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Constitution béninoise: Salami contre-attaque les 03 arguments de la Cour africaine

Constitution béninoise: Salami contre-attaque les 03 arguments de la Cour africaine

Dans un arrêt rendu le 27 novembre 2020, en réponse à la requête d’un citoyen béninois anonyme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ordonne à l’Etat béninois de « prendre toutes les mesures afin d’abroger la loi n°2019-40 du 1er novembre 2019 portant modification de la loi n°90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin et de se conformer au principe du consensus national édicté par l’article 10(2) de la Cadeg pour toutes autres révisions constitutionnelles »  et de « prendre ces mesures avant toute élection ».

Dans un arrêt rendu le 27 novembre 2020, en réponse à la requête d’un citoyen béninois anonyme, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ordonne à l’Etat béninois de « prendre toutes les mesures afin d’abroger la loi n°2019-40 du 1er novembre 2019 portant modification de la loi n°90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin et de se conformer au principe du consensus national édicté par l’article 10(2) de la Cadeg pour toutes autres révisions constitutionnelles »  et de « prendre ces mesures avant toute élection ».

ibrahim salami

Les juges de la juridiction communautaire basée à Arusha en Tanzanie, fondent leur décision sur trois arguments. Ils avancent le non-respect du consensus national ainsi que la violation du droit du citoyen à l’information dans la conduite de la réforme. Ils estiment aussi que telle que menée, la révision de la constitution constitue une menace pour la paix et la sécurité.

Dans une interview à Reporter Bénin monde, Me Ibrahim Salami, professeur titulaire de droit public, revient sur chacun des arguments de la Cour africaine.  

Le contexte 

D’abord de façon globale, il faut faire remarquer qu’au plan international, que ce soit la Cour africaine des droits de l’homme, la Cour de la Cedeao, la Cour de justice de l’Uemoa, on se rend compte qu’il y a une situation de conflit entre les juridictions internationales, les juridictions nationales ; entre le droit communautaire et le droit national. De sorte que les questions habituelles en doctrine, consistant à savoir entre l’ordre international et l’ordre national lequel l’emporte, lequel l’emporte toujours ou en fonction des circonstances données, ont été exacerbées. Nous sommes dans ce contexte.

Deuxième contexte, c’est que la Cour africaine des droits de l’homme, si on analyse ses décisions vis-à-vis seulement du Bénin, on aura l’impression que c’est un harcèlement ou c’est un acharnement contre le Bénin ou contre les autorités béninoises.

Il faut être franc et honnête en disant qu’il n’y a pas que le Bénin en Afrique, et qu’il n’y a pas que le Bénin devant la Cour africaine des droits de l’homme. Beaucoup de pays ont subi ses décisions qui visent à remettre en cause toutes les entraves à la participation politique. Dernièrement, je vous rappelle le cas de la Côte d’Ivoire où la même Cour a dit que Guillaume Soro devait participer, que Gbagbo devait participer et la politique s’est imposée. On est dans le champ éminemment politique des élections, et les juges doivent faire très attention.

Donc la Cour africaine a cette habitude-là de faire en sorte que les dispositions soient prises pour qu’il n’y est pas d’entrave à la participation politique, pour permettre aux citoyens d’avoir le droit de participer à la gestion de la chose publique.

Ensuite, que dit la Cour et comment elle procède ?

La Cour se prononce sur la base de deux ou trois éléments, d’abord le consensus national, le droit à l’information, la menace à la paix et à la sécurité. Voilà les trois arguments de droit qu’utilise la Cour africaine pour dire qu’il faut que ces dispositions électorales, constitutionnelles et légales soient revues et corrigées.

L’argument du consensus national

En fait c’est une notion qu’on retrouve en droit béninois et dans la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, qui est un texte communautaire. Au plan national, le consensus national ne se trouve dans aucun écrit, ni dans la constitution, ni dans les lois organiques. C’est la Cour constitutionnelle qui l’a érigé en principe constitutionnel. Etant donné que c’est un principe jurisprudentiel, on peut s’attendre à ce que le même juge constitutionnel, n’en fasse plus cas. C’est ce qui s’est passé avec la Cour Djogbénou qui ne fait plus cas de ça à l’occasion de la révision de la constitution. Ça veut dire que le consensus national n’existe plus dans le droit positif béninois, puisque le juge ne l’invoque plus.

Alors, la Cour africaine des droits de l’homme renvoie au consensus au niveau national et au niveau de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance pour dire que la révision aurait été menée de façon clandestine, de façon urgente, qu’il n’y a pas eu de consultation et qu’on n’a pas respecté les idéaux de la Conférence nationale. Je pense que la Cour a surestimé ses capacités d’analyse des normes internes en relation avec les normes du droit communautaire. Parce que pour réviser la constitution au Bénin, ce n’est pas inscrit dans la constitution qu’il faut respecter le consensus.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire. Je ne dis pas qu’il ne faut pas consulter. Je ne dis pas qu’il faut faire la révision de façon urgente. Je l’ai critiqué d’ailleurs. Mais en l’état actuel de notre droit positif au Bénin, le consensus national n’est plus vraiment d’actualité. Donc, on ne peut pas renvoyer le constituant béninois, qui est le pouvoir constitutionnel suprême, à un principe qui n’existe plus. Donc, ça pose un problème.

Sur le plan du consensus national qui existe dans la Charte africaine de la  démocratie, des élections et de la gouvernance, on pourrait penser que ça n’a pas une valeur coercitive. C’est plus une recommandation. Parce que si cela avait une valeur coercitive, ça voudra dire que pour toutes les réformes à faire dans le pays, il faut passer par le principe du consensus. Mais ce serait l’inactivité, ce serait le blocage des institutions, parce que nous sommes en démocratie et en démocratie c’est d’abord la loi de la majorité qui s’impose. C’est une certaine dictature de la majorité, la démocratie. Et à vouloir imposer le consensus en tout, on pourrait aboutir à un certain blocage institutionnel.

L’argument sur le droit à l’information

La Cour africaine dit qu’il fallait faire la vulgarisation de la révision, avant et/ou après.  Il fallait disséminer. C’est pas mauvais, mais l’a aussi ça manque de juridicité en ce sens que rien n’oblige le pouvoir constituant qui veut réviser à faire le tour du pays, pour aller expliquer son texte. On est sur le terrain de la légitimité. C’est-à-dire oui les populations doivent être informées, mais ce n’est pas une obligation au sens constitutionnel du terme. Et moi juriste constitutionnaliste, je dois d’abord raisonner en termes de droit, de juridicité de la norme avant de voir sa légitimité.

L’argument sur la menace à la paix et à la sécurité

C’est un argument qui est pertinent, soyons honnête. C’est un argument qui est pertinent, au regard de nos deux dernières élections, notamment les élections législatives où on a vu des choses qu’on avait jamais vu de notre histoire de renouveau démocratique. Donc, moi je pense que les gouvernants doivent en tenir compte. Les questions de menace à la paix et à la sécurité sont des préoccupations effectivement fondamentales. C’est des préoccupations humaines de survie de la société. Mais pour réviser la constitution, si on n’en  tient pas compte, est-ce qu’on doit dire que le droit a été violé ?

Je pense que de façon générale, la Cour africaine a une conception un peu société civile du droit. On a l’impression que c’est la société civile qui se réunit pour écrire les décisions et que ça manque de rigueur sur le plan scientifique, sur le plan du droit. On se pose des questions sur la qualité de leur décision en termes de fabrique du droit communautaire.