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Talibans en Afghanistan: leçons pour la lutte contre le djihadisme au Sahel

Talibans en Afghanistan: leçons pour la lutte contre le djihadisme au Sahel

Emmanuel Odilon Koukoubou est politologue, spécialiste des politiques publiques de sécurité et chercheur au Civic academy for Africa’s future (CiAAF), un think-tank basé au Bénin. Il s’intéresse particulièrement au Sahel où il mène des recherches sur les politiques publiques internationales de sécurité face au djihadisme. Dans cette interview, l’expert jette un regard sur l’actualité en Afghanistan avec le retour au pouvoir des Talibans et souligne les principales leçons à en tirer pour la lutte contre le djihadisme au Sahel, en Afrique.

Emmanuel Odilon Koukoubou est politologue, spécialiste des politiques publiques de sécurité et chercheur au Civic academy for Africa’s future (CiAAF), un think-tank basé au Bénin. Il s’intéresse particulièrement au Sahel où il mène des recherches sur les politiques publiques internationales de sécurité face au djihadisme. Dans cette interview, l’expert jette un regard sur l’actualité en Afghanistan avec le retour au pouvoir des Talibans et souligne les principales leçons à en tirer pour la lutte contre le djihadisme au Sahel, en Afrique.

odilon koukoubouEmmanuel Odilon Koukoubou

 

Qui sont les Talibans ?

Les Talibans sont un groupe armé intervenant en Afghanistan et au Pakistan depuis le début des années 1990. Il s'agit d'un mouvement idéologique qui porte et promeut le fondamentalisme islamiste. Il prône une application rigoriste de la charia. Les Talibans ont été au pouvoir en Afghanistan à la fin des années 1990 avant d'être chassés par l'armée américaine au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Tout porte à croire qu'aujourd'hui, le pouvoir leur tend à nouveau le bras.

Sont-ils des terroristes ?

Il est difficile de répondre à cette question. Le terrorisme est une notion politiquement instrumentalisée. On a donc l'impression que chaque gouvernement détermine donc ses propres critères du terrorisme. Ainsi, les Talibans sont aujourd'hui considérés comme une organisation terroriste par certains acteurs et comme une organisation fréquentable par d'autres comme les États-Unis. Ces derniers ont même négocié avec eux pour leur confier la mission de lutte contre le terrorisme sur le territoire afghan.

Quels sont les liens des Talibans avec les principales organisations terroristes comme Al Qaeda et Daesh?

Al-Qaïda et Daesh constituent aujourd'hui les deux grands consortiums du terrorisme international. La plupart des organisations jugées terroristes dans le monde sont affiliées à l'un ou l'autre. Ce sont donc deux organisations qui sont plus rivales qu'amies.

 Pourquoi les États-Unis avaient-ils mené la guerre contre les Talibans ?

Les États-Unis considéraient les Talibans comme protecteurs des auteurs des attentats du 11 septembre 2001. Entre le fondateur du mouvement taliban Mollah Omar et l'ex Chef d'Al-Qaïda Ben Laden, il existait une grande complicité. Ben Laden a donc pu bénéficier de la protection des Talibans au pouvoir en Afghanistan de 1996 à 2001. Après les attentats du 11 septembre 2001, ces derniers ont, en plus, refusé de livrer Ben Laden au gouvernement américain. Washington a ainsi considéré qu'ils servaient de sanctuaire au terrorisme international.

 Pourquoi les États-Unis ont-ils alors décidé de se retirer d'Afghanistan ?

Cette guerre, devenue la plus longue de l'histoire des États-Unis, commençait à s'enliser. Les Américains sont essoufflés par vingt ans de guerre particulièrement coûteuse aussi bien sur le plan humain que financier. Environ 2400 soldats américains y ont perdu la vie. Le coût financier est évalué entre 800 et 1000 milliards de dollars. L'opinion publique américaine commençait à s'en lasser. Il fallait y mettre fin à un moment.

Il semble que des experts avaient prédit qu'après le retrait des troupes américaines,la reconquête du pouvoir par les Talibans prendrait plus de temps. Les événements ont démenti ces prévisions. Que s'est-il passé ?

Les prévisions restent des prévisions. La réalité peut paraître toute autre. L'analyse prospective n'est pas sans faille.

 Faut-il envisager un réengagement militaire américain en Afghanistan ?

Ce n'est pas exclu, mais c'est peu probable. Je pense que tout dépendra de l'influence que les Américains auront sur le nouveau pouvoir de Kaboul. Ça dépendra aussi de la capacité des Talibans à respecter leur engagement de lutter contre la menace terroriste sur le territoire afghan (Les Etats-Unis et les Talibans ont conclu un accord en février 2020, Ndlr)..

Il faut remarquer que les négociations du gouvernement américain avec les Talibans ont été menées en l'absence du gouvernement afghan. Et ces derniers jours, les États-Unis n'ont rien fait pour empêcher la prise de pouvoir des Talibans. Ce qui se passe actuellement est-il une histoire écrite d'avance ? La reprise du pouvoir par les Talibans était-elle une clause non écrite de l'accord ? Les Américains ne sont sûrement surpris par les événements. Il y a donc peu de chance qu'ils se réengagent à court terme.

Quelles leçons peut-on tirer du cas Afghan pour la lutte contre le djihadisme dans le Sahel ?

On peut en tirer plusieurs. Je me contente de deux. La première leçon que je pense qu'il faut tirer du cas afghan, c'est que le tout-militaire n'est pas une solution crédible contre le terrorisme. Ceci est d'ailleurs plus une confirmation qu'une révélation, car on le savait depuis même si la politique antiterroriste actuellement en cours au Sahel continue de privilégier l'action militaire. Avec ce qui se passe en Afghanistan, je pense que c'est le moment de faire du nexus sécurité-développement beaucoup moins un slogan qu'une réelle stratégie. Il y a besoin non seulement de relever le niveau de développement des États sahélien mais aussi d'améliorer la gouvernance politique à leur tête.

La deuxième leçon que je pense qu'il faut tirer des événements en Afghanistan, c'est que l'appui international n'est n'est pas éternel ni une solution absolue. Comme les Américains en Afghanistan, les Français peut finir par se lasser de leur guerre au Sahel. Ils ont déjà annoncé la restructuration de la force Barkhane, même si leur départ du Sahel n'est pas encore à l'ordre du jour. Le jour où les forces étrangères se décideront à arrêter leurs soutiens militaires et financiers, les États du Sahel pourraient s'effondre comme des châteaux de cartes. Il faut donc réfléchir à une solution locale, endogène qui soit à la mesure des moyens des États. Surtout, il faut construire des États relativement forts qui puissent survivre après le départ des forces étrangères.

Dans une récente publication sur Facebook, vous soutenez que l'exemple Afghan montre qu'il faut négocier avec les djihadistes au Sahel. Pourquoi ?

La négociation n'est pas un sujet nouveau. Elle fait débat depuis plusieurs années entre les différents acteurs. Certains États s'y sont d'ailleurs officiellement ou officieusement engagés. Le dialogue national inclusif au Mali avait clairement recommandé à l'État malien d'engager des négociations avec Amadou Koufa et Iyad ag Ghali. Au Burkina Faso et au Niger, il y a des signes que les acteurs sont quelque peu prédisposés à la négociation. Ce que je voulais dire, c'est que la négociation ne doit pas être complètement exclue des solutions possibles.

Depuis une dizaine d'années, on essaie la réponse militaire sans succès. Et on sait maintenant que les puissances étrangères peuvent négocier avec leurs ennemis et organiser leur retrait. Dans ces conditions, les États sahéliens ont intérêt à regarder leurs propres intérêts. Et je pense que face à leurs fragilités, ils ne perdent rien à négocier la paix avec les groupes djihadistes. Je ne veux surtout pas dire que la négociation est la solution magique. Je veux plutôt dire qu'elle est une solution face à laquelle il ne faut pas rester fermer.

Comme le dit Ibrahim Yahaya Ibrahim, "Négocier avec les djihadistes ne signifie pas qu'on va accepter la charia en échange de la paix". Il est question de travailler à éviter des morts supplémentaires. Ça permet de stabiliser la situation, puis de travailler à relever le niveau de développement et de gouvernance. Et le cas afghan offre un argument de plus. Si les Américains ont pu négocier avec les Talibans, les Maliens peuvent dialoguer avec Iyad ag Ghali s'ils estiment que cela est dans leur intérêt. Face au risque d'effondrement que nous fait toucher le cas afghan, les Etats sahéliens devraient anticiper et opter pour une stratégie à la mesure de leurs moyens.