DÉCISION DCC 24-001 DU 04 JANVIER 2024
La Cour constitutionnelle,
Saisie par une requête en date à Cotonou du 15 novembre 2023, enregistrée à son secrétariat le 20 novembre 2023 sous le numéro 2128/304/REC-23, par laquelle monsieur Codjo G. GBEHO, domicilié au lot 3672, quartier Akogbato, Cotonou, tél. 67 81 06 70, courriel : [email protected] , forme un recours pour dysfonctionnement des institutions de la République à l'occasion du parrainage des candidats à l'élection présidentielle de l'année 2026 ;
VU la Constitution ;
VU la loi n°2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ; Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Cossi Dorothé SOSSA en son rapport ;
Après avoir délibéré,
Considérant qu'au soutien de son recours, le recours expose que l'article 153-1, alinéa 1er, de la Constitution dispose que « à titre d'élections générales, sont organisées dans une même année électorale, les élections législatives et communales simultanément, puis l'élection du Président de la République… » ;
Qu'il relève, qu'il est prévu, d'une part, à l'article 153-2, alinéa 1er, de la même loi fondamentale que « les élections couplées, législatives et communales, sont organisées le deuxième dimanche du mois de janvier de l'année électorale… », soit le dimanche 11 janvier 2026, et, d'autre part, à l'article 153-2, alinéa 2, que « …les députés élus à l'Assemblée nationale entrent en fonction et sont installez le deuxième dimanche du mois de février de l'année électorale… », soit le dimanche 8 février 2026 ;
Qu'il développe qu'aux termes de l'article 153-2, alinéa 3, de la Constitution, « … les conseillers communaux élus entrent en fonction et sont installés entre le premier et le troisième dimanche du mois de février de l'année électorale », soit entre le dimanche 1er février et le dimanche 15 février 2026 ;
Qu'il ressort de l'article 153-3, alinéa 1er, que « l'élection du Président de la République est organisée le deuxième dimanche du mois d'avril de l'année électorale… », soit le premier tour, le dimanche 12 avril 2026 ; Que d'un autre côté, il rappelle que l'article 44 de la Constitution, dernier tiret dispose, que « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République ou de vice-président de la République.
s'il n'est dûment parrainé par des élus dans les conditions et suivant les modalités fixées par la loi » ;
Que le relèvement aussi qu'en application des dispositions constitutionnelles auxquelles il s'est référé, l'article 132 de la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral dispose, en son huitième tiret que « Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République ou de vice-président de la République s'il n'est dûment parrainé par un nombre de députés et/ou maires correspondant à au moins 10% de l'ensemble des députés et des maires » ;
Qu'il en déduit que les actes de parrainage, obtenus dans les conditions prévues par le code électoral, comptent parmi les pièces du dossier de candidature dont la régularité et la complétude sont appréciées par la Commission électorale nationale autonome (CENA) à la date du dépôt de candidature ;
Qu'à ce sujet, l'article 135 du code électoral précise que « Les dépôts de candidature sont faits cinquante (50) jours avant l'ouverture de la campagne électorale pour le premier tour du scrutin… », soit le jeudi 5 février 2026 ;
Qu'il conclut que «1°) Les députés en mesure de parrainer les candidats à l'élection présidentielle de 2026 sont ceux de la 9ème législature dont les mandats sont politiquement échus puisque l'élection législative en vue de leur remplacement aurait déjà eu lieu . Certains parmi eux auraient ainsi à délivrer le parrainage alors même qu'ils auront déjà perdu politiquement leur qualité de député et seront à 72 heures de l'installation de leurs successeurs ;
2°) Les députés qui seront élus le 11 janvier 2026 ne pourraient être habilités à parrainer les candidats à l'élection présidentielle de 2026, le dépôt des dossiers pour cette élection devant être clôturé le jeudi 5 février 2026, avant que ceux-ci entrent en fonction et installé le 8 février 2026.
3°) A la date de dépôt des candidatures à l'élection présidentielle le 5 février 2026, seuls les maires élus diligemment à la suite de la première vague d'installation des conseillers communaux et municipaux le 1er et le 5 février seront en mesure de délivrer leur parrainage tandis que dans les autres communes, les nouveaux élus communaux ne pourront le faire, faute d'être installés au même moment que les premiers, étant considéré qu'il n'est pas envisageable que les préfets soient en mesure d' installer tous les conseillers communaux et municipaux entre le février et le 5 2026, de sorte que le régime de parrainage varie d'une situation contextuelle à l'autre, en rupture de l'égalité de tous devant la loi : parraineront les nouveaux maires dans certaines communes, les anciens maires dans d'autres. » ;
Considérant qu'en réponse à cette requête, le président de l'Assemblée nationale, par l'organe du secrétaire général administratif de l'institution, admet l'effectivité et la pertinence des difficultés soulevées par le solliciter et inviter la haute Juridiction à user de sa perspicacité habituelle pour apporter la solution idoine en vue du bon fonctionnement de la République, la garantie de l'État de droit et de la démocratie ;
Quant au Président de la République, il fait observer, par le secrétaire général du Gouvernement, que le soulève a soulever un problème réel et sérieux et appelle à la sagacité de la Cour pour y apporter une solution adéquate ;
Qu'enfin, le président de la CENA, par correspondance en date du 03 janvier 2024, affirme s'approprier les motivations de la requête dont il soutient la pertinence et le bien-fondé ;
Qu'il précise qu'une revue de plusieurs autres dispositions du code électoral est nécessaire en vue d'une meilleure organisation des prochaines élections ;
Vu les articles 3, alinéa 3, 26 alinéa 1er, 49, 121, 122, 153-2, 157-1, 157-2 de la Constitution ;
Sur la recevabilité du recours
Considérant qu'aux termes de l'article 3, alinéa 3 de la Constitution, « toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraire à ces dispositions sont nulles et non avenues. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels. » ;
Que l'article 122 de la Constitution énonce, « tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité apparaît dans une affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu'à la décision de la Cour Constitutionnelle qui doit intervenir dans un délai de trente jours. » ;
Que ces deux dispositions déterminant et délimitent les conditions, l'objet et les modalités selon lesquelles un citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle ;
Qu'ainsi, un citoyen ne peut agir devant la Cour, par voie d'action ou d'exception, que lorsqu'il présume qu'une loi, un texte et ou un acte est contraire à la Constitution ;
Considérant qu'en l'espèce, le solliciter la mise en œuvre du pouvoir régulateur de la Cour à l'effet d'enjoindre à l'Assemblée nationale de modifier certaines dispositions du code électoral ;
Or, le pouvoir régulateur ne peut être exercé par la haute Juridiction que lorsqu'elle est saisie par un membre d'une institution de la République ou d'un pouvoir public, soit parce que cette institution ou ce pouvoir est objet de dysfonctionnement, soit en raison d'un conflit positif ou négatif d'attributions entre deux ou plusieurs institutions de l'État ;
Qu'il est acquis au dossier que le recours n'est pas membre d'une institution de la République ou d'un pouvoir public ;
Qu'en outre, le recours n'invoque pas la violation d'une disposition constitutionnelle, mais dénonce plutôt une incohérence entre les dispositions du code électoral et celles de la Constitution relative à l'élection présidentielle ;
Qu'il s'ensuit que ni le recours ni son recours ne répond aux exigences de la Constitution ;
Qu'il y a donc lieu de déclarer sa requête irrecevable ;
Sur la saisine d'office de la Cour
Considérant que l'article 121 de la Constitution dispose que « La Cour constitutionnelle, à la demande du Président de la république ou de tout membre de l'Assemblée Nationale, se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation.
Elle se prononce d'office sur la constitutionnalité des lois et tout texte réglementaire censé porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Elle statue plus généralement sur les violations des droits de la personne humaine et sa décision doit intervenir dans un délai de huit jours. » ;
Que l'article 157-1 de la Constitution prescrit : « En vue de l'organisation des élections générales en 2026, le mandat des conseillers communaux élus en 2020, à terme, la date d'entrée en fonction des conseillers communaux élus en 2026 à 00 H. » ;
Quant à l'article 157-2 de la même Constitution, il prévoit : « En vue de l'organisation des élections générales en 2026, le mandat des députés élus en 2023 à terme, la date d'entrée en fonction des députés élus. en 2026 à 00 H. » ;
Considérant qu'aux termes respectivement des alinéas 2 et 3 de l'article 153-2 de la Constitution, « les députés élus à l'Assemblée nationale entrent en fonction et sont installés le deuxième dimanche du mois de février de l'année électorale… », « … les conseillers communaux élus entrent en fonction et sont installés entre le premier et le troisième dimanche du mois de février de l'année électorale. » ;
Qu'il résulte de la lecture combinée de ces dispositions que le mandat des députés élus en 2023 expire le 08 février 2026 et celui des conseillers élus en 2020, du 1er au 15 2026, suivant le calendrier de l'installation de leurs successeurs ;
Quant à l'article 135 du code électoral, il indique que « les dépôts de candidature sont faits cinquante (50) jours avant l'ouverture de la campagne électorale pour le premier tour du scrutin. » ;
Qu'enfin, l'article 8 du code précise que « l'élection du président de la République est organisée le deuxième dimanche du mois d'avril de l'année électorale. » ;
Qu'il s'en infère que le premier tour de l'élection présidentielle a lieu le dimanche 12 avril 2026 et que les candidats ont jusqu'au 05 février 2026 pour déposer leurs dossiers à la CENA ;
Qu'au nombre des exigences prévues par les articles 44 de la Constitution et 132 du code électoral, pour valablement constituer le dossier de candidature, figure le parrainage d'au moins 10 % de l'ensemble des députés et des maires ;
Que le parrainage étant requis des députés et maires en fonction avant la clôture du dépôt des dossiers de candidature, les députés issus des élections législatives de 2023 sont tous en droit de parrainer les candidats à l'élection présidentielle de 2026, ce qui n'est pas le cas pour tous les maires ;
Qu'en effet, seuls les maires issus des élections communales de 2020 et ceux élus lors des élections générales de 2026 et installés entre le 1er et le 05 février 2026 pourront procéder au parrainage ;
Qu'une telle situation crée manifestement une rupture d'égalité entre les maires dans la mesure où certains maires issus des élections communales de 2020 ne seraient plus en droit de parrainer les candidats à l'élection présidentielle en 2026 ;
Que l'application du code électoral, tel quel, pour les élections générales de 2026, porte atteinte au principe d'égalité ;
Considérant que l'égalité entre les citoyens est un droit fondamental, prévu par l'article 26 de la Constitution ;
Qu'il convient que la Cour se prononce d'office ;
Sur la restauration de l'égalité
Considérant que l'article 26, alinéa 1er, de la Constitution dispose que « L'État assure à tous l'égalité devant la loi, sans distinction d'origine, de race, de sexe, de religion, d'opinion politique ou de position sociale.» ;
Qu'aux termes de l'article 132 du code électoral, « Nul ne peut être candidat aux fonctions de président de la République ou de vice-président de la République s'il :
- n'est de nationalité béninoise de naissance ou acquise depuis au moins dix ans ;
- n'est de bonne moralité et d'une grande probité ;
- ne jouit de tous ses droits civils et politiques ;
- n'est âgé d'au moins 40 ans révolus et au plus 70 ans révolus à la date d'entrée en fonction ;
-a été élu deux (02) fois président de la République et a exercé comme tel deux mandats ;
- n'est présent en République du Bénin lors du dépôt de sa candidature ;
- ne jouit d'un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois (03) médecins assermentés désignés par la Cour constitutionnelle ;
- n'est dûment parrainé par un nombre de députés et/ou de maires correspondant à au moins 10% de l'ensemble des députés et des maires. » ;
Considérant que la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral, votée par l'Assemblée nationale le 13 novembre 2019, a été certes déclarée conforme à la Constitution par la décision DCC 19-525 du 14 novembre 2019, mais l 'autorité de la chose jugée attachée aux décisions de la Cour, en application de l'article 124, alinéa 2, de la Constitution, ne s'oppose pas à un examen a postériori de la loi ayant préalablement fait l'objet d'un contrôle a priori, si celui-ci a laissé subsister une atteinte grave à un droit par la Constitution ;
Considérant qu'en l'espèce, la lecture croisée des dispositions du code électoral révèle, qu'à l'occasion des élections générales de 2026, tous les maires ne seront pas, à la date du 05 février 2026, placés dans la même situation. juridique au regard du parrainage, prévu par l'article 135 du code électoral pour la clôture du dépôt des candidatures ;
Que par ailleurs, aucune disposition du code électoral ne détermine la période durant laquelle le parrainage doit intervenir ;
Que le silence du législateur sur cette période décisive du processus de l'élection du duo Président de la République et vice-président de la République, laisse la possibilité à l'autorité de tutelle des maires, de décider de ceux qui pourront ou non parrainer ;
Que concrètement, les nouveaux maires installés avant le 05 février 2026 aura vocation à parrainer, au même titre que les anciens maires dont les successeurs n'auront pas encore été désignés ;
Qu'inversement, les maires dont les successeurs auront pris fonction avant cette date perdront le droit de parrainer ;
Qu'il s'ensuit une rupture d'égalité entre maires à laquelle il peut être remédié, sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée de la décision DCC 19-525 du 14 novembre 2019, si la période du parrainage était définie de trier à mettre tous les maires dans la même situation juridique ;
Que dès lors, la représentation nationale est invitée à procéder à la modification du code électoral pour rétablir l'égalité entre les maires ;
Sur l'articulation des articles 109 et 142 du code électoral avec l'article 49 de la Constitution
Considérant que l'article 49 de la Constitution dispose : « La Cour constitutionnelle veille à la régularité du contrôle et en constate les résultats.
L'élection du duo Président de la République et vice-président de la République fait l'objet d'une proclamation provisoire.
Si aucune contestation relative à la régularité des opérations électorales n'a été déposée au greffe de la Cour constitutionnelle par l'un des candidats dans les cinq (05) jours de la proclamation provisoire, la Cour constitutionnelle déclare le duo Président de la République et vice-président de la République définitivement élu.
En cas de contestation, la Cour constitutionnelle est tenue de statuer dans les dix (10) jours de la proclamation provisoire ; sa décision emporte proclamation définitive ou annulation de l'élection.
Si aucune contestation n'a été soulevée dans le délai de cinq (05) jours et si la Cour constitutionnelle estime que l'élection n'était entachée d'aucune irrégularité de nature à en entraîner l'annulation, elle proclame l'élection du duo Président de la République et vice-président de la République.
En cas d'annulation, il est procédé à un nouveau tour de contrôle dans les quatre (14) jours de la décision. » ;
Qu'aux termes de l'article 109 du code électoral, « En cas d'annulation de l'élection du président de la République, il est procédé à l'organisation d'un nouveau scrutin dans les quatorze (14) jours suivant la décision. » ;
Que s'agissant de la même élection, l'article 142, alinéa 6 dudit code énonce : « En cas d'annulation, il est procédé à un nouveau tour de contrôle dans les cinq (05) jours de la décision. » ;
Qu'il en résulte une contrariété entre le délai prévu à l'article 142 du code électoral et celui fixé aux articles 49 de la Constitution et 109 du code électoral ;
Or, il incombe au législateur d'exercer pleinement sa compétence en adoptant des lois claires, intelligibles et accessibles afin de prémunir, conformément au préambule de la Constitution, les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou le risque d'injustice ou d'arbitraire ;
Que dès lors, il y a lieu d'ordonner l'articulation et la mise en conformité des dispositions de l'article 142 du code électoral avec celles de l'article 49 de la Constitution ;
Conséquence,
Article 1er : Dit que la requête de monsieur Codjo G. GBEHO est irrecevable.
Article 2 : Se prononce d'office.
Article 3 : Dit que l'Assemblée nationale est invitée à modifier le code électoral pour, d'une partie, rétablir l'égalité du pouvoir de parrainer à l'égard de tous les maires et, d'autre part, rendre conforme à l 'article 49 de la Constitution, les dispositions de l'article 142, alinéa 6 de la loi n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral.
La présente décision sera notifiée à monsieur le Président de la République, au président de l'Assemblée nationale, au président de la Commission électorale nationale autonome (CENA), à monsieur Codjo G. GBEHO et publiée au Journal officiel.
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KAGNONSI Justin
il y a 1 an