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Sénat ou Haut Conseil de la République : quelle voie pour le Bénin ? (une tribune de Juste Codjo)

Sénat ou Haut Conseil de la République : quelle voie pour le Bénin ? (une tribune de Juste Codjo)

Cette tribune analyse la proposition de création d’un Sénat au Bénin à la lumière du modèle Consencratie développé par le Dr Juste Codjo, politologue, professeur de sécurité internationale, New Jersey City University (USA). Alors que le Parlement béninois envisage d’instaurer un Sénat par vote dans un contexte de majorité politique dominante, l’auteur met en contraste cette approche avec celle de Consencratie prônant la création, par voie consensuelle, d’un Haut Conseil de la République (ou organe suprême de régulation).

Cette tribune analyse la proposition de création d’un Sénat au Bénin à la lumière du modèle Consencratie développé par le Dr Juste Codjo, politologue, professeur de sécurité internationale, New Jersey City University (USA). Alors que le Parlement béninois envisage d’instaurer un Sénat par vote dans un contexte de majorité politique dominante, l’auteur met en contraste cette approche avec celle de Consencratie prônant la création, par voie consensuelle, d’un Haut Conseil de la République (ou organe suprême de régulation).

Le débat sur la création d’un Sénat au Bénin, relancé par la proposition de loi annoncée ce vendredi 31 octobre 2025 à l’ouverture de la deuxième session ordinaire de l’Assemblée nationale, marque un moment clé dans l’évolution institutionnelle de notre pays. Mais au-delà de la technique constitutionnelle, c’est une véritable question de société qui se pose : voulons-nous simplement ajuster notre architecture politique ou refonder la manière dont le pouvoir d’Etat s’exerce ?

 

Depuis 2016, mon modèle Consencratie, conçu au bout de cinq années de recherches en sciences politiques et s’appuyant sur une vingtaine d’années d’expériences au sein de la fonction publique béninoise, offre une réflexion novatrice sur cette refondation. Il propose un système de gouvernance fondé sur le consensus et la stabilité plutôt que sur la compétition permanente entre partis. À la lumière de cette approche, il est pertinent de comparer le Sénat envisagé par le Parlement béninois et le Haut Conseil de la République (ou Organe suprême de régulation) tel que défini par la Consencratie.

 

Le Sénat : une innovation institutionnelle aux fondements politiques

 

Selon la proposition de loi actuellement en examen au parlement béninois, le Sénat viendrait compléter l’Assemblée nationale pour renforcer le contrôle législatif et l’équilibre institutionnel. Il serait composé des « anciens présidents de la République, des anciens présidents de l'Assemblée nationale; des anciens présidents de la Cour constitutionnelle; des chefs d'Etat-major des forces en charge de la défense et de la sécurité nationales, ainsi que de membres désignés par le président de la République et le président de l'Assemblée nationale. »

 

Ses missions, étrangement similaires à celles de l’organe suprême de régulation prôné par Consencratie, visent à « veiller à la stabilité politique, la continuité de l'État et la paix de la Nation. »

 

Toutefois, la procédure de mise en place de cette institution soulève un enjeu démocratique majeur : elle repose sur un simple vote parlementaire, dans un contexte où une seule coalition politique, acquise au chef de l’État, détient la majorité parlementaire (majorité pratiquement absolue depuis la récente démission de quelques députés de l’opposition).

 

Autrement dit, le projet de Sénat résulte d’une initiative venue d’en haut, portée par un pouvoir politique homogène, sans véritable processus de délibération nationale. Cette méthode illustre une réforme « institutionnelle » certes, mais non « sociétale » : elle modifie l’équilibre formel des institutions sans redéfinir le contrat social ni impliquer la population, qui est pourtant l’unique source de légitimé de tout pouvoir d’Etat.

 

Le Haut Conseil de la République : un instrument de régulation né du consensus national

 

À l’opposé, le Haut Conseil de la République (ou Organe suprême de régulation – OSR) proposé dans le cadre de la Consencratie est conçu comme le centre de gravité d’un système de gouvernance fondé sur la concertation.

 

Composé de sept membres représentant les grandes zones géographiques du pays (Borgou-Alibori ; Atacora-Donga ; Ouémé-Plateau ; Mono-Couffo ; Atlantique-Littoral ; Zou ; et Collines), le HCR (ou OSR) exercerait des fonctions de régulation, de contrôle et de médiation : approbation des nominations et limogeages de hauts responsables, supervision de l’agenda national de priorités de gouvernance, droit de veto budgétaire, et médiation en période de crise politique.

 

Au-delà de cette différence notable au niveau de la composition des deux organes, la différence essentielle réside dans la méthode de création.

 

Contrairement à la logique sous-tendant la proposition de loi actuellement en examen, la Consencratie est fondée sur une prémisse capitale : la légitimité d’un organe tel que le Sénat ou le HCR ne peut provenir d’un vote parlementaire, mais d’un processus participatif et inclusif : conférences d’experts, dialogue national, conférence nationale et référendum populaire.

 

Ce processus, certes plus lent mais plus légitime, garantit que l’organe érigé soit le produit d’un consensus social, et non le résultat d’une majorité parlementaire circonstancielle. Autrement dit, le HCR serait une institution issue du peuple par le dialogue, non un appendice du pouvoir exécutif.

 

Deux philosophies du pouvoir : la politique majoritaire contre la gouvernance consensuelle

 

Le Sénat tel que proposé s’inscrit dans la logique de la démocratie compétitive ; le Haut Conseil dans celle de la démocratie consensuelle. L’un s’appuie sur la majorité politique du moment, l’autre sur la légitimité morale et sociale.

 

Ainsi, la différence entre les deux modèles tient autant à leur philosophie qu’à leurs procédures de mise en place : le premier est voté et imposé, le second est négocié.

 

Pour une réforme réellement refondatrice

 

Si l’objectif est de renforcer la stabilité institutionnelle et la confiance publique, la méthode compte autant que le résultat. Créer un Sénat par simple vote d’une majorité parlementaire revient à institutionnaliser un consensus du pouvoir du moment plutôt que le consensus national.

 

Le Bénin gagnerait à renouer avec l’esprit de la Conférence nationale de 1990 : une délibération collective, inclusive et ancrée dans la volonté populaire. C’est dans cette optique que la Consencratie propose un Haut Conseil de la République, organe de sagesse et de régulation, garant d’une gouvernance apaisée.

 

De la duplication institutionnelle à la sagesse institutionnelle

 

La création d’un Sénat, dans le fonds et la forme proposés, ne garantit ni la stabilité ni la légitimité. Sans processus inclusif ni organe véritablement indépendant, le bicamérisme risque de devenir un simple exercice d’équilibrisme politique.

 

Le modèle Consencratie invite à une approche plus profonde : remplacer la logique majoritaire par la logique du consensus, et substituer à la compétition électorale un contrôle collectif du pouvoir. C’est cette orientation qui permettra au Bénin de passer d’une république d’institutions politiques à une République de sagesse institutionnelle. En lieu et place d’un passage en force au parlement, un débat national dans le cadre des prochaines campagnes électorales serait plus opportun et bénéfique à la nation béninoise.  

 

A propos de l'auteur 


Dr Juste Codjo est politologue et professeur de sécurité internationale à la New Jersey City University (États-Unis). Ancien officier supérieur des FAB, il est l’auteur de ‘Consencratie : un modèle de démocratie consensuelle adaptée aux réalités du Bénin’ (2016) et de ‘Gestion des coups d'État et transitions politiques en Afrique : La consencratie comme alternative aux démocraties d'hommes forts’ (2022).

 

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