economie

Guerre commerciale lancée par Trump : « Une occasion pour l’Afrique de s’affranchir de l’économie mondiale… »

Guerre commerciale lancée par Trump : « Une occasion pour l’Afrique de s’affranchir de l’économie mondiale… »

La guerre commerciale lancée par Donald Trump début avril, avec l’imposition de nouveaux tarifs douaniers aux États partenaires commerciaux des États-Unis n’épargne pas l’Afrique. Le président américain a décidé, mercredi 09 avril 2025, de suspendre l’application des nouveaux tarifs pendant 90 jours pour tous les pays concernés à l’exception de la Chine. Cette décision, qui reporte l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs douaniers, n’occulte pas les réflexions sur les implications de cette guerre commerciale pour les pays africains.

La guerre commerciale lancée par Donald Trump début avril, avec l’imposition de nouveaux tarifs douaniers aux États partenaires commerciaux des États-Unis n’épargne pas l’Afrique. Le président américain a décidé, mercredi 09 avril 2025, de suspendre l’application des nouveaux tarifs pendant 90 jours pour tous les pays concernés à l’exception de la Chine. Cette décision, qui reporte l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs douaniers, n’occulte pas les réflexions sur les implications de cette guerre commerciale pour les pays africains.

Dr. Wantinèki Diane Konassandé (à gauche) et  Sètondji Roland Adjovi (à droite)

Dr. Wantinèki Diane Konassandé (à gauche) et Sètondji Roland Adjovi (à droite)

Banouto donne la parole à deux experts pour une lecture du volet africain des nouveaux tarifs douaniers américains. Wantinèki Diane Konassandé est docteure en droit international à Aix Marseille et élève avocate en droit des affaires à l’école des avocats du Sud-Est (France) ; Sètondji Roland Adjovi, spécialiste en droit international en thèse à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Canada. Interview exclusive à lire. 

 

Quelles sont vos premières analyses de la décision de Trump de suspendre les nouveaux tarifs douaniers pour 90 jours pour tous les États concernés, à l’exception de la Chine ? 

 

Les mesures tarifaires américaines concernant les pays figurant à l’annexe devaient entrer en vigueur le mercredi 9 avril 2025. Mais, à la grande surprise générale, le président américain a suspendu son décret pour 90 jours. Cela signifie d’une part que la hausse reste à l’ordre du jour, mais seulement que sa mise en œuvre effective est reportée.

 

Il se peut que Trump ait voulu se donner les moyens de négocier avec les États qui seraient concernés. Cette suspension ne concerne toutefois pas la Chine avec qui les hausses s’enchainent comme dans un match de ping-pong. Et la hausse de base de 10% reste appliquée en l’état actuel des choses.

 

Que va-t-il se passer entre maintenant et la fin du moratoire de 90 jours pour tous les pays concernés ? Que doivent faire les pays africains en particulier ? 

 

Pendant ce moratoire de 90 jours, les États qui ont déjà approché les Etats-Unis auront moins de pression et vont pouvoir négocier posément.

 

Il est difficile avec le président Trump de prévoir. Il est imprévisible. Il sert un intérêt populiste dont les attentes sont tout aussi imprévisibles. Il est donc difficile de répondre à cette question en l’état actuel des choses.

 

Pour les États africains, nous ignorons si certains ont déjà engagé des négociations. Mais il est clair que l’imprévisibilité demeure dans cette relation commerciale et plus tôt des alternatives fiables seront trouvées, mieux cela vaudra pour ces États victimes de l’Administration Trump.

 

Pour aller dans le fond, pourquoi Donald Trump a-t-il imposé de nouveaux droits de douane sur les produits exportés vers les EÉtats-Unis ?

 

Le président américain a imposé une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) exceptionnelle d’au moins 10% sur toutes les importations aux Etats-Unis. Dans son décret du 2 avril 2025, il donne plusieurs raisons pour cette mesure qu’il dit inscrite dans la réciprocité. La principale de ces raisons serait le fait que les États-Unis présentent une balance commerciale fortement déficitaire : 122,7 milliards de dollars en février 2025, contre un record de 130,7 milliards de dollars en janvier, et une projection de 123,5 milliards de dollars.

 

Dans son décret, le président affirme que son pays n’applique pas de TVA comme les autres États membres de l’OMC et qu’il en découle un déséquilibre dans ses échanges commerciaux internationaux. Il affirme aussi que le monde entier a tiré profit des Etats-Unis de façon unilatérale, et ainsi spolié son pays, qu’il s’agisse d’alliés ou de rivaux.

 

Or, il faut le souligner, l’importation aux Etats-Unis est parfois le fait de sociétés américaines qui se sont délocalisées pour maximiser leurs bénéfices, de sorte que la situation n’est pas forcément le fait des autres pays, mais est aussi due à une logique interne à l’économie libérale américaine. Il ne s’agit donc pas d’une décision pour répondre aux droits imposés par les autres États et la justification de cette décision unilatérale nous paraît défectueuse.

 

Pourquoi ces droits de douane varient-ils d’un pays à un autre ?

 

Le décret présidentiel est accompagné d’une annexe qui donne les taux pour la cinquantaine de pays concernés. Pour justifier ces taux, le représentant américain au commerce international (Amb. Jamieson Greer) a publié une formule qui aurait servi pour le calcul.

 

Cette formule peut être présentée comme suit : le montant du déficit commercial américain avec le pays concerné est divisé par le nombre total des importations de ce pays vers les Etats-Unis et ce résultat est divisé par deux pour obtenir le taux à appliquer à ce pays. Le calcul est donc spécifique à chaque pays et l’annexe montre que tous les pays du monde ne sont pas concernés.

 

Il faut ajouter que dans un second décret du 8 avril 2025, le président américain a supprimé à compter du 1er juin 2025 l'exonération des droits de douane pour les petits colis en provenance de Chine. Cela affectera des plateformes de commerce électronique telles que Shein et Temu qui profitaient bien de cette facilité pour accroître leurs parts de marché.

 

Les droits de douanes imposés par l’Administration Trump visent aussi les pays africains. Quelles en seront les implications pour l’économie du continent ?

 

Selon les statistiques publiées par le représentant américain au commerce international, le déficit commercial des États-Unis avec l'Afrique est de 7,4 milliards de dollars. C'est peu, comparé à d'autres zones géographiques, comme l’Union européenne pour laquelle ce déficit s'élève à 157 milliards de dollars.

 

Dans le cas du Bénin, par exemple, la balance commerciale est excédentaire de 167, 8 millions de dollars sur l’année 2024 et c’est ce qui explique que le Bénin n’est concerné que par la mesure de base (10%).

 

Mais, d’autres pays africains sont concernés avec des taux élevés. C’est le cas du Lesotho à 50% et de Madagascar à 47%. Ces deux pays affichent une balance commerciale excédentaire de plusieurs millions de dollars avec les États-Unis en raison de son exportation de la vanille pour Madagascar, et de son industrie textile pour le Lesotho.

 

Étant donné ces taux élevés malgré la balance inférieure à d’autres pays comme la Chine, on est en droit de s’interroger sur l’équité que le gouvernement américain met pourtant en avant avec sa formule mathématique.

 

Quelles conséquences ces nouveaux tarifs douaniers peuvent-ils avoir sur l’économie des pays africains de façon globale et les revenus des populations ?

 

Il y a deux possibilités. Soit le producteur répercute l’augmentation douanière sur le prix de vente final de sa production : dans ce cas, c’est le consommateur du pays destinataire, donc l’Américain, qui est pénalisé. Soit le producteur décide d’absorber l’augmentation douanière en maintenant son prix de vente d’antan, auquel cas c’est lui qui est affecté dans sa marge.

 

Dans cette seconde option, le producteur pourrait revoir ses conditions de production avec la possibilité d’une réduction de la masse salariale. Pour les pays africains, ce second cas de figure est probablement le plus réaliste et cela confirmerait le risque d’impact négatif sur l’économie africaine des pays qui avaient une exportation substantielle vers les Etats-Unis.

 

Ces nouveaux tarifs douaniers américains représentent-t-ils alors une menace ou une opportunité pour les industries africaines ?

 

Le danger de crises de ce type est d’autant plus accru qu’une économie est dépendante du pays qui initie une crise pareille. En clair, tout pays dont l’économie est fortement construite sur les importations vers les États-Unis paiera un coût plus élevé dans la situation actuelle. Logiquement, il faut donc une économie variée. De plus, il faut construire une économie tournée vers la satisfaction des besoins locaux en priorité, autant que possible.

 

À notre avis, c’est l’occasion pour les pays africains de développer leur économie en ce sens, avec aussi un accroissement des échanges commerciaux régionaux comme le préconise l’accord créant la zone de libre-échange en Afrique de 2018. 47 États africains sont aujourd’hui parties à cet accord, et le Bénin n’en fait pas partie (voir la note d’information de l’Union Africaine, et le site officiel du secrétariat de mise en œuvre).

 

Concernant le Bénin plus particulièrement, la nouvelle zone industrielle de Glo-Djigbe (GDIZ) peut absorber les quantités de coton produites dans le pays pour accroître la valeur du produit fini/manufacturé, et profiter à la main d’œuvre et aux producteurs locaux.

 

Toutefois, si ce produit fini est destiné à une exportation, il faut regarder de près les pays de destination pour apprécier le risque dans le futur. Il est clair que l’enjeu n’est pas simple et les paramètres à prendre en compte sont nombreux.

 

Les pays africains auraient-ils pu riposter comme l’ont fait la Chine et l’Union européenne ?

 

Une politique douanière est plus difficile à coordonner à l’échelle d’un continent qui plus est, aussi grand que l’Afrique, avec des nombreux espaces économiques et tout autant d’arrangements de libre-échange à différents niveaux y compris avec des acteurs non-africains comme l’Union européenne et les États-Unis. Au-delà de ces considérations, les politiques commerciales s’appuient fortement sur la puissance politique des États qui les conçoivent.

 

Dès lors, il paraît évident que riposter contre les politiques douanières des États-Unis en augmentant les droits de douane comme l’a fait la Chine n’est pas une réponse adaptée pour les États africains. Mais ces États peuvent certainement redéfinir leurs priorités en termes de partenaires économiques pour une meilleure stabilité dans le temps.

 

Que devient ou que deviendra l’AGOA avec ces nouveaux tarifs douaniers ? Les pays éligibles à l’AGOA continueront-ils de profiter de ses avantages ?

 

De nombreux pays d’Afrique subsaharienne sont éligibles à l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une législation américaine en place depuis 2000 qui exempte la trentaine de pays africains bénéficiaires de tout droit de douane sur une large sélection de produits (voir la note d’information des douanes américaines de 2003).

 

En principe, l’exemption expire au 30 septembre 2025 et il est fort probable que, dans les circonstances actuelles, sa reconduction est loin d’être à l’ordre du jour ou garantie.

 

Si l’attrait économique que représentait cette exonération douanière est réduite à néant, indubitablement, cela impactera négativement l’effort d’exportation des entreprises africaines et éventuellement le marché de l’emploi dans les pays concernés. Des pertes de revenus et donc une baisse de la qualité de vie sont à craindre.

 

Que doivent faire les États africains pour protéger l’économie du continent et préserver les intérêts du continent dans ce contexte de guerre commerciale ?

 

Les États africains doivent se tourner vers une intensification des échanges commerciaux au niveau du continent. De tels échanges présentent plusieurs avantages. D’abord, les relations seront plus équilibrées en raison du niveau comparable de puissance et des intérêts multiples y compris des populations. Ensuite, le risque de crise majeure comme celle née des décisions du président américain actuel serait bien moindre.

 

Enfin, certaines des productions actuelles de matières premières destinées à l’exportation sont au cœur de conflits inextricables avec une paupérisation continue des populations locales. Il y a eu le Liberia et la Sierra Leone. Il y a aussi la République démocratique du Congo. Pour ne citer que les cas les plus connus. La zone africaine de libre-échange peut être une réponse pour l’Afrique avec une meilleure chance pour son développement.

 

Cette guerre commerciale initiée par les États-Unis est l’occasion pour l’Afrique de s’affranchir d’une économie mondiale dont les objectifs sont définis ailleurs et ne sont pas fondamentalement tournés vers des intérêts africains.

 

Au-delà de l’Afrique, à quelles conséquences faut-il s’attendre sur le commerce international et in fine sur l’économie mondiale ?

 

À court terme, il est fort à craindre que l’augmentation généralisée des droits de douane n’entraîne une inflation jamais connue depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’augmentation disparate va quant à elle produire des effets d’aubaine de courte durée pour les États qui bénéficient de conditions commerciales favorables comme le Canada et le Mexique.

 

Ces deux pays sont couverts par l'accord Mexique-États-Unis-Canada (T-MEC), qui établit des conditions commerciales préférentielles, même si l’Administration Trump les menace aussi constamment.

 

Cependant, il sera difficile de maintenir le statu quo sur le long terme sans que ne se profile à l’horizon une crise économique et politique majeure avec un multilatéralisme mis en échec. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’issue hors la concertation entre les États or nos petits pays sont rarement entendus à leur juste valeur et besoin dans de tels cadres.

 

Dans quelle mesure l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pourra-t-elle œuvrer pour un « apaisement commercial » ?

 

L’OMC est une organisation internationale à compétence attribuée et donc limitée, avec des membres qui sont des États souverains. Elle ne peut rien imposer à ses membres en dehors du cadre de concertation et de décision où les États font leur jeu classique d’influence ou de blocage. À ce jour, les appels au dialogue et au respect du droit international de la direction exécutive de l’organisation sont restés lettre morte.

 

Mais l’organisation dispose d’un mécanisme de règlement des différends et la Chine a déjà saisi l’organisation contre le décret présidentiel américain. Toutefois, ce mécanisme n’est pas totalement fonctionnel à ce jour car son organe d’appel n’est pas au complet, les États-Unis ayant délibérément bloqué le processus d’élection au siège vacant depuis novembre 2020. Ce recours de la Chine est donc à terme sans issue.

 

0 commentaire

0 commentaire