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Hygiène et cadre de vie : "secret de couvent" à Guézin au Bénin

Hygiène et cadre de vie : "secret de couvent" à Guézin au Bénin

Diarrhée, choléra, paludisme, infections gastro-intestinales… Au Bénin, le manque d’hygiène fait des dégâts. Dans les villages lacustres et semi-lacustres comme Guézin et Sô-Ava où les infrastructures pour l’assainissement et l’hygiène de base font défaut, les populations se sentent abandonnées. Enquête dans les lieux où, en absence de latrines et de dépotoirs, les ordures et les matières fécales vont dans le lac.

Diarrhée, choléra, paludisme, infections gastro-intestinales… Au Bénin, le manque d’hygiène fait des dégâts. Dans les villages lacustres et semi-lacustres comme Guézin et Sô-Ava où les infrastructures pour l’assainissement et l’hygiène de base font défaut, les populations se sentent abandonnées. Enquête dans les lieux où, en absence de latrines et de dépotoirs, les ordures et les matières fécales vont dans le lac.

hygiene-cadre-vie-guezin-benin-secret-couventSituation critique d'hygiène et d'assainissement à Guezin

Innocent a environ 10 ans. Par cette fin de matinée du mardi 07 septembre, c’est le moment pour lui de se libérer du trop-plein dans son ventre.  Il s’avance sur des planches superposées en guise de passerelle menant à des cachettes érigées en latrines avec ouverture sur le lac. Courbé sur ses genoux, la culotte rabaissée, du haut de l’amas de planches prêt à s’écrouler, il envoie de dures déjections s’échouer dans l’eau.

Au pied du ponceau, se trouve un tas d’ordures en bordure du lac. C’est là que le petit garçon arrache papier et sachet pour se nettoyer la voie anale avant de remonter sa culotte et disparaître sous le regard imperturbable de quelques jeunes hommes assis à l’ombre de l’auvent d’une maison à moins de quinze mètres du lieu d’aisance à ciel ouvert. 

Loin d’être un geste banal d’un enfant, cette scène est le quotidien des habitants de Guézin, qui végètent dans l’insalubrité.

Verdâtre par endroits, grisâtre par ailleurs, le sol gorgé de flaques d’eau insalubre ; des tas d’ordures près des habitations et du lac, des déjections d’animaux en divagation et un festival de mouches font, d’un quartier à un autre, l’envers du décor subliminal qu’offre la vue de loin de ce village semi-lacustre.

La vie sans latrines et sans dépotoirs

Accessible par une seule piste à partir de la route inter-Etat Cotonou-Lomé, Guézin se niche sur des îlots. A l’intérieur, des maisons entrelacées et connectées par d’étroits couloirs de circulation exclusivement piétons.  Si pour des enfants comme Innocent, aller au besoin peut se faire en deux, trois, quatre mouvements, pour les adultes, notamment les femmes, c’est une équation difficile à résoudre au quotidien. Atchognon Parfaite dite Mme Adjigbé, Kassa Monique et Akpa Léocardie sont trois mères de familles qui connaissent le calvaire de la vie sans latrines.

hygiene-cadre-vie-guezin-benin-secret-couventSituation critique d'hygiène et d'assainissement à Guezin

« Parler de comment une femme se débrouille pour aller à la selle chez nous ici, c’est un secret de couvent. On ne peut pas tout expliquer », lance Kassa Monique. Pouffant de rire, cette habitante du quartier Donhouinou-Doto éprouve de la gêne à décrire ce qu’elle vit quand le besoin physiologique de la défécation la prend. « C’est difficile pour nous les femmes de vivre dans ces conditions », assure-t-elle.

C’est également dans le lac que les adultes font leurs besoins. Pour se mettre à l’aise, ils doivent se déplacer à une certaine distance des habitations au moyen des canoés.  Ayiwahoun Dagbo Augustin, notable et 1er conseiller local au quartier Donhouinou évoque aussi l’absence de lieux d’aisance. « A Donhouinou et Gbadou, nous souffrons de manque de latrine. Quand le besoin se fait sentir, c’est difficilement qu’on va à la selle. Il faut les canoés. Quand tu n’as pas de pirogue, le temps d’aller en prêter, le caca peut te honnir ».

Face à cette nécessité de "petit coin", de nombreux efforts des populations pour s’en doter se sont révélés vains. Des souscriptions volontaires ont été mobilisées avec le soutien d’associations locales de développement pour construire des latrines. L’infrastructure réalisée à plus d’un demi-million de franc CFA n’est plus praticable depuis la dernière crue qui a fait d’énormes dégâts à Guézin au mois de juin 2021.

Sur les lieux, on aperçoit l’infrastructure sur pilotis distante de la rive à une dizaine de mètres. « Les latrines qui sont derrière ont été octroyées à Guézin Donhouinou par deux associations. Récemment avec la crue du lac Ahémé au mois de juin 2021, le pont qui mène aux latrines a été endommagé. Du coup, les populations ont du mal à aller sur ces latrines. C’est le seul lieu d’aisance dans le village », montre avec pincement au cœur, Elysée Dossou, enseignant natif de Guezin Donhouinou.

« On a fait l’effort de construire des latrines. On a dépensé près de 700 000 à 800 000 F CFA avant de réaliser des latrines et un pont, mais, après la dernière crue, le pont s’est effondré. Faute de moyens financiers, personne n’a encore réparé ça. Plus de trois mois qu’on souffre de ça. On a informé les cadres du village, la réponse tarde à venir », a ajouté le conseiller local Ayiwahoun Dagbo Augustin.

Depuis l’effondrement de la passerelle, témoigne Parfaite Atchognon, le calvaire des femmes s’est accentué. « Actuellement, nous empruntons la barque pour aller nous mettre à l’aise sur le lac », commence-t-elle par narrer avant de s’aviser : « Laissez ce côté ! En cas de diarrhée, on est obligé d’user d’un pot pour déféquer. C’est des détails qu’on ne peut pas vous dire. C’est pour ça qu’on vous parle de secret de couvent ».

Tout près de l’infrastructure endommagée à Donhouinou et au quartier Gbadou, on retrouve également des vestiges de latrines en matériaux définitifs. Défectueuses et abandonnées, apprennent les habitants, ces latrines n’ont pas été utilisées parce que n’ayant pas été réalisées dans les normes idoines pour un milieu semi-lacustre comme Guézin.

Dépourvu de lieux d’aisance, Guézin n’a non plus de dépotoir ou de site de traitement des déchets. Réceptacle de matières fécales, le lac est aussi, le plus souvent, réceptacle d’ordures.  « L’autre problème que nous avons ici à Guézin, c’est la gestion des déchets humains et ménagers. Déjà à Guézin, les espaces habitables sont restreints et il n’y a pas de dépotoir pour accueillir ces déchets. Le lac devient un réceptacle de toute sorte de déchets. Sachet plastiques, ordures ménagères, matériels électroménagers usagés …», relève Elysée Dossou.

Pour l’entretien des ruelles aujourd’hui délaissé au bon vouloir de chaque habitant, une initiative conduite par une organisation non gouvernementale avait mobilisé les femmes qui s’occupaient du balayage dans les quartiers. Les ordures amassées pendant les campagnes de salubrité, apprennent les femmes qui y ont participé, étaient brûlées ou enfouies dans le sol.

Faute de financement, les campagnes de salubrité initialement prévues pour durer trois ans ont cessé au bout d’une année et chacun s’occupe de sa concession. Lorsqu’elles ne les brûlent pas, ou ne les enfouissent pas dans le sol ou jeter dans le lac, les femmes ont un dépotoir sauvage sur un îlot inhabité appelé Gbadji dans le quartier de Zinkpanou. Sur place, on retrouve quelques déchets au milieu de la broussaille.  Beaucoup seraient déjà partis au fond du lac.

« Sur le Gbadji de Zinkpanou, les populations viennent déposer les ordures. Elles sont obligées de venir déposer les ordures ici parce qu’il n’y a pas de services de gestion des ordures. Une fois déposées, les ordures se retrouvent peu à peu dans le lac », apprend, Idelphonse Zinsou l’apprenant qui nous y a conduit à bord d’une pirogue.

Réalité partagée

Guézin n’est pas un cas isolé. Des publications et des recherches relatent les cas d’autres villages lacustres à l’instar de Sô-Ava, dans le département de l’Atlantique où « la dégradation de l’environnement affecte la santé avec une incidence directe et négative sur le bien-être humain » comme le souligne l’environnementaliste et journaliste spécialiste des questions d’hygiène et assainissement Fulbert Adjimehossou.

hygiene-cadre-vie-guezin-benin-secret-couventSituation critique d'hygiène et d'assainissement à Guezin

Dans un mémoire de fin de formation pour l’obtention en décembre 2020, de son Master en Environnement, Santé, et Développement Durable, il s’est accentué sur les problèmes d’assainissement de base à Vekky, le plus grand arrondissement de la cité lacustre de Sô-Ava.

Dans la commune relève le jeune chercheur et journaliste, « les modes de gestion des eaux usées, des déchets humains et ménagers ne sont pas sains. ». Son constat est soutenu par les données du Plan de développement communal (PDC Sô-Ava 2016 -2020).  « Seulement 4,5 % des ménages de la commune disposent d’infrastructures d’assainissement. Sur 100 ménages, à peine 5 disposent de latrines.(…) Quant aux infrastructures de gestion des déchets solides ménagers et biomédicaux, elles sont quasi inexistantes », retrace le document qu’il cite.

Dans ces milieux à risques, relève aussi un draft du plan d’endiguement du choléra 2017-2021 au Bénin, on note une « absence de pratiques d’hygiène favorables à la préservation de la qualité de l’eau » ; l’« absence d’une politique d’occupation des sols favorable à l’écoulement naturel des eaux pluviales ». Spécifiquement indique le document dont Banouto a obtenu copie, il y a aussi  l’« absence d’une alternative durable pour les installations sanitaires dans les zones à risques lacustres comme Sô-Ava et les Aguégués ».

Au plan national, les résultats de l’enquête démographique et de santé (EDSB V) réalisés en 2018 et repris dans l’annuaire des statistiques sanitaires 2020 indiquent que 54 % des ménages pratiquent la défécation à l’air libre. La proportion de ménages avec ce type d’évacuation des excréta est plus grande selon le milieu de vie. Dans les villages, rapporte le ministère de la santé dans son annuaire 2020 des statistiques sanitaires, 70,2% des ménages pratiquent la défécation à l’air libre contre 34,8% en milieu urbain.

NB: Cet article est réalisé dans le cadre du projet "Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l'eau et la santé", qui bénéficie de l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et ODD TV.

1 commentaire

1 commentaire

Le Béninois
il y a 3 ans
Merci à Banouto pour ce travail. j'ai pris du plaisir à lire cet article malgré la répugnance du sujet. Courage à votre équipe.
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