Août 2021. Léonie, habitante de Dékanmey, donnait naissance à son deuxième enfant dans des conditions particulières. « Je me rendais au centre de santé d’Avagbodji (un arrondissement de la commune voisine des Aguégués, ndlr). J’avais commencé le travail depuis la veille. J’avais perdu beaucoup de temps au départ de Dékanmey. Le bébé ne pouvait pas attendre. Il est né dans la pirogue avant qu’on n’atteigne la maternité », raconte la jeune mère.
S’il n’est pas courant d’accoucher dans une pirogue, l’expérience de Léonie est loin d’être un cas unique à Dékanmey. Dans cette localité enclavée de Sô-Ava, donner naissance dans une barque n’est pas un fait exceptionnel. Relai communautaire de la localité, Nathaniel O. Godonou en a été témoin. « J’étais dans une barque avec des passagers dont une femme enceinte. Subitement, cette dernière s’est mise à gémir. Elle a pu accoucher grâce à l’aide d’une autre passagère. On s’est rendus à Avagbodji d’abord où la maman et le nouveau-né ont été pris en charge. La pirogue a été nettoyée et on a pu poursuivre notre trajet », témoigne-t-il, encore ému.
Ainsi va la vie des femmes à Dékanmey où l’accès équitable à des soins de santé de qualité reste un défi entier. Alors qu’en son article 8, la constitution garantit à tous les Béninois « l’égal accès à la santé » sans oublier que le Bénin a pris des engagements internationaux et nationaux à travers de nombreuses initiatives pour la survie de la mère, du nouveau-né et de l’enfant.
L’offre sanitaire demeure encore faible dans la commune. Pour plus de 118.000 habitants (d’après les données du quatrième recensement général de la population et de l’habitation de 2013), Sô-Ava dispose de neuf formations sanitaires réparties dans cinq arrondissements.
Seulement que Dékanmey, érigé en arrondissement depuis 2013 à la faveur de la loi n° 2013-05 du 15 février 2013 portant création, organisation, attributions et fonctionnement des unités administratives locales en République du Bénin, n’est pourvu, à ce jour d’aucun centre de santé.
Pendant de nombreuses années, les habitants de l’arrondissement ont eu recours aux services du centre de santé « Mahudjlo », annexe du Centre médical (CM) Saint Joseph de Sô-Tchanhoué. Selon les explications de l’actuel directeur Aurèle Aïtchédji, depuis une décennie, l’annexe est passée aux mains des Sœurs de l’inculturation de l’Evangile qui voulaient en faire un dispensaire. Avec les réformes engagées dans le secteur de la santé au Bénin, le centre « Mahudjlo » finira par mettre la clé sous le paillasson, parce que ne disposant pas des documents requis, à en en croire Nathaniel O Godonou.
Pour bénéficier de soins de santé, les populations de Dékanmey doivent se rendre dans les centres de santé environnants, une épreuve s’apparentant à un véritable casse-tête, le déplacement s’effectuant principalement en pirogue ou avec des barques motorisées. En raison de la pandémie de Covid-19 et du coût du carburant sur le marché, les tarifs du transport ont été revus à la hausse, au grand dam des populations.
« Il est devenu compliqué pour les femmes enceintes de se rendre à la consultation prénatale. Avant, on dépensait 500 francs CFA. Aujourd’hui, on peut dépenser jusqu’à 1500 francs pour un aller-retour », se plaint Adeline Oké. A cause des difficultés de déplacement, le calendrier vaccinal des enfants est souvent perturbé, ajoute Adeline Oké, elle-même maman d’un garçon de quelques mois. « Il nous arrive de perdre tellement de temps qu’on arrive au centre de santé au moment où les équipes ont déjà plié bagage. Dans ce cas, on dépense dans le vide et certaines mamans préfèrent rester chez elles ».
Les moyens du bord pour parer au plus pressé
L’iniquité dans l’accès à la santé n’épargne pas les enfants de Dékanmey. A cause de la distance et des ressources financières limitées, quand ils sont malades, les parents « essaient de les soigner avec des produits achetés auprès des vendeuses de médicaments » qui s’érigent en médecin-pharmacien, mettant doublement en danger la vie des enfants.
Pour parer au plus pressé, certains parents se débrouillent avec les moyens du bord. « Parfois, leur état est si grave qu’ils perdent connaissance ou font des crises. On leur frictionne alors le corps avec des baumes mentholés », raconte Clémence Houénou. Lorsque la maladie prend le dessus et qu’elles n’ont d’autre choix que de les conduire dans un centre de santé, les mères entament alors une course contre la montre pour la survie de leurs enfants. « Le temps de trouver une barque pour les emmener dans un centre de santé, une heure à 1 heure et demie peuvent s’écouler », ajoute-t-elle.
« Le pire », assure Nathaniel O. Godonou, c’est lorsque les urgences surviennent la nuit. « Quand nous en avons les moyens, nous préfinançons le déplacement du patient. En pleine navigation, le moteur peut nous lâcher, parfois c’est la jacinthe d’eau qui obstrue le chemin ».
A Dékanmey comme partout dans la commune de Sô-Ava, le paludisme figure en tête des maladies les plus courantes. Sa transmission est continue tout au long de l’année et touche surtout les enfants. « On reçoit des cas de paludisme, et surtout le paludisme grave. La tranche d’âge la plus rencontrée est celle des enfants de 0-5 ans. On reçoit aussi des femmes enceintes avec des densités assez élevées », souligne Dr Akouehou Olympiade la responsable du dispensaire CM Saint Joseph de Sô-Tchanhoué. Malheureusement, déplore Aurèle Aïtchédji, « ils viennent quand ça devient grave ».
Dans le cadre l’Initiative vaccination décentralisée (Ivd) mise en œuvre à titre pilote dans 5 communes dont Sô-Ava et appuyée par l’Usaid et Unicef-Bénin, Dékanmey a reçu en février 2019 une barque motorisée pour, entre autres fins, la prise en charge médicale rapide des enfants et des mères vers les centres de santé. L’essence devant faire fonctionner le moteur est à la charge des populations. Mais, constate avec amertume Dr Jean-Paul Batakou, médecin-chef de la commune de Sô-Ava, « cotiser de l’argent pour acheter le carburant est encore un problème », ce qui fait perdre du temps dans la prise en charge.
Pour Paul Dossanou, pêcheur à Anaviécomey, en améliorant l’accès des populations aux services de santé, la construction d’un centre sur les terres de Dékanmey permettra de résoudre une partie des problèmes pointés par le médecin-chef. «C’est une nécessité absolue pour nous, et surtout pour la survie de nos femmes et de nos enfants ».
La communauté veut jouer sa partition mais attend, pour ce faire, que l’Etat se décide. « On peut mettre des terres pour accueillir le centre. Nous sommes prêts à mettre la main à la pâte mais nous ne pouvons pas devancer l’Etat», martèle Nathaniel O. Godonou.
En attendant que se matérialise ce rêve, un comité composé de ressortissants de Dékanmey a vu le jour. Décidé à « prendre les choses en mains », ledit comité fait feu de tout bois pour trouver une solution rapidement. « Ils sont venus vers moi pour des conseils sur les voies administratives à suivre pour faire entendre leurs cris de détresse », explique Cyrille Logbo, ancien chef de l’arrondissement de Dékanmey. A ce jour, ajoute M. Logbo, un local social a déjà été trouvé et « un téléthon est lancé dans toutes les congrégations religieuses pour essayer de ''récolter '' un peu d’argent pour réfectionner le local ».
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Pepin Denakpo Miyigbena
il y a 3 ansPepin Denakpo Miyigbena
il y a 3 ansPepin Denakpo Miyigbena
il y a 3 ans