Roméo Kossi Fangninou, Consultant en gouvernance et analyste politique
Le coup d’Etat déjoué au Bénin dimanche 7 décembre 2025 a ravivé, dans la sous-région ouest-africaine, le spectre d’une nouvelle rupture de l’ordre constitutionnel après une série de coups d’État ayant frappé le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée-Bissau. En quelques heures, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a multiplié les consultations et les signaux de fermeté, contrastant avec les réponses plus progressives observées dans d’autres crises récentes.
Pour Roméo Kossi Fangninou, qui se prononçait à Banouto sur la question mi-decembre 2025, cette différence de traitement s’explique par l’évolution même de la doctrine de l’organisation. « Après les coups d’État au Mali en 2021, en Guinée en 2021 et au Burkina en 2022, la CEDEAO, conformément à ses textes, a prononcé les sanctions de principe et décidé quand même d’accompagner ces États », rappelle le consultant en gouvernance et analyste politique . Selon lui, cette approche n’a pas produit les effets escomptés, les régimes issus des putschs s’étant « plutôt maintenus au pouvoir ».
Le tournant nigérien et le durcissement du ton
L’analyste situe un changement décisif dans la crise nigérienne de 2023. « Avec le coup d’État au Niger, l’organisation a décidé de hausser le ton et d’être ferme, jusqu’à la menace d’une intervention », explique Roméo Kossi Fangninou. Une fermeté qui, selon lui, a joué un rôle dissuasif majeur dans la sous-région. « C’est ce durcissement de ton-là qui a épargné la sous-région. Sinon, nous étions embarqués dans une spirale », affirme-t-il.
À ses yeux, la chute successive de plusieurs États francophones faisait planer une menace directe sur d’autres pays côtiers. « Après la Guinée, le Mali, le Burkina et le Niger, la question était : à qui le tour ? », souligne-t-il, estimant que la fermeté de la CEDEAO a permis de maintenir « une certaine sérénité », même si ce calme restait fragile.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la réaction éclair face à la tentative de putsch au Bénin. « Perdre quelques minutes aurait pu conduire inéluctablement à ce qu’on a vu dans les autres États », avertit le consultant, convaincu que l’organisation a voulu agir « sans plus attendre » pour éviter un scénario similaire.
La survie de la CEDEAO en question
Interrogé sur l’idée selon laquelle un basculement du Bénin aurait pu menacer l’existence même de la CEDEAO, Roméo Kossi Fangninou nuance. « La remise en question de l’existence de la CEDEAO ne s’est pas posée à l’aune du cas béninois », tranche-t-il. Pour lui, ce débat est bien plus ancien. « Depuis des décennies, des analystes questionnent la légitimité même des actions de la CEDEAO dans les crises politiques en Afrique », rappelle-t-il.
L’enjeu central, selon lui, réside ailleurs : dans la capacité de l’organisation à prévenir les coups d’État. « La survie de la CEDEAO se joue dans son incapacité ou non à prévenir les coups d’État », insiste-t-il, pointant la nécessité d’une vigilance accrue sur « les évolutions politiques et constitutionnelles des États », souvent à l’origine des instabilités.
Roméo Kossi Fangninou déplore une posture essentiellement réactive. « Quand elle échoue à prévenir, l’organisation se positionne comme un club de secouristes et de secourus, et cela lui vaut des critiques », observe-t-il. Il plaide pour une implication plus en amont : « Il est attendu de la CEDEAO qu’elle tire la sonnette d’alarme, tout en respectant la souveraineté des États, afin d’amener des comportements politiques qui évitent d’éventuels coups d’État ».
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