la CEDEAO des pères fondateurs. »
Ces pères fondateurs, cite-t-il, « du Niger c’était Seyni Kountche, du Mali, c’était Moussa Traoré, du Burkina Faso c’était Aboubacar Sangoule Lamizana, du Togo c’était Gnassingbé Eyadéma, du Bénin c’était Mathieu Kérékou et du Nigéria c’était Yakubu Gowon. »
Le 28 mai 1975, lorsqu’ils signaient l’acte de naissance de cette organisation sous-régionale, rappelle Abdouramane Tiani, la CEDEAO avait exclusivement pour leitmotiv, l’économie, la sécurité et le bien-être pour les peuples de l’espace. « Créée le 28 mai 1975, la CEDEAO avait des objectifs purement économiques et pour la prospérité des peuples. La CEDEAO avait des principes fondamentaux dont je citerai quelques-uns, notamment l’égalité et l’indépendance des Etats membres. La solidarité et l’autosuffisance collectives, la non-agression, les droits de l’Homme, entre autres. » dit, persistant que « La CEDEAO était pour les peuples à but purement économique. »
Intraitable avec les dirigeants actuels du Nigéria à qui il reproche leur activisme anti-putsch, le Général nigérien veut bien faire une rectification dans l’opinion. Le géant de l’Est n’était ce géant d’aujourd’hui au moment où la CEDEAO naissait. A l’en croire, l’organisation serait même née pour porter assistance au Nigéria sorti d’une guerre civile qui a mis le pays à genoux.
« Le Nigéria, raconte Tiani, sortait d’une guerre civile dévastatrice qui avait fait plus de 2 millions de morts, 3 millions de réfugiés, 5 millions de déplacés. C’est dans ce contexte que ces frères, pour aider le Nigéria à se relever, se réorganiser, à retrouver son unité entre la république biafraise et la république du Nigéria que ces Chefs d’Etats que j’avais cités ont eu l’idée de créer la CEDEAO avec comme principe ce que je venais de citer et comme objectif également fondamental qui est l’économie et la prospérité des peuples. » A ce sujet, va-t-il conclure, « les gens disent que le Nigéria était la locomotive. Le Nigéria n’était pas la locomotive de la CEDEAO à la création ».
Du déclin de la CEDEAO au retrait des pays de l’AES
Devenue une organisation "has been" pour les dirigeants militaires de l’AES, la CEDEAO s’est éloignée aurait dévié de sa trajectoire depuis 1990. Il accuse Paris d’avoir pris le contrôle de l’organisation par des manœuvres politiques pour asservir ses pays membres.
7 ou 8 mois après la chute du mur de Berlin, conte-t-il, il y a « la rencontre de la Baule, ce qu’on a appelé le fameux discours de la Baule, du 19 au 21 juin 1990 où Mitterrand rappelait aux Africains, 35 Chefs d’Etats réunis que ce n’est plus le fameux slogan amitié-coopération, c’est désormais la démocratie qui est source du développement pour vous les pays africains et source de prospérité pour vous les pays africains. ».
De son point de vue, Paris avait pour objectif de « ressusciter les instincts que les supposées dictatures ont su contenir bon gré mal gré. C’était l’objectif, amener les Etats africains à ce qu’on avait appelé le multipartisme. » Au lendemain de cette rencontre décisive se souvient le Général Tiani, s’est observée « la succession de 1990 à 1991 de multipartisme, de conférences nationales qui avaient court dans tous les Etats pratiquement francophones. ». Conséquence, poursuit le militaire dans son exercice de cours d’histoire, « Nous nous sommes retrouvés à moins de dix millions d’habitants, mais avec plus de deux cents partis. Dieu merci, on (le Niger, Ndlr) ». A cela va s’ajouter un autre malheur qu’il désigne, la, "dévaluation".
Le Chef de la junte nigérienne le dit très clairement, l’heure de la rupture a sonné. « C’est des évènements, c’est des faits qu’il faut mettre en commun. Remettre les choses dans leur contexte… Il est temps que nous fassions pour le bien de nos peuples. » Si avec ses homologues du Burkina et du Mali, ils ont la marche "irréversible" d’après leurs termes d’un retrait de l’organisation après des décennies de cohabitation avec leurs voisins au sein de cette organisation communautaire, trois raisons constituent la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
« La première raison, elle est sécuritaire. » Le Général Tiani ne conçoit pas que la CEDEAO ait pu menacer "le Niger d’une agression militaire armée". Accusation que rectifie la commission, arguant que la menace d’intervention militaire visait exclusivement les auteurs du putsch afin de rétablir le Président déchu Mohamed Bazoum. « Nous ne pouvons pas permettre, nous ne pouvons pas porter sur notre conscience le poids des massacres des Nigériens. », s’insurge Tiani.
La deuxième raison, dit-il, « elle est morale et éthique. » L’homme fort de Niamey déclare que « le peuple nigérien a été dépourvu de tout. Les produits pharmaceutiques – le minimum vital-, l’énergie électrique. » Dès lors, dans la tête de la junte, plusieurs questions se bousculaient. « Saurions nous continuer à accepter que des Nigériens meurent parce que nous sommes dans une organisation qui ne correspond plus à la réalité depuis 1991 quand on avait introduit un chapitre, le 6 juillet exactement, qu’ils ont appelé la déclaration des principes politiques ? Devrions nous permettre que des Nigériens continuent à mourir pour permettre à certains individus d’assouvir leurs volontés ou leurs calculs, ou leurs desseins politiques ? ». Pour eux, c’était catégorique, « Non ! »
La troisième raison est d’ordre économique. Tiani use encore de questions pour s’expliquer : « Qu’aurions-nous gagné en restant dans une CEDEAO où nous sommes sous embargo total, embargo économie alors que c’est l’économie qui est l’objectif initial de la CEDEAO ? Embargo monétaire où nos dépôts à la BCEAO sont confisqués en 2023 ? Pourrions-nous continuer à rester dans cette organisation ? ».
Taquin, le Général pense que cette décision devrait déjà intervenir bien des années avant. « Nous avons décidé le temps de sortir de cette organisation de laquelle les Etats auraient dû sortir dès 1991 au lendemain du discours de la Baule, parce que c’est à partir de là que la France avait pris le contrôle de notre organisation et qui ne répondait plus à l’esprit initial ayant conduit à la création de la CEDEAO le 28 mai 1975. »
La vie avant et après la CEDEAO
Les inarrêtables de l’Alliance des Etats du Sahel ne craignent pas pour l’avenir de leurs peuples. Pour eux, il y avait une vie avant la formation de la CEDEAO et il y aura une vie après la fin de leur appartenance à cette organisation.
« Je l’ai dit, la CEDEAO a été créée le 28 mai 1975. Nos Etats étaient-ils indépendants ou avant ? Nos peuples existaient-ils ou avaient-ils commencé à exister en 1975 ? », interroge le Général Tiani, troquant par moment sa place d’invité à celui du journaliste. Sa réponse, « des millénaires ! » que les peuples africains existent et cohabitent.
« En termes de circulation des personnes, rappelez-vous la majorité des Etats de la CEDEAO ont acquis leurs indépendances en 1960. Déjà, de 1960 à 1975, à prendre juste ce petit lapse de temps, il y avait au moins 15 ans que ces populations cohabitaient. », rappelle-t-il en soulignant de même que « avant la colonisation, les peuples africains vivaient ensemble. »
Le militaire visiblement féru d’Histoire a un exemple pour mieux se faire comprendre. « Pour prendre l’exemple du Nigéria, de Borno jusqu’à Kate, étaient au Niger il y a plus de deux milles ans. Il y a des traces. Donc, c’est des peuples qui ont toujours évolué sans tenir compte des frontières puisqu’il n’y avait pas des frontières. Sachez que avant la pénétration coloniale, nous avons cessé le mode de gestion des Etats sous forme d’empire ou de royaume d’abord avant de constituer des regroupements de grands empires. Nous étions pour le cas du Niger particulièrement, dans la gestion des Etats en tant que sultanats. Rappelez-vous qu’on parlait de sultanat de Borno, sultanat de Kaduna, sultanat du Gobire et de l’empire peulh de Sokoto qui était un sultanat puisque Ousmane Dan Fodio est une figure de la religion islamique. C’est ce que les gens ignorent. Donc, nos peuples étaient brassés. »
Deuxième exemple, remémore-t-il, « prenez le nord-Bénin, c’était l’ancien empire Songhaï. Nous ne sommes pas ignorants ou analphabètes de l’Histoire. Ces peuples ont cohabité. »
Revenant au présent, il rappelle que la CEDEAO ne compte à présent que 15 Etats. Dès lors veut-il savoir, « L’Afrique c’est combien d’Etats ? 54. N’y a-t-il pas des Nigériens dans les autres Etats de l’Afrique. Comment est-ce qu’ils vivent ? Ne se déplacent-ils pas ? Ne trouvent-ils pas leurs subsistances dans ces pays qui ne sont pas des pays de la CEDEAO ? Bien sûr que oui ! » En conclusion rassure-t-il, « donc, pour ce qui est de la libre circulation des personnes et des biens, n’ayez aucun souci ! Les Africains ont circulé. Ça fait partir de la nature humaine et la mobilité, aucune frontière coloniale ne saurait arrêter les êtres humains dans leur instinct migratoire. Les peuples vont continuer puisqu’ils sont au-dessus des Chefs d’Etats égoïstes, individualistes. Nos peuples sont des peuples matures qui comprennent le sens de l’Histoire, parce qu’ils ont l’Histoire en eux. »
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Le Béninois
il y a 11 moisSalifou Sikanérou
il y a 11 moisGbetoho Prudence
il y a 11 mois