Tanguiéta, parc de la Pendjari. Mardi 7 juillet 2020. Le temps est particulièrement beau en cette saison pluvieuse où les pluies se font paradoxalement rares. L’après-midi est ensoleillé. Un temps pour le safari. Mais ce n’est pas la grande ambiance dans parc national de la Pendjari. La réserve de biosphère de près de 5000 km2 attire moins les touristes depuis l’enlèvement d’un couple français et de leur guide béninois, Fiacre Gbédji, le 1er mai 2019.
Les deux Français en voyage de noces ont été libérés lors d’une opération de l’armée française au Burkina-Faso. Mais le guide béninois a été retrouvé mort dans le parc. Son corps sans vie, méconnaissable, a été identifié par les autorités béninoises le 5 mai.
« Un peu de panique »
L’acte terroriste du 1er mai 2019 est une première au Bénin. Avant ce jour, le Bénin n’avait jamais enregistré d’incursion djihadiste sur son territoire. Le drame a créé une grande émotion dans le parc national. « C’est un évènement très douloureux pour nous parce que Fiacre était l’un de nos meilleurs guides », confie Jean Yves Koumpogue, directeur par intérim du parc de la Pendjari, la gorge un peu nouée. « C’est d’ailleurs parce qu’il était très respectueux des règles qu’on s’en est très vite aperçu », apprend le patron du parc de la Pendjari.
Dans le parc, le safari n’est pas autorisé après 19 heures. « A 19 heures 15 minutes, on a constaté qu’il n’avait pas garé. Aussitôt, on a lancé une alerte. Nous avions à l’époque deux avions. Mais vu l’heure, nous ne pouvions plus voler. Nous avons fait des recherches avec les équipes terrestres, les rangers, mais cela n’avait rien donné. C’est le lendemain qu’on a réussi à trouver le corps du guide. C’était très malheureux pour nous », relate Jean Yves Koumpogue.
A Tanguiéta, ville d’entrée du parcau nord-ouest du Bénin, à 2 heures de route de la réserve, l’attaque djihadiste a semé « un peu de panique ». Même si « cela n’a pas trop stressé les populations qui ont vécu cela comme un film », comme l’a laissé entendre le maire de Tanguiéta, il y a tout de même une certaine méfiance à l’égard des inconnus. Les guides touristiques sont notamment très méfiants.
« Aujourd’hui, quand on a un client, on se pose des questions », confie Sanni Abdou Razack, guide dans le parc de la Pendjari, visiblement encore sous le choc de la terrible disparition de son « ami » et « frère ».
Un an après le drame, les guides touristiques craignent-ils pour leur sécurité dans le parc de la Pendjari ? « On n’a pas peur », répond Sanni Abdou Razack. « Moi, je n’ai pas peur quand je vais dans le parc », affirme avec assurance Léon Yombolény, un autre guide et accompagnateur.
Dispositif sécuritaire renforcé
S’ils assurent ne point craindre pour leur sécurité dans le parc de la Pendjari, les deux guides expliquent que c’est en raison du dispositif sécuritaire aujourd’hui dans la réserve naturelle. Le dispositif de sécurité dans le parc avant le 1er mai 2019 a été renforcé. Le parc est partiellement militarisé désormais. Une bande de dix kilomètres, de la frontière du Burkina-Faso vers le Sud, informe le directeur par intérim du parc, a été délimitée et confiée à une force mixte composée d’éléments de l’armée béninoise et de rangers qui patrouillent 24 heures sur 24.
« Ce n’est pas possible aujourd’hui pour quelqu’un d’entrer dans le parc et de finir 10 kilomètres. C’est quasiment impossible », commente Jean Yves Koumpogue. Le directeur par intérim du parc fait savoir qu’African Parks, en plus des deux avions dont il disposait, a acquis un hélicoptère pour « des interventions ponctuelles et rapides ».
African Parks a également acquis du matériel, des GPS pour suivre les touristes et leur guide, et des radios pour communiquer avec eux. « En cas de situation, on peut immédiatement alerter », se réjouit le guide Léon Yombolény. Très amer, le guide Sanni Abdou Razack pense que le dispositif de GPS aurait pu être installé avant l’assassinat de Fiacre Gbédji. « Nos autorités vont visiter les parcs ailleurs. Elles voient comment cela se passe. On pouvait mettre ce dispositif-là avant », critique-t-il. « Aujourd’hui, la sécurité est totalement garantie dans le parc », assure Jean Yves Koumpogue. Un peu comme pour dire mieux vaut tard que jamais.
Tanguiéta, un refuge pour les djihadistes ?
Depuis le 1er mai 2019, aucune autre attaque n’a été enregistrée au Bénin. Est-ce à dire que l’enlèvement des touristes est un incident passager ? « Peut-être, peut-être pas », répond Emmanuel Odilon Koukoubou, expert en sécurité internationale et défense. Assistant de recherche au Civic academy for Africa’s future (CIAAF), l’expert pense qu’il faut faire très attention. Car, explique-t-il,, « le Bénin présente suffisamment de fragilités, de vulnérabilités qui l’exposent à l’insécurité, à des menaces terroristes ». Aussi, ajoute-t-il, « le Bénin aussi peut subir le revers de la lutte contre le terrorisme au Sahel ».
Dans un article qu’il a cosigné avec Dr Expedit Ologou fin juin 2020, Emmanuel Odilon Kouboubou alerte sur le fait que le parc W et son prolongement du parc de la Pendjari pourrait être « le prochain hub du terrorisme sahélien ». Cela, analysent les deux experts, pourrait s’inscrire dans le cadre d’une stratégie d’adaptation des terroristes en période de coronavirus. « Cette hypothèse reste valable même en dehors du temps covidien. Elle peut être le revers de la lutte antiterroriste », écrivent Emmanuel Odilon Kouboubou et Dr Expédit Ologou. Les deux chercheurs font savoir que cette zone présente les fragilités dont se nourrit le terrorisme. « En plus d’être de vraies cachettes, les parcs présentent même un avantage de survie économique. Ils peuvent servir de terrain de braconnage à des fins alimentaires et de trafic transfrontalier », détaillent-ils.
Il n’y a pas que les experts qui craignent que les villes frontalières entre le Bénin, le Burkina-Faso et le Niger deviennent une arrière-cour pour les djihadistes. Une autorité communale de Tanguiéta a confié à Banouto que des incursions de personnes suspectes sont souvent enregistrées dans la ville.
« Tanguiéta n’est pas une ville si exposée »
Selon les informations de Banouto, des hommes armés ont été abattus dans la réserve à la mi-juin 2020. Début juillet, sept personnes ont été tuées dans le parc, côté burkinabé. Outre ces cas, les forces de défense et de sécurité ont procédé à des arrestations dans le parc. « On ne sait pas si ce sont des tentatives de djihadistes mais toujours est-il qu’on a pris des gens qui ont tenté d’infiltrer la bande des 10 kilomètres », a expliqué le directeur du parc.
Interrogés sur la situation sécuritaire de la ville, les responsables de la sécurité n’ont pas souhaité faire des commentaires. Ni les commissaires de la ville, ni les responsables du camp militaire ne se sont prononcés. Mais une source sécuritaire a assuré à Banouto qu’il n’y a pas d’inquiétude à se faire quant à la sécurité dans la commune de Tanguiéta et dans le parc de la Pendjari. « Si c’est pour la sécurité, elle est garantie », a-t-elle déclaré. Selon elle, « Tanguiéta n’est pas une ville si exposée ».
Parlant de la sécurité dans le parc, notre source fait savoir que la frontière béninoise est sécurisée à l’intérieur du parc. « Le problème, indique la source sécuritaire, c’est que de l’autre côté du Burkina-Faso, il n’y a pas d’éléments ». L’autre difficulté dans la zone, apprend notre informateur, c’est que la bande de Koualou-Koulou disputée entre le Bénin et le Burkina-Faso n’est contrôlée par aucune unité.
Pour protéger les personnes et les biens dans la commune de Tanguiéta, des réflexions se mènent, notamment au niveau du conseil communal. Selon le maire, des réflexions sont en cours pour la dynamisation des comités locaux de sécurité. L’autorité communale projette également de faire tenir au niveau de chaque arrondissement un « registre des nouveaux résidents ». Ceci, explique le maire, pour « enregistrer les personnes qui ne sont pas de passage et qui veulent résider pour un certain temps, à partir de quinze jours, un mois ».
Tourisme groggy
L’attaque dans le parc de la Pendjari n’a pas fait que montrer que le Bénin n’est pas à l’abri des actes terroristes. L’enlèvement des deux touristes et l’assassinat de leur guide a porté un gros coup à l’activité touristique dans la région. Le parc a été classé, les minutes qui ont suivies l’attaque, zone rouge par la France et déconseillé aux touristes. « Beaucoup de touristes ont aussitôt annulé », informe le directeur du parc. Les Français étant les visiteurs les plus nombreux. L’activité touristique qui connaissait de beaux jours, notamment après la prise en main de la gestion du parc de la Pendjari par African Parks (APN), a connu une chute vertigineuse.
Les visites dans le parc sont quasiment rares, à l’exception de quelques visiteurs venant d’outre-mer, des expatriés sur le territoire et des Béninois, les plus nombreux aujourd’hui selon le directeur du parc. Toute chose qui a affecté plusieurs secteurs et corps de métier dont les guides touristiques. Nombreux sont les guides qui ont vu leurs chiffres d’affaires réduits à néant. « Avant, ça marchait un peu. On ne manquait pas pour nous. Par semaine, je pouvais aller au moins trois fois dans le parc avec des clients. Maintenant, rien, zéro », se lamente Léon Yombolény. « Notre activité est totalement par terre », confie Sanni Abdou Razack dont la dernière visite dans le parc remonte à juillet 2019.
Les restaurateurs et hébergeurs ne sont pas épargnés par les impacts de l’attaque. « Depuis le triste évènement, on n’a pas retrouvé l’équilibre jusqu’à maintenant », révèle Charles Estève, promoteur d’un hôtel très connu et d’un supermarché à Tanguiéta. L’homme d’affaires apprend que le triste évènement l’a mis dans un « gouffre », et la crise sanitaire née de la pandémie du coronavirus a empiré la situation. « On est presqu’à genoux. Deux évènements malheureux coup sur coup », dévoile-t-il avouant que ses chambres sont restées vides des mois sans un seul client.
A la mairie, on se plaint également de recettes en baisse. « Vous savez, le parc national de la Pendjari, c’est une importante source de revenus que ce soit pour les hébergeurs, les marchands de boissons ou encore les transporteurs. C’est vraiment un secteur important pour nos populations et pour les recettes que nous (la mairie ndlr) mobilisons, et même pour l’Etat », fait savoir le maire.
Les conséquences de ce triste évènement au plan économique sont énormes. Notamment sur le tourisme dans la région qui, un an après, semble toujours groggy. Et avec lui, ses acteurs dont certains sont dangereusement menacés. Mais cette période marquée par une baisse des activités touristiques a tout de même permis à APN de procéder à des aménagements pour permettre aux animaux d’être un peu partout.
Et « aujourd’hui, assure le directeur du parc, on voit facilement les animaux et en grand nombre. Vous voyez des buffles avec des effectifs de 300-400, vous voyez des éléphants avec des effectifs de 30, vous pouvez voir plusieurs familles d’éléphants. Les lions, c’est assez facile de les voir. Le léopard, le guépard...Quand le Covid-19 sera passé et le rouge sera levé, les touristes seront très joyeux de découvrir le parc national de la Pendjari.»
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