Illustration du défaut d'hygiène et d'assainissement en milieu lacustre au Bénin
« L’insalubrité favorise la prolifération des moustiques qui donnent le paludisme. Encore que nous sommes dans un milieu lacustre, les moustiques foisonnent. Le paludisme qui se manifeste par des épisodes de fièvre, l’anémie et la diarrhée sont les maladies que nous connaissons très souvent ici à Donhouinou-Gbadji », apprend, Kloussa Galbert, père d’une famille de huit enfants. Récemment, ce chef de famille a fait une course contre la montre pour sauver un de ses enfants anémié.
« La dernière fois, il y a moins de trois semaines, mon enfant a souffert d’anémie. Nous nous sommes rendus à l’hôpital de Comè et il n’y avait pas de sang disponible. On a dû l’évacuer de toute urgence à Lokossa à près de 45 minutes en taxi ».
Pour un séjour de deux semaines dans les couloirs de l’hôpital, il a dépensé près de 100.000 F CFA. Le pêcheur dont les activités sont au ralenti avec l’ensablement du lac a dû contracter des prêts pour solder les frais de soins à son enfant. « Ça a été une épreuve difficile. Ça fait mal de dépenser autant pour des maladies liées au mauvais état du milieu de vie », déplore-t-il. Pourtant, pendant que les échanges ravivent l’amer souvenir de ce qu’il appelle « épreuve », deux fillettes, pieds nus, torses nus jouent aux vendeuses avec des boîtes de conserves et des ustensiles usagés près d’une eau stagnante insalubre à deux pas de sa concession.
« Il est difficile d’encadrer les enfants, de les empêcher d’être au contact de l’insalubrité dans un milieu comme le nôtre. A vouloir le faire, on passe la journée à crier. Voyez-vous que là présentement, ils ont déjà étalé des boites de tomates et d’ustensiles usagés près des flaques d’eau. Pourtant, j’ai déjà crié plus de cinq fois aujourd’hui. On s’épuise à encadrer les enfants turbulents », se défend le père de famille.
Dans le village balayé par des inondations cycliques, les périodes de crue accentuent la vulnérabilité des populations et les cas de maladies hydriques se multiplient. « L’eau monte à plus de deux mètres de hauteur. La dernière crue a causé des dégâts sanitaires. Fièvres, maux de ventre, diarrhée, nous avons affronté une longue liste de petites maladies. Les enfants surtout, même nous aussi adultes. Impossible d’échapper aux moustiques qui nous envahissent. Parfois, l’eau ramène des déchets de matières fécales, leur odeur et l’atmosphère devient irrespirable », témoigne Akpa Léocardie vendeuse de poisson au pied de sa maison en bordure du lac.
Palu, gastro-entérites, choléra
De l’autre côté à Sô-Ava, pendant ses recherches de Master en Environnement, Santé, et Développement Durable soutenu en décembre 2020 , Fulbert Adjimehossou a découvert que dans cette commune lacustre au sud du Bénin, l'ingestion d'eau ou d'aliments contaminés est un facteur important de la diarrhée infantile. « Les épidémies de choléra sont récurrentes dans le secteur d’étude, une zone marquée par de mauvaises conditions d’assainissement et une absence de système de collecte et de gestion des déchets solides ménagers ».
Illustration du défaut d'hygiène et d'assainissement en milieu lacustre au Bénin
Dans son mémoire, lit-on, « entre 2010 et 2019, au total 1781 cas d’autres affections intestinales ont été enregistrés à Vekky, soit un taux d’incidence de 48,75 ‰. Il s’agit entre autres, des cas de douleur thoracique, de douleur abdominale chronique et récurrente ou de dyspepsie ».
Pour cette affection liée aux mauvaises conditions de vie et d’hygiène, en 2021, le Bénin a recensé « 127 cas suspects et 10 cas confirmés » jusqu'à la date du 10 octobre selon les informations publiées par Vidal, un portail de référence des produits de santé et de l'information médicale à travers le monde. Sur les 10 cas confirmés, 03 ont été détectés à Sô-Ava.
Dans le pays, « parmi les facteurs de risque identifiés pour cette épidémie figurent l'existence de zones lacustres habitées mal entretenues, avec des maisons sur pilotis et des toilettes, et la défécation dans l'eau. La consommation d'eau non potable, la vente de rue de nourriture non protégée et le surpeuplement ont également été identifiés comme des facteurs de risque », signale le site spécialisé alertant les voyageurs à destination de ces lieux.
Devant le choléra, le paludisme constitue la première cause de consultation dans la plupart des autres cités lacustres et semi-lacustres. Au centre de santé de l’arrondissement d’Agatogbo situé entre trois à quatre kilomètres des habitations de Guézin, le major Armelle Saïzonou renseigne les données épidémiologiques sur les maladies de l’insalubrité qui accablent les populations de ce village semi-lacustre.
« Les maladies les plus fréquentes qu’on a ici, c’est le paludisme et les maladies hydriques. Les gastro-entérites, le choléra par saison. Il arrive des moments où on est vraiment acculé. En saison pluvieuse, la fréquence est vraiment énorme ». L’infirmière apprend que les enfants de 0 à 5 ans et les personnes âgées à partir de 50 ans sont en grand nombre parmi les patients qu’ils reçoivent. « Chez les enfants, on a souvent des cas critiques. Ils présentent l’anémie, la convulsion, les enfants qui sont léthargiques, les vomissements. C’est des signes qu’on a souvent. », souligne-t-elle.
Illustration du défaut d'hygiène et d'assainissement en milieu lacustre au Bénin
Chiffre à l’appui, Major Armelle Saïzonou informe que le centre enregistre jusqu’à « 500 cas de paludisme par mois » dont la majorité, c’est des enfants. Et, « en période de pique, pour le paludisme on va jusqu’à 700 cas ».
En ce qui concerne les maladies hydriques, les chiffres tournent autour de 80 cas par mois. « Pendant la dernière crue on a eu beaucoup de patients. Les populations étaient obligées de quitter leurs lieux de résidence. On a reçu des cas graves qu’on a référé vers l’hôpital de zone. L’anémie était vraiment de trop. C’est le mois où on a fait le plus de référence. On est allé à une vingtaine contre trois à quatre en temps normal », explicite l’agent de santé qui apprend qu’aussi, il arrive des moments de rupture de médicaments de "premières nécessités" comme le Coartem.
Des témoignages des populations, il ressort que de nombreux décès ont déjà été enregistrés en raison de la difficulté à avoir les intrants de soins à temps et à cause de la pauvreté qui handicape les parents. Mais l’infirmière assure pour sa part, qu’elle n’a pas encore enregistré de « casse » en raison de l’indisponibilité de médicaments de premières nécessités.
Des milliards de Fcfa de perte
Si les milieux lacustres sont particulièrement affectés par les problèmes d’hygiène et d’assainissement, il s’avère que l’ensemble du pays en paie le prix fort. C’est ce qu’apprend Félix Adégnika, Coordonnateur national de Water Supply and sanitation collaborative council (Conseil de concertation pour l’eau potable et l’assainissement, WSSCC), une organisation basée à Genève et présente dans 17 pays d’Afrique et d’Asie dont le Bénin.
« L’hygiène et l’assainissement, c’est beaucoup de maladies, beaucoup de violences basées sur le genre qui sont sous-jacentes sans parler même de l’économie. L’hygiène et l’assainissement, c’est multi-dimensionnel » souligne ce spécialiste. En ce qui concerne la facture fait-il savoir, « le Bénin perd 52 milliards F CFA chaque année par manque d’hygiène et d’assainissement ». Félix Adégnika informe que c’est depuis 2012 qu’une étude de la Banque mondiale a alerté le pays à propos de cette perte en plusieurs dizaines de milliards de franc par an.
Selon le document consulté par Banouto, la défécation à l’air libre, l’une des pratiques en vogue dans les milieux lacustres coûte des milliards au pays. « La défécation en plein air coûte au Bénin plus de 75 millions $EU (soit 37,5 milliards CFA, ndlr) par an » lit-on dans le rapport.
Les experts de la banque mondiale relèvent également dans leur étude que les pauvres subissent plus le poids économique d’un mauvais assainissement. « Les coûts d’un mauvais assainissement sont inéquitablement distribués, le fardeau économique le plus lourd pesant disproportionnellement sur les plus pauvres. Le coût moyen associé à un mauvais assainissement constitue une proportion beaucoup plus grande du revenu d’une personne pauvre que celle d’une personne plus riche » martèlent-ils.
Pour Félix Adégnika c’est une évidence que dans les milieux lacustres du Bénin, l’impact soit encore plus prononcé. « Ce n’est déjà pas facile dans un milieu qui n’a pas de spécificité géomorphologique, mais quand on en rajoute, comme dans les milieux lacustres, ça devient un peu plus compliquer. ».
Félix Adégnika, expert eau, hygiène et assainissement au Bénin
Pour mieux apprécier l’impact, fait-il remarquer, à l’échelle d’un ménage, « chaque épisode mobilise la famille sur plus d’une semaine. Les frais de santé, la maman qui ne pourra plus faire autre chose, la tension au foyer… On perd beaucoup d’argent. » Or, poursuit-il, au Bénin, « à cause du cadre de vie qui n’est pas sain, à cause du manque d’hygiène les enfants de moins de cinq ans font environ cinq épisodes de diarrhée chaque année ». La moyenne selon l’organisation mondiale de la santé est de 3 épisodes diarrhéiques par an chez les enfants de moins de trois ans. « Dans les pays à faible revenu, les enfants de moins de 3 ans souffrent en moyenne de 3 épisodes diarrhéiques par an. Chacun de ces épisodes les prive des éléments nutritifs nécessaires à leur croissance. » peut-on lire dans une publication de l’OMS sur son site officiel.
Prévenant que la valeur des pertes pourrait être bien plus, les experts ont évalué la facture économique du manque d’hygiène au Bénin en tenant compte des coûts des flambées épidémiques, des coûts funéraires, les coûts des soins et produits de santé ainsi que d’autres.
Dans un point sur la situation publiée en mars 2020 sur son site, l’UNICEF estime que les défis en matière d’hygiène et d’assainissement restent grand en dépit des efforts consentis pour l’approvisionnement en eau potable. « Si des progrès remarquables ont été enregistrés en matière d’accès à l’eau potable, dont la couverture atteint désormais 77 pour cent en milieu urbain et 66 pour cent en milieu rural, des améliorations marginales ont été réalisées en matière d’assainissement. Les disparités d’une localité à une autre persistent et plus de la moitié de la population n’a pas accès aux services d’assainissement améliorés ».
En guise d'état des lieux note l’organisation, « 10 enfants continuent de mourir chaque jour, 90 pour cent de ces décès sont dus à l’ingestion d’eau contaminée et au manque d’installations sanitaires hygiéniques communautaires ». Aussi, relève l’Unicef, « Au niveau national, plus d’un ménage sur deux (54 pour cent) n’utilisent pas de toilettes et défèquent encore à l’air libre (brousse/ champs) : 77 pour cent en milieu rural contre 36 pour cent en milieu urbain. Sept enfants sur dix ont leurs matières fécales qui ne sont pas évacuées de façon hygiénique ».
Une charge trop lourde pour les populations
Pour arriver à bout de la défécation à l’air libre, d’après le water and sanitation rapport, il aurait fallu « la construction et l’usage de moins de 1 million de latrines ». En 2020, soit huit ans après, le pays est encore loin du compte. Le pays n’a atteint que « 42,5% de taux d'accès des ménages aux ouvrages adéquats d’évacuation des excréta » contre un objectif de 60 % soit un écart de -17% selon les données de l’Annuaire des statistiques sanitaires 2020.
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