Des participants lors d'un atelier de Wanep
Attroupés, les uns prennent la bouillie, du toubani ou autres spécialités locales chez les vendeuses du coin. D’autres vont et viennent, chacun à son rythme. Certains, sur leurs engins arrivent des villages périphériques au centre-ville en feintant les crevasses du bitume décapé çà et là. Petit à petit, le marché commence par se remplir et la ville dégage une gaieté innocente avec les échanges autour des produits locaux de commerce : igname, maïs, sorgho, mil… Par ce matin d’harmattan du 14 novembre 2022 où la fraîcheur matinale cède la place à la chaleur déjà perceptible à 9h, heure locale, Tanguiéta est d’une candeur surprenante pour le Cotonois venu dans une ville dont le nom rime avec risque d’attaque terroriste depuis que ces mécréants ont commencé par se signaler après l’enlèvement de deux touristes français dans le parc Pendjari en 2019.
Ce n’est pas pour autant que la menace terroriste est absente des esprits. A quelques pas du marché, au niveau de l’arrondissement central, à l’invitation de la branche béninoise du réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (Wanep-Bénin), toutes les couches de la société sont mobilisées. Associations de jeunes, leaders religieux de diverses obédiences, regroupements de femmes, élus locaux et mêmes les chefs des commissariats des six arrondissements de Tanguiéta sont réunis dans le cadre d'une « formation des leaders communautaires pour le renforcement de la cohésion sociale et une paix durable ».
Plus qu’une formation, c’est une concertation de deux jours pendant laquelle tous se penchent sur la réalité de l’extrémisme violent, ses causes endogènes probables et les approches de solution pour éviter que Tanguiéta ne sombre dans la nébuleuse terroriste dans ses murs.
A quelques kilomètres de là, dans la commune voisine de Matéri, la ville vit avec la peur au ventre en raison des incursions terroristes qui se suivent depuis la première attaque enregistrée en décembre 2021. Ici, informent les autochtones, la circulation devient risquée à partir d’une certaine heure de la journée. « Il faut faire vite pour partir », conseille un officier selon qui après 18 heures, c’est risqué de circuler à travers la ville lorsqu’on n’est pas du milieu.
Des participants lors d'un atelier de Wanep
A Matéri comme à Tanguiéta, tous s’accordent à dire que la lutte contre le terrorisme n’est plus la seule affaire des hommes en uniforme. ONGs, citoyens, élus locaux, leaders religieux affichent une détermination à vaincre la menace terroriste et l’extrémisme violent identifiés comme ennemi public N°1.
« La question de sécurité n’est pas l’apanage des forces de l’ordre et de sécurité », soutient d’emblée El-hadj Zakari Boukary, maire de la commune de Tanguiéta dans un entretien à Banouto dans les locaux de la mairie où il tient régulièrement des séances avec plusieurs associations, organisations de jeunes, femmes et leaders religieux engagés dans la lutte contre l’extrémisme violent.
La bataille de l’opinion chez les jeunes
L'alliance ouest-africaine d'Al-Qaïda, connue sous le nom de Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), a déployé une stratégie dynamique de recrutement et d'influence dans le nord-ouest du Bénin. Les pasteurs, les jeunes chômeurs et les migrants figurent en bonne place parmi les groupes du département de l'Atacora qui risquent d'être ciblés par les efforts de recrutement, selon le ''Rapport analytique sur les groupes à risque dans le département béninois de l'Atakora''. Publié fin janvier 2023 par ELVA, une organisation à but non lucratif, ce document confirme des confidences faites à Banouto notifiant que les jeunes sont une des cibles privilégiées dans le recrutement des organisations extrémistes violentes (VEO) à Tanguiéta et Matéri.
« Des gens sont déjà très loin. Il y a des jeunes qui ont refusé d’aller à l’université et qui se sont fait enrôler par les groupes terroristes. Ce sont des jeunes béninois enrôlés dans les zones de Ndahonta, Taïacou…. Ils sont là pour servir de point d’information, de tout aux groupes terroristes. Au début, ce sont les combattants eux-mêmes qui venaient en ville chercher du carburant, mais la police a pu les inquiéter. Maintenant, ce sont ces jeunes enrôlés qui viennent faire le plein de leurs réservoirs et vont les ravitailler », confie un informateur inquiet.
D’après des informateurs et le rapport d’ELVA, les terroristes offrent de l’argent aux jeunes pour les convaincre et « exploitent délibérément le mécontentement local créé par les récentes réformes politiques du Bénin pour moderniser son industrie agro-pastorale et conserver le fragile écosystème du complexe Parc W-Arly-Pendjari ».
Face à cette situation, des jeunes se sont engagés à déconstruire le discours de recrutement des groupes armés terroristes et à convaincre leurs frères de renoncer ou ne pas rejoindre ces organisations d’extrémisme violent.
Estimant que les jeunes rejoignent les groupes terroristes par « ignorance » et appât du gain, Alain, jeune activiste du village de Tanougou situé à proximité du parc Pendjari a un discours particulièrement fort qu’il tient lors des séances de sensibilisation auxquelles il participe. « Je dis souvent aux jeunes comme moi, ''on va te mentir, te promettre de l’argent mais, à la fin, c'est ta vie qui est en danger. Ils finiront par te tuer. Soit, tu meurs dans une mission terroriste soit les chefs te tuent lorsqu’ils constatent que tu es un peu défaillant" ».
Salifou, jeune apiculteur fait partie des activistes de Tanguiéta. A Taïacou, son lieu de résidence, il est actif dans la sensibilisation. « On a fait une séance à l’arrondissement, on a mobilisé les chefs de villages, les conseillers et les jeunes pour leur donner des conseils. Depuis lors, je note que ça a changé. » Il ne compte pas arrêter son activisme et recherche des appuis « pour empêcher le terrorisme de s’installer chez nous ».
Les autorités communales font également des jeunes, leurs alliés dans la bataille de la sensibilisation. « Au niveau des jeunes, on a pu avoir deux à trois groupes qui se sont auto-organisés et ont même les encadrements de certaines ONGs à travers l’USAID. Ils ont entrepris d’organiser des séances de sensibilisation sur la paix et la cohésion sociale. Souvent, nous amendons leurs programmes et nous suivons avec eux ce qui se passe dans les villages », a indiqué le maire de Tanguiéta.
A Matéri, le maire Robert Wimbo Kassa a aussi pris des dispositions pour engager les organisations de jeunes ainsi que des élus locaux à la base afin d’éclairer la lanterne des populations, notamment des jeunes sur leurs contributions à la lutte contre l’extrémisme violent. « Avec l’aide du maire et des ONGs, la jeunesse s’informe sur le terrorisme et ses méfaits. (…) Toutes les fois, nous avons sensibilisé la jeunesse. A partir de l’exemple du Burkina, nous montrons que ce n’est pas une bonne pratique et que quelqu’un qui pense être en paix aujourd’hui peut ne pas l’être demain. », témoigne Dabime, porte-parole du groupe des jeunes ayant participé à la rencontre d’échanges et de réflexion sur la cohésion sociale et la paix de WANEP-Bénin dans l’enceinte de la mairie.
Des jeunes engagés qui s’adressent à leurs pairs pour contrer l’extrémisme violent, c’est une meilleure stratégie d’après Nicole Opossi, inspectrice des actions sociales et présidente de l’ONG Eclipse basée à Tanguiéta. « Une solution, c’est la paire éducation. Des jeunes qui parlent aux jeunes », soutient-elle. Pour espérer faire échec au recrutement des GAT, il faut « pouvoir toucher le cœur de ces jeunes -collaborateurs des terroristes- pour qu’ils se rendent compte qu’ils mettent leur pays à genoux, les amener à comprendre que ce qu’ils sont en train de faire, c’est embrasé tout le pays », pense-t-elle
Notables et leaders religieux à contribution
Qu’ils soient d’obédiences traditionnelles ou de croyances révélées, les leaders religieux jouent une partition dans le combat qui mobilise tout le monde.
« En tant que leader religieux, mon rôle c’est de sensibiliser, attirer l’attention sur l’importance de travailler ensemble par ces temps d’insécurité pour lutter contre le terrorisme. », explique un imam de Matéri après une concertation avec des leaders religieux d’autres confessions réunis par WANEP-Bénin pour réfléchir sur la lutte contre l’extrémisme violent.
Pendant les prêches, informe le leader islamiste, « on explique aux fidèles que les comportements qu’on voit avec les djihadistes ne sont pas les recommandations de l’Islam. Les djihadistes n’agissent pas pour propager l’Islam mais, pour défendre leurs intérêts personnels. »
Ce travail d’explication, à l’en croire, se duplique avec succès dans les hameaux. « Il y a beaucoup de changements, les gens qui pensaient que tous les islamistes sont les mêmes sont en train de comprendre que nous ne sommes pas les mêmes avec les extrémistes. On a vu beaucoup de parents parler à leurs enfants et leur expliquer que l’Islam n’est pas ce que prétendent les djihadistes pour qu’ils évitent de rejoindre ceux-ci croyant que c’est la même religion. »
Pour avoir lui-même été échaudé en 2021 par la menace djihadiste et fui Nadiagou, une localité à la frontière entre le Togo, le Burkina et le Bénin, l’Imam Alpha a compris l’enjeu et est devenu un activiste de la lutte contre le terrorisme...
« Ce jour-là, j'étais déjà à la mosquée à 17 heures quand l’information est venue de source anonyme. Celui qui fait la prière de 19 heures ne sort pas. À partir de 20 heures, si on trouve quelqu’un dans la rue, on le tue ! Le lendemain, j’ai fui. », témoigne le sexagénaire. « Depuis, presqu’à chaque fois que je dirige une prière, je fais un prêche sur la lutte contre le terrorisme pour sensibiliser la population ici à Tanguiéta. Parfois, je fais le tour à Materi et Cobly», témoigne-t-il priant « que Dieu protège et bénisse ceux qui aident à lutter contre l’extrémisme violent! »
Comme les musulmans, les leaders religieux chrétiens s’évertuent à la tâche. Emmanuel, pasteur des Assemblées de Dieu à Cotiakou, un autre arrondissement près du parc Pendjari, ne se lasse pas de prêcher la nonviolence à ses fidèles. « Je mets l’accent sur comment vivre en frères et sœurs, en famille et en communauté avec d’autres personnes qui ne sont pas de la même obédience religieuse que nous. Je me suis donné pour responsabilité d’informer ma communauté pour qu’il y ait véritablement la cohésion sociale et la paix. », a-t-il confié.
Le roi de Gouandé, notable de Matéri, pour sa part, a choisi la médiation comme mode de prévention de l’extrémisme violent. « Lorsqu’il y a des situations entre éleveurs et agriculteurs, nous assurons la médiation et s’il y a lieu, on les réfère vers d’autres chemins à suivre pour qu’il n’y ait plus de conflits ».
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