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Lutte contre le terrorisme au Bénin : dans le piège de la stigmatisation et des dénonciations abusives

Lutte contre le terrorisme au Bénin : dans le piège de la stigmatisation et des dénonciations abusives

Face au challenge d’un renforcement du dispositif sécuritaire au Bénin, les acteurs au premier plan de la question défendent de nouveaux concepts qui impliquent activement les populations à la base. L’on parle de plus en plus de « la police communautaire » et de « la coproduction de la sécurité ». Des voix déplorent des dérives.

Face au challenge d’un renforcement du dispositif sécuritaire au Bénin, les acteurs au premier plan de la question défendent de nouveaux concepts qui impliquent activement les populations à la base. L’on parle de plus en plus de « la police communautaire » et de « la coproduction de la sécurité ». Des voix déplorent des dérives.

voie-inter-etats-tanguieta-materi-burkinaVoie principale de Tanguiéta sur la route inter-etats Bénin-Burkina Faso

« Le gouvernement pense qu’il faut à notre pays, une police qui soit véritablement intégrée, une police au service de la population et une police communautaire qui puisse vivre avec la population, qui puisse vraiment mériter la confiance, et c’est ça la police républicaine. », a déclaré Alassane Séïdou, Ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique, reçu sur la télévision nationale ORTB à propos des réformes du Bénin pour faire face aux défis sécuritaires. 

« Désormais, au lieu de voir la population comme celui qui a seulement droit à la sécurité et l’Etat dans le rôle de celui qui a le devoir d’apporter la sécurité, nous verrons désormais le citoyen comme un acteur principal qui contribue désormais à la coproduction de cette sécurité. », a explicité le Cgp Enock Laourou, Directeur de la sécurité publique dans une interview à Golfe Tv diffusée en décembre 2022.

Sur le terrain, les officiers de police s’efforcent de traduire cela en réalité. « C’est une erreur de croire que ce sont seulement les policiers qui sont visés par les terroristes. Non ! L’intention des terroristes, c’est d’affaiblir les forces de sécurité publique avant d’atteindre la population. Puisque la population est vulnérable. Lorsque les terroristes et les individus armés rentrent dans un marché, qui peut leur résister ? », avise d’ailleurs le Capitaine Jacques Avassi, commissaire de l’arrondissement central de Tanguiéta insistant auprès des acteurs civils pour une franche collaboration dans la guerre aux organisations terroristes.   

En termes de contribution, les civils sont notamment sollicités dans le renseignement à tout instant. Dans les deux principales villes de l’Atacora faisant frontière avec le Burkina Faso où Banouto s’est rendu, plusieurs témoignages attestent de l’efficacité d'une co-production de la sécurité.  

Le maire de Tanguiéta informe que de nombreuses personnes suspectées de terrorisme ont été arrêtées grâce à la co-production de sécurité. « Aujourd’hui, quand vous voyez la dénonciation qui se fait, on sent vraiment que la co-production de la sécurité a vraiment pris. Tout ce qu’il y a eu comme arrestations dernièrement prouve que les gens ont vraiment travaillé. Les enquêtes ont permis de mettre la main sur un certain nombre d’individus à travers ce que nous avons donné comme information. (…). Même s’il y a des craintes de représailles, nous savons que ça a fonctionné.  C’est ce qui nous rassure ici que nous sommes en bonne posture pour lutter contre le terrorisme. », a fait savoir El-hadj Zakari Boukary.

De nombreux jeunes, des leaders religieux actifs dans le renseignement ont également fait des confidences sur leurs contributions dans des arrestations de personnes traduites devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) qui a la réputation de prononcer de lourdes peines au Bénin.

Dans le piège de la stigmatisation et des dénonciations abusives

Le ver, dit-on, est dans le fruit. La co-production de la sécurité avec une implication des acteurs civils se trouve prise au piège de la stigmatisation et des règlements de comptes. Un sentiment de persécution enfle au sein la communauté peulh souvent indexée comme soutien des organisations terroristes.

Dans un rapport de travail sur les menaces qui pèsent sur leur commune, un groupe de jeunes de Matéri a d’ailleurs évoqué « la stigmatisation et la discrimination ethnique ». D’après ces jeunes venus de différents arrondissements, « elles se manifestent par les rumeurs autour de certaines personnes appartenant aux autres ethnies en dehors des locuteurs du Biali, l’emprisonnement des innocents et les dénonciations arbitraires. »

Aux cours des travaux de réflexion sur la cohésion sociale, lors d’une formation organisée par WANEP-Bénin dans les communes de Matéri et Tanguiéta les 14, 15, 16 et 17 novembre 2022le débat sur la stigmatisation a failli mettre le feu auxpoudres dans les locaux de la mairie lorsqu’un élu local est sorti de ses gonds pour reprocher à tort à un représentant des éleveurs peulhs de se plaindre de l'anathème jeté sur sa communauté.

Activiste affiché de la lutte contre l’extrémisme violent à Matéri, un responsable des pasteurs peulhs apprend qu’en raison de la situation, les membres de sa communauté éprouvent beaucoup de peines.  « Il y a assez de difficultés du côté des éleveurs. Souvent, quand nos frères veulent amener des malades à l’hôpital, ils sont pris sur la voie. C’est plus de 03 à 04 personnes qui sont prises comme ça. », confie-t-il peiné.

« Il y a véritablement la stigmatisation dans notre zone parce que la plupart des personnes indexées, des personnes arrêtées, le grand nombre est d’ethnie peulh. Ça fait que partout dans la bouche des gens, ce qui ressort ''ce sont les Peulhs qui sont des terroristes, ce sont des étrangers qui sont des terroristes''. Si vous n’êtes pas Berba, si vous ne parlez pas la langue du milieu, on peut penser que vous êtes un terroriste », déplore Dr Nantèkoua Dabim, porte-parole des jeunes de Matéri.

En dehors de la communauté peulh, la stigmatisation prend des relents religieux visant les croyances musulmanes.  « Qui est en train de nous attaquer ? (...). Quand les ripostes tiennent à la hauteur, ceux qui tombent, à l’aune des corps ennemis retrouvés malheureusement sont sans pièce d’identité, mais on les identifie à travers leur religion, à travers leur ethnie assimilable à une religion…”, a analysé un élu local tenté de céder à la stigmatisation ethnico-religieuse. 

Nicole Opossi, activiste de Tanguiéta, s’inscrit en faux contre la tendance à indexer une communauté et une religion. « On met tout ça sur le cou de l’Islam, mais c’est nos frères qui sont avec eux. Celui de Ndahonta qui s’est fait prendre, ce n’est pas un musulman. », a-t-elle réagi, exemple à l’appui.

Autre anicroche révélée par les informations collectées sur le terrain, c’est les dénonciations abusives de personnes étrangères. « Ma contribution a permis de mettre la main sur un Français et un jeune de Cotonou. Ils sont venus dire qu’ils veulent recruter des gens. Je les ai surpris quelque part dans une buvette où ils étaient en train de faire des échanges avec des jeunes. Je ne leur ai rien dit, je suis allé alerter le délégué qui a appelé le CA puis après la police a été alertée. A son tour, la police a alerté le procureur. Comme c’était un Blanc, on a demandé là où ils dorment à Tanguiéta et l’hôtel a été alerté puis prévenu. (…) C’est là où le commissariat a pu mettre la main sur eux », a confié fier, un jeune pensant avoir filé des soutiens d’organisations terroristes. Ces victimes n’étaient rien d’autres qu’un journaliste-écrivain et son fixeur béninois. 

Face à des dérives de la contribution civile au renseignement dans la lutte contre le terrorisme, plusieurs appellent à plus de rigueurs chez les officiers de police avant les arrestations.

 

NB : Cet article est publié avec l'appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES-Bénin), dans le cadre du projet : « ENQUETES SUR LA MENACE TERRORISTE EN AFRIQUE DE L’OUEST : BENIN, BURKINA FASO ET TOGO », mis en œuvre par le consortium Banouto (Bénin) et Togo Top News (Togo).